Chapitre 1 • Cassiane

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Je ne sais comment je me suis retrouvée à loucher sur un bout de truffe sombre en gros plan pile entre mes deux yeux. Son souffle laisse de volatiles nappes brumeuses se dissiper dans l’air froid. Au-delà du nez humide, une fourrure noire où s’ancrent deux yeux dorés.

Après l’étonnement vient l’affolement. Je recule d’un bond en arrière et percute un objet dur dans les vertèbres qui m’arrache un cri de douleur. Je suis littéralement dos au mur et les fesses au sol. Mon champ de vision s’élargit et plusieurs loups m’entourent d’un œil scrutateur. Des maisons rustiques encadrent la place sur laquelle ils assistent au spectacle que je préside sans le vouloir.

Je frisonne, aussi bien de peur que de froid. Une bonne couche de neige tapisse le paysage nordique. Des sapins à perte de vue. Mon simple pull ne m’empêche pas de sentir la morsure du vent hiémal. Je suis sûre d’être bien loin des plaines verdoyantes et collines boisées qui m’ont vu naitre.

Où ai-je atterri ? Ma mère va encore me faire subir une remontrance monumentale quand elle découvrira mon absence à son cours de potions. Peut-être se fera-t-elle un sang d’encre de ne pas me voir arriver à la nuit tombée ?

— Qui êtes-vous ?

Ma voix n’est qu’un murmure voilé d’une pointe d’angoisse.

Un truc serrant me gratte au niveau du cou. Quand j’y porte ma main, je sens les morsures froides d’un collier en métal. Le Jadukara Loha. Le fer sorcier, il inhibe totalement les Dons de la jeteuse de sorts qui le porte. Ma mère m’a raconté qu’il a été détruit après les chasses aux sorcières, plus aucune ne doit être asservie. J’en ai froid dans le dos juste avec le contact du bijou sur ma peau.

Une étincelle brille dans les deux billes jaunes qui me reluquent de la tête aux pieds. Le loup noir n’a toujours pas bougé. J’ai une envie soudaine de lui arracher les yeux pour qu’il les pose ailleurs. Je ne suis pas un bout de viande à croquer.

— Qui êtes-vous ? reprends-je d’une voix plus ferme.

Des simples loups ne m’auront pas emmené dans leur village. Mon intuition me souffle que je fais face aux célèbres loups-garous au point que j’en frisonne. Je n’aime pas cela. Une haine nous lient à vouloir l’extinction de l’autre. Désirent-ils me torturer pour me faire avouer les secrets de mon espèce ? Ma tête tourne. La chasse aux sorcières est-elle sur le point de récidiver ?

Une porte claque. Un homme se dresse parmi les canidés qui ne me quittent pas des yeux. Il ne les craint pas quand il s’avance vers moi. Bati comme un bûcheron, il arbore une barbe aussi brune que ses cheveux courts. Sur ses épaules, une chemise usée aux motifs vichy rouge et noir. Ses yeux noisette pétillent de malice et le sourire espiègle sur les lèvres ne me rassure pas. Mon intuition me hurle de m’en méfier.

Le loup noir s’efface pour laisser le bûcheron s’accroupir en face de moi, toujours les fesses sur le sol gelé.

— Bonjour, jeune demoiselle. Désolé des désagréments causés par les miens. Je devine que tu sais qui nous sommes.

Sa voix rauque se veut douce, mais elle est bancale comme si elle a oublié ce qu’est l’amabilité.

— Des loups-garous, soufflé-je.

Il sourit, me dévoilant ses dents blanches bien alignées. Je me demande à tel point sont-elles pointues sous sa forme de loup. Des petites ridules se marquent aux commissures des lèvres et au coin de ses yeux. Je lui donne une quarantaine d’années.

— Qui êtes-vous ?

— Cédrick Fortier, pour vous servir.

Il ne manque plus que la petite courbette pour que je m’esclaffe, mais je ne suis pas d’humeur à rire. Ce cauchemar doit finir.

— Que me voulez-vous ?

— Ma chère, ne soyez pas si méfiante. Nous ne voulons vous faire aucun mal. Loin de nous ces querelles d’une époque révolue.

Il secoue sa tête pour donner de la contenance à ses propos.

— Vous savez qui je suis ?

Ma voix monte dans les aigus. Je m’exaspère. Je dois me ressaisir, je dois me montrer forte et sûre de moi.

— Une jeune sorcière, une précieuse jeteuse de sorts.

Je n’aime vraiment pas l’éclat de malice dans ses yeux. Qu’a-t-il derrière la tête ?

— Vois-tu… nous pouvons nous tutoyer, les présentations étant passées, décida-t-il sans me concerter réellement. Vois-tu, nous, loups-garous, nous nous mourrons sous les jougs d’une malédiction et il est dit qu’une sorcière peut nous en défaire.

— Et qu’est-ce que j’y gagne ?

— J’adore, déclare-t-il en se relevant et m’incitant à faire de même. J’adore ta répartie, ma chère. Un raisonnement de sorcière. Œil pour œil, dent pour dent. Tu essayes de trouver l’entourloupe de mon soi-disant pacte.

Il m’invite à marcher à ses côtes et se dirige vers la pinède. Les sombres arbres pointent de leur cime le ciel chargé de nuages de neige. Même les sapins ont une tête sinistre à m’accorder.

— Mais tu n’as pas tort. Ce que je t’accorde en retour est un bonheur incommensurable.

Je n’ai pas besoin de lui pour trouver mon bonheur. Avant qu’il me ravisse aux miens, j’étais heureuse avec ma mère et mes deux sœurs. Je n’ai pas attendu sa venue dans ma vie pour trouver le chemin de mon allégresse. De penser à elle, la présence de ma génitrice me manque. Mon cœur se serre.

Et puis, une telle extase de bonheur n’est pas simple à dénicher. Il y a anguille sous roche. Je le sens dans les tréfonds de mes entrailles, il ne divulgue qu’une infime partie de la vérité.

Sous le sous-bois, sentir le parfum des aiguilles endorme mes angoisses naissantes. Les odeurs de la nature ont toujours apaisé les tourments de mon esprit. Depuis toute petite, je suis ma mère dans ses innombrables balades forestières à la recherche de diverses plantes. J’y ai trouvé une certaine quiétude dans les bras protecteurs des arbres.

— Je te laisse le temps de prendre ta décision, mais me feras-tu l’honneur d’accepter notre hospitalité. J’aimerais que tu puisses nous comprendre et voir notre souffrance.

Me laisse-t-il vraiment le choix ? Je ne sais dans quel trou paumé j’ai atterri, mais c’est loin de chez moi, très long.

— Et pour le collier ?

— Oui, le collier, dit-il d’une manière faussement désolée. Excuse-nous, disons que les miens craignaient ta réaction. Nous n’avons pas oublié que vos Dons sont redoutables. Pour le moment, je suis au regret de t’annoncer qu’il n’est pas dans mon ressort de le retirer. Il faut une certaine clé qui n’est pas en ma possession.

Il ment. Ma petite voix de la raison me le hurle.

Le fer trop serré me brûle la peau à chacun de mes mouvements. Cette entrave m’angoisse et renforce ma méfiance de cette meute de loups dépravés. Avec nos Don, nous sommes leurs égales. Ici, en me les privant, ils me rabaissent volontairement. Un avertissement pour me rappeler ma place. Une prisonnière.

— Puis-je attendre une réponse favorable ? ose-t-il demander.

Deux options s’offrent à moi, soit je lui explose à la figure son arrogance d’hasarder me mielliser la situation de captivité qui se sent à plusieurs kilomètres à la ronde au risque de me faire ligoter ainsi que torturer pour être sûr d’obtenir ce qu’il veut de moi. Soit je fais mon idiote écervelée qui n’a rien cafté et rentrer dans ses bonnes grâces pour trouver la meilleure solution pour me carapater en douce. Deux options qui ne me plaisent pas.

Je hoche la tête avec un léger sourire niais pour accentuer ma médiocrité cérébrale qui se veut théâtrale.

— Alors scellons notre accord. Je me présente encore, Cédrick Fortier.

Il me tend sa grosse paluche qui lui sert de main. J’y glisse la mienne qui semble si délicate et menue dans la sienne.

— Cassiane Donnelly.

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