Chapitre 10.2 – Ceux qui l’attendent assis.

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Tout à coup, un chuchotement tira Jeannot de son sommeil. Jean Christian, à l’extérieur, rappela que Jeannot était attendu au conseil des chefs d’équipes. Celui-ci se leva péniblement et se dirigea vers le point central. Une quinzaine de scouts y étaient rassemblés.

— Ah... Le petit dernier est arrivé, lança l'un des jeunes. Nous allons pouvoir commencer.

Tout le monde s’assit en cercle.

— Salut, moi, c’est Paul, continua-t-il. Désolé, mais tu dois prendre le train en marche. Je sais que tu as beaucoup de questions, on avance pour l’instant et j'essaierai d'y répondre ensuite.

Jeannot acquiesça d’un signe de la tête.

— Service ? lança Paul.

— Ça se passe bien. Juste, un problème pour le nettoyage des feuillés, mais on l’a réglé hier avec les gars en question, exposa son voisin de droite.

— Vous rajouterez les nouvelles équipes arrivées aujourd'hui dans le tableau des services à partir de demain.

— C’est noté.

Paul demanda ensuite un compte-rendu de la situation aux différents chefs d'équipe. L'un d'eux expliqua que les intendants avaient réussi à bien s'organiser et que les responsables santé faisaient avec les moyens du bord, mais qu'ils demandaient l'installation d'une tente infirmerie. Les responsables matériels géraient la situation correctement, mais les logeurs semblaient un peu perdus et nécessitaient un point avec eux.

Jeannot resta sans voix devant l’impression qui se dégageait de cette réunion. Elle ressemblait à un simple conseil d'unité d'un traditionnel camp scout, à l'exception qu'aucun chef n'était présent.

— Pour la tente infirmerie qu’ils voient avec les responsables matos. Sinon, d’autres demandes à traiter ? questionna Paul.

— C'est vraiment utile de continuer la surveillance de la cabane ? se risqua un membre de l'assemblée.

— On ne sait jamais. Ce serait con, s’il se passait quelque chose et qu’on le loupe, répondit Paul.

La plupart se manifestèrent bruyamment pour acquiescer à la dernière remarque. Paul reprit la parole dans le brouhaha. Il insista sur l'importance de rester vigilants afin de trouver une solution pour sortir de cette situation. Il mit fin à la réunion et les chefs d'équipe se dispersèrent pour reprendre leurs activités.

Paul se dirigea vers Jeannot.

— Je suppose que tu as plein d'interrogations et je vais tenter d’y répondre. Par contre, si c'est pour savoir pourquoi et comment nous avons tous atterri ici, et comment rentrer chez nous, je suis désolé, personne ne connaît la solution.

Puis, il commença à expliquer que cela faisait plus d'un mois qu'ils étaient là et qu'ils avaient dû s'organiser pour survivre. Au début, la situation était chaotique et les scouts se battaient même pour avoir la nourriture de la cabane. Les premiers arrivés étaient les premiers servis et ceux qui n’avaient plus rien attaquaient ceux qui en avaient. Bref, c’était l’anarchie totale.

Mais, quelques scouts décidèrent de prendre les choses en main et de mettre de l'ordre dans le camp. Les chefs d'équipe se réunissaient chaque soir pour gérer en commun la vie de camp. La majorité des jeunes étaient d'accord avec les règles mises en place, et ceux qui ne l'étaient pas avaient été expulsés. Le chef d'équipe insista sur le fait qu'il était important de se conformer aux règles pour éviter que la situation ne dégénère à nouveau.

— Ça me paraît correct, répondit Jeannot simplement. Et ceux qui ont été expulsés ?

Paul lui indiqua qu’ils avaient monté un campement dans la forêt plus haut. Ils se contentaient de détrousser les nouveaux qui débarquaient dans la zone en les effrayant. Les scouts de la plage leur mettaient à disposition une partie des provisions qui arrivaient dans la cabane et en échange, ils avaient la paix. Paul lui indiqua le tableau journalier des services, une feuille épinglée sur un panneau. Puis lui désigna de la main ce qu’ils supposaient être la solution à leur problème : un rocher.

Jeannot l'examina attentivement. Une chaise faite de tenons était adossée à un mur, avec une rame suspendue juste au-dessus d'elle. Une citation de Baden Powell avait été gravée sur l'arc de cercle sculpté qui surplombait les deux objets. : « Le bonheur ne vient pas à ceux qui l’attendent assis ». Jeannot resta silencieux et perplexe.

— On suppose, lui confia-t-il, car à part le plan qui est là-bas et la cabane c’est la seule chose qui était ici lorsque les premiers ont débarqué.

Un peu plus loin sur la gauche Jeannot découvrit un panneau en bois. Il s’approcha et aperçut le plan d’implantation du campement.

— Nous essayons de le suivre scrupuleusement. Au cas où... Peut-être, cela servira.

Un silence s’installa.

— Si vous avez une solution, on est tous preneurs, conclut-il finalement avant de s’éloigner.

Jeannot resta à observer l’énigme sur le rocher. Impuissant, il abandonna et retourna auprès de ses coéquipiers pour leur délivrer le contenu de cette rencontre avec Paul.

— C’est le bagne ! objecta Pierrot.

— Je parie que demain, le nettoyage des feuillés ce sera pour ma pomme, soupira Axel.

— Ça y est ! Les vacances sont finies ! pesta Aimé.

Jeannot était stupéfait de constater que l'organisation du camp les préoccupait davantage que l'énigme du rocher. Pierrot refusait de suivre des règles aussi strictes. N’hésitant pas à qualifier les rôles de « relou ».

— C’est simple, quand il y a quelque chose à faire celui qui a envie de le faire, le fait et puis voilà, déclara-t-il.

— Man ! On sait très bien comment cela va finir, rétorqua Aimé. Avant qu'une envie de vaisselle me prenne, vous risquez d’attendre longtemps, compléta-t-il avec un large sourire.

— C’est bon, on n’est plus des gamins ! martela Pierrot.

Jeannot lui rappela l'organisation de leur premier week-end d'équipe en autonomie, chacun avait pensé que l'autre préparerait quelque chose, ce qui avait finalement conduit à un départ sans rien de prêt. C'est pourquoi, selon lui, il fallait se répartir les tâches entre tous, avec un tableau de service et des rôles définis, la bonne vieille recette scoute.

Jeannot précisa que cette ancienne recette scoute avait permis de résoudre une situation qui avait dégénéré sur ce camp. Quoi qu'il en soit, s'ils voulaient rester, ils devaient accepter les règles.

— Moi, en tout cas, service ou pas service, je n’ai pas envie de m'éterniser ici, s’écria Bertrand avant d'attraper Axel par le col de la chemise.

Il le souleva et l’entraîna avec lui jusqu’à l’allée. Suivi par le reste de l'équipe. Il traversa le camp en le traînant sans dire un mot. Il s’arrêta devant la chaise en bois et l’inscription gravée.

— Mais ! Qu'est-ce que j'ai encore fait ? lâcha timidement Axel.

— Rien, justement ! T'es le cerveau de l’équipe, donc trouve-nous vite la solution pour rentrer.

— Tu ne pourrais pas le demander plus gentiment ! Tu crois peut-être que j’ai envie de rester ici ?

— Bon allez, tranquille ! On se calme, temporisa Jeannot. Profitons-en pour chercher la solution.

— Pour trouver la solution ! rectifia lourdement Bertrand.

— Bon… OK ! OK ! mmhhh… soupira Axel en s’approchant du rocher.

Il scruta toutes les imperfections avant de se focaliser sur la chaise en bois. Après s'être assis dessus pendant quelques instants, il se leva et demanda à Bertrand de prendre sa place. Celui-ci obtempéra sans un mot. Axel recula alors de quelques mètres pour observer la scène, penchant tour à tour sa tête d'un côté puis de l'autre comme s'il cherchait différents angles de vue.

— « Le bonheur ne vient pas à ceux qui l’attendent assis »... Donc, ce n’est pas la chaise. Il ne reste plus que la rame.

— Et ? questionna Christophe.

— Que fais-tu avec une rame ?

— Je rame. Mais pour aller où ?

Axel suggéra que comme ils étaient sur une plage, il devaient prendre la mer. Mais précisa que pour atteindre un point de destination, il leur manquait la direction et la distance à parcourir. Et il ne voyait aucune indication à ce sujet.

Il porta sa main sur son menton, qu'il malaxa en silence. Il répéta inlassablement les mêmes mots, comme pour mieux s'en imprégner.

— La chaise, la phrase, la rame, la chaise, la...

— Je ne sais pas si c’est important, mais il manque un barreau ici, interrompit Bertrand, en lui montrant les trous sur chacun des deux montants du dossier de la chaise.

Axel examina attentivement le nouvel élément, mais ne put en déduire quoi que ce soit. Il supposa que les informations manquantes pourraient se trouver ailleurs. Jeannot suggéra à Axel de se renseigner auprès des autres scouts. Aimé et Pierrot l'accompagnèrent. Christophe proposa pour s’occuper de son rôle d’intendant d'aller récupérer le repas du soir avec Bertrand.

Jeannot contempla un moment le puzzle sans trouver de solution, puis décida de faire une pause et de se rendre sur la plage. Il s'assit sur le sable fin et prit une poignée qu'il laissa s'écouler lentement entre ses doigts, laissant son esprit divaguer. Il se remémora la porte de l'ermitage, le brouillard, la descente de la rivière en radeau, la rencontre avec les scouts espagnols et leur arrivée sur le camp. Il ne parvenait pas à trouver d'explication logique à leur situation. Ce n'était sûrement pas une idée de Francis, il n'était pas du genre à leur jouer un tour pour les mettre à l'épreuve.

Que s'était-il passé pour qu'autant de scouts se retrouvent tous perdus ici, tout comme eux ?

Après quelques minutes, il abandonna ses réflexions sans réponse et se laissa absorber par le bruit des vagues et la mer à perte de vue.

— Ramer, c’est bien beau, mais pour aller où ? pensa-t-il à haute voix.

— Je crois qu’il n’y a que lui qui connaisse la réponse, lui lança une voix féminine avec un accent espagnol.

Il se retourna en sursaut et découvrit une jeune fille scoute.

— Désolée, je ne voulais pas t’effrayer.

— Lui ? De qui parles-tu ?

— Celui qui est responsable de tout cela, Dieu, le destin ou quelqu’un d’autre. Qui sait ? répondit-elle.

— Ça pourrait être elle ? Non ?

— Oui, tu as raison, n’écartons aucune hypothèse, admit-elle en souriant. Je constate que je ne suis pas la seule à venir me ressourcer sur la plage loin de mes responsabilités.

— Toi aussi, tu es chef d’équipe ?

— Oui, j’ai cru comprendre que nous partagions le même fardeau.

— Ouais, acquiesça Jeannot.

— Je pense que tu peux dire au revoir à ta pause, dit-elle tout à coup en lui désignant de la tête Pierrot, qui s'approchait d’eux.

— On a besoin de notre chef d’équipe, lança-t-il avec un large sourire.

— Allez au boulot ! se moqua-t-elle.

Jeannot se releva et le suivit.

— Je vois que tu as profité de ta pause ! ricana Pierrot.

— Je crois que j’ai surtout d’autres chats à fouetter.

— Ouais, ouais, tranquille sur la plage avec une meuf mignonne, on ne me la fait pas.

— J’ai tout entendu ! cria-t-elle de loin.

— Pff ! Mais comment font les guidouilles pour toujours entendre ce qu'il ne faut pas ? murmura Pierrot à voix basse, l’air dépité. Comment s’appelle-t-elle ?

— Je n’en sais rien, lui avoua Jeannot en haussant les épaules.

Ils arrivèrent au campement, où le reste de l’équipe était assis autour d’un feu.

— Ce n’est pas trop tôt ! Les saucisses vont être froides, se plaignit Bertrand.

— Alors au menu : saucisse à la croque-sable et haricots verts, lança Christophe.

— À la croque sable ? demanda Jeannot.

— Oui, encore un coup de Calimero qui n’a pas pu s’empêcher de les tomber par terre avec ses deux mains gauches, soupira Christophe.

— C'est bon, on a compris, grogna Axel. Ça arrive à tout le monde.

Jeannot s’assit à côté du feu et goûta aux croustillantes saucisses, pendant qu’il s’enquérait auprès d'Axel d’éventuelles informations qu’il aurait pu glaner. Mais celui-ci, désabusé, n’avait rien pu obtenir de nouveau.

Le silence s’installa jusqu’à la fin du dîner. Une fois celui-ci terminé, Bertrand se leva.

— Y a une veillée ce soir ? demanda-t-il.

— Oui, non, je ne sais pas. Achète un âne ! s'exclama Christophe.

— Alors je vous abandonne, car j’ai du sommeil à récupérer, confia-t-il en se dirigeant vers la tente.

— Je viens te tenir compagnie, répondit Aimé tout en se levant.

Les autres le suivirent.

— Hé ! Et la vaisselle ? interpella Axel, le seul encore assis.

— Et bien le dernier comme d’hab’, lui lança Aimé.

— Chaque fois, c’est pour ma pomme !

Christophe, déjà à l’intérieur de la tente, sortit la tête au travers de l’ouverture.

— Calimero, si tu pouvais essayer de ne pas faire trop de bruit en venant te coucher après la vaisselle, ce serait sympa, lui lança-t-il d’un air moqueur.

Une fois dans son duvet, Jeannot goûta un instant à la quiétude qui s’était installée dans la tente avant que l’image du rocher et de son énigme lui accapare l’esprit. Une question lancinante s’insinua. Qu’attendait-on d’eux ?

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