Chapitre 8 • Cassiane

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Après une bonne nuit de sommeil, les idées sont plus claires. La veille, il m’a fallu poser la tête sur l’oreiller pour m’endormir jusqu’à ce que le soleil soit déjà haut dans le ciel. Un réveil en douceur avec un regain d’énergie.

Malgré mon plongeon dans les eaux glacées, je ne ressens plus les morsures du froid. Pas de fièvre à me clouer au lit des semaines à l’horizon. Ma constitution de sorcière gavée de potions a le mérite de maintenir mon corps en bonne état après des épreuves éprouvantes.

Paresseuse, je me prélasse dans les draps doux. J’avoue n’avoir aucune envie d’affronter le regard des loups-garous. Pour un moment, je désire oublier à quel endroit où je me trouve. Je me projette loin de la forêt hivernale pour m’imaginer qu’au-delà des rideaux se trouve une plaine verdoyante tapissée de corolles blanches et balayée par un vent printanier.

Mais toute bonne chose à une fin et c’est la faim qui m’y rappelle. Mon ventre émet des gargouillis de mécontentement d’être ainsi privé de la nourriture qu’il lui est dû pour un bon fonctionnement de tout mon organisme. Merci de briser mon rêve de paix.

Je m’extirpe des draps en grognant et mon ventre s’en presse de me répondre. Je m’habille avec les vêtements de la veille : un jeans un peu trop large, un t-shirt rose avec quelques trous raccommodés et un sweat gris à tirette trop ample. Au moins, j’apprécie cette dégaine à la robe champignon.

Mes papilles frétillent en sentant un doux fumet dans l’escalier, par réflexe, je me mets à saliver. Je me laisse guider par les effluves. Elles me conduisent directement à la cuisine où Maryse de dos touille dans un faitout posé sur une cuisinière au bois. Le contraste entre modernité et ancienneté me désarçonne, mais mon estomac crie trop famine pour que je m’en occupe.

— Bien dormi, ma petite marmotte ?

Le ton de sa voix est doux et dénoué de moqueries.

— Oui, les draps étaient bien agréables.

— Je présume que c’est une petite faim qui t’amène dans la cuisine. Installe-toi à la table près de la fenêtre.

Je ne me fais pas prier.

À travers la vitre, le nouveau village se dévoile au grand jour. La veille, je n’ai pas remarqué qu’il y a aucune comparaison avec le village de Cédrick. Bien plus imposant, les chalets qui le constituent ont du cachet et respirent la bonne humeur. La tristesse et la morosité ressenties pendant mon séjour dans l’autre meute m’ont déserté.

Maryse me dépose un bol fumant de soupe accompagné d’une miche de pain frais et me tire ainsi de ma contemplation. Elle s’assit en face de moi. La petite dame m’observe dévorer ma pitance avec délice, en rigolant de mes gaffes à me mettre du potage sur le bout de nez.

— La suite arrivera quand elle aura fini de mijoter, m’apprend-elle.

— J’ai une faim de loup.

Elle éclate de rire et la sonorité joyeuse empli de délice mes oreilles.

— Je peux te poser une question assez délicate ? demandé-je en me penchant doucement comme si je vais partager un secret.

— Crache le morceau. Je veillerai à te répondre si je le peux.

— Hier, ton Alpha à parler d’une malédiction. Celle de la Lune. En quoi consiste-t-elle ?

— Elle nous condamne à vivre sous notre soif bestiale au contact des rayons de la pleine lune.

— C’est un peu l’équilibre de l’équation en contrepartie de vos capacités ?

Elle me contredit en secouant la tête.

— Non, c’est une malédiction pour avoir offensé la Lune à la suite des massacres des sorcière à la Renaissance. Elle a condamné mes aïeuls et leurs descendances à vivre dans la sauvagerie à sa vue.

— Je ne comprends pas.

— En tant que jeteuse de sorts, tu as connaissance des terribles chasses aux sorcières qui a baigné dans les flammes l’Europe à la Renaissance. Les responsables ne sont que des loups-garous gorgés de vengeance. Ils ont soufflé le vent de la peur aux oreilles humaines les plus influentes. Pour avoir perpétré le massacre de ses protégées, la Lune nous a maudit. Nos pertes de contrôle ont fait de nous des monstres et la seule solution pour éviter d’ébruiter notre existence a été notre éloignement de la civilisation humaine.

— Comment se fait-il que tu ne m’en veux pas ? Mon espèce est responsable de votre isolement et la peur de vous-même.

— Tu n’y es pour rien. Ce sont des erreurs de mes ancêtres qui se sont pris aux tiennes à cause de superstitions infondées.

— Mais, vous payez encore pour des crimes que nous n’avez pas commis. C’est injuste !

— Venir à t’en vouloir est mettre une haine dont tu n’es aucunement responsable. Je ne ferais que rentrer dans un cercle vicieux… Dis-moi, pourquoi n’as-tu pas peur de moi qui suis-je un loup-garou responsable du massacre des tiennes ?

— Je ne peux pas nier que je vous fais entièrement confiance. Je me méfie de vous, car j’ai grandi dans une maison remplie de haine à votre encontre. Mais ça me semble si loin de ma personne pour prendre part à ce conflit.

Elle me sourit tendrement. Je comprends enfin ses propres arguments qui ne sont que des reflets des miennes. Continuer cette querelle, ce n’est que mettre de l’eau à un moulin de haine sans fin.

Mon hôtesse retourne à ses fourneaux pendant que mon esprit se perd dans les méandres de ses questions et souvenirs. Je regarde sans voir la vie s’écouler dans ce village paisible.

Je n’entends même pas frapper à la porte, ni Maryse sortir de la cuisine pour ouvrir. Je me rends enfin compte de l’animation dans la pièce quand Valérien passe le pas du chambranle.

Debout, il m’observe comme si la veille, il n’y a pas pris le temps. Je remarque moi aussi ses tempes grisonnantes parmi ses cheveux décoiffés. Des cernes barrent ses yeux. Peu présente encore la veille, la fatigue tire les traits de son visage.

— Désolé de débarquer encore une fois. J’ai bien réfléchi à ce que tu nous a révélé hier soir. Je pense avoir une piste, mais j’ai besoin de tes confirmations.

Je ne sais où il veut en venir, mais je suis tout ouïe et disposée à lui répondre.

— Est-ce que Cédrick s’est montré… euh… entreprenant avec toi ?

Il a murmuré la dernière partie et mon corps a tressailli rien qu’à l’entendre. Moi qui a enfin trouvé une paix ce matin, il a fallu que cet abruti d’Alpha mette les pieds dans le plat pour que les sensations me giflent en pleine figure.

Je sombre dans mes douloureux souvenirs. Recroquevillé sur la chaise, j’enlace mes jambes et enfuit ma tête dans mes cuisses. Je veux que le monde m’oublie. Je veux oublier mon existence. Je ne veux qu’être le néant.

— Ma pauvre enfant, murmure Maryse en m’enlaçant dans le dos. Tu n’as plus rien à craindre, ici personne ne te veux du mal. Tu es en sécurité.

Dans mon torrent de peur, je n’entends que vaguement son réconfort. Je suis prise dans mon angoisse que tout recommence. J’aurais tellement voulu avoir rêvé, d’avoir trop imaginé les attentions de ce vieillard de loup-garou, mais la question de Valérien me prouve le contraire. Il sait ! Cette vérité me déchire les entrailles. Je désirais ne jamais en parler avec quelqu’un, oublier à tout jamais.

— Cassiane, j’ai bien compris. Tu n’as plus besoin de me répondre.

L’Alpha s’est agenouillé devant moi. Ses mains se sont approchées de mes genoux avant de se rétracter sous mon regard affolé. Ses yeux sont emplis de compassion et de colère comme un père qui se révolte des blessures subites par sa fille. Il détourne son attention pour parler à Maryse. J’ai l’impression qu’on m’arrache au feu qui me réchauffe en pleine tempête de neige.

— Prends soin d’elle. Quand elle aura récupéré, je lui ferais part de mes découvertes.

— Es-tu sûr que ce soit judicieux de la mettre au courant ?

— Je veux savoir, soufflé-je.

Je désire comprendre pourquoi un loup-garou m’a enlevé et surtout, qu’est-ce qu’il attendait réellement de moi. Savoir jusqu’où son esprit tordu a imaginé berner une pauvre petite sorcière. Je voulais tout comprendre, même si ça risque de me faire très mal. J’avais toujours eu ce sentiment d’autodestruction pour connaitre mes limites.

— Comme tu le voudras, mais pas avant que tu te sois calmée. Ça ne sert à rien en ce moment que j’enfonce le couteau dans la plaie. Je n’ébruiterai en rien ce qui a pu se passer avec Cédrick. Le reste de la meute n’a pas à le savoir.

Je hoche de la tête, soulagée. L’entendre garder sous silence mon secret est pour moi une preuve de sa générosité et un gage de paix avec la sorcière que je suis. Maintenant, je veillerai au grain qu’il tienne parole. Au moindre faux pas et le premier échelon de ma confiance à son encontre s’effondrera.

Cette meute et son Alpha sont bien différent de ce que j’ai connu chez Cédrick. Cependant, la petite voix de ma conscience me titille à garder mes distances, à me méfier d’eux. Ils ne restent tout bonnement des loups-garous et ces créatures sont fourbes. Je suis tiraillée entre mes peurs et ce que je vois ici. Maryse me traite tellement avec bienveillance que j’ai dû mal à l’imaginer comme une louve sanguinaire.

— Je te laisse la journée pour te remettre de tes émotions. Sache qu’ici, personne ne te fera du mal et te contraindra à te faire des choses que tu ne désires pas. Tu en a ma parole d’Alpha. Ce soir, si tu t’en sens capable, je reviendrai t’exposer ce que je présume amèrement les plans de Cédrick.

J’acquiesce encore, car je retiens difficilement les sanglots qui me serrent la gorge.

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