Chapitre 2 : Rambouillet en février

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Huit heures trente -- Je chausse mes chaussures de sports.

Dehors, la journée s'annonce fraîche et gris en ce mois de février, l'hiver n'ayant pas encore renoncé à tous ses excès. On devine de fines gouttes de pluie en formation de "crachin". Bien que difficiles, ces conditions climatiques conviennent à la pratique d’un footing.

Entré par la porte, près de la maison de l'Office national des forêts, je me mets sur orbite.

Ce matin, le Parc du château grouille de monde en promenade, avec leurs animaux de compagnie. Mais en y regardant de plus près, je me demande, non sans humour, si ce n'est pas le contraire qu'il faudrait observer. Ne serait-ce pas plutôt des chiens qui promènent leurs maîtres, le bras tiraillé au bout de la laisse ?

Je croise des coureurs à pied, visibles dans leurs tenues flashies. Je me redresse pour afficher une fière allure.

On échange de manière fugace un bonjour. J'apprécie cet attitude ouverte et amicale entre sportifs. Je trouve dans cette pratique, un moyen transversal de réunir les gens, au-delà de toute considération philosophique, politique ou réligieuse.

Sourires, grimaces, transpirations constituent les codes apparents de l'effort physique. Et courir à plusieurs permet d'entretenir une conversation tout en se maintenant en équilibre d'oxygène. Je croise aussi des marcheurs et quelques vététistes qui reproduisent à d'autres rythmes le même processus d'échange et de partage.

Partie de la "route du coupe gorge" qui jouxte la "Rue Groussay", j'arrive au plan d'eau près de la Bergerie nationale.

Une chorale s'improvise dans un hangar. Des moutons célèbrent sans doute l'office dominical. En réalité, il s'agit du moment où les soigneurs apportent de la nourriture. Je sais que l'élevage compte pas loin de 600 bêtes dont 200 Mérinos importés d'Espagne à l'origine, à la demande de Louis XVI. Ils arborent une belle et fière tête noire, et un corps puissant au pelage épais et blanc.

J'attaque à présent la descente dans le centre de formation professionnelle avicole et équestre. Des poules en élevage s'activent à leur marché dans les prés à l’herbe rase, parsemés de fientes et de duvets. Elles cherchent l'âme en peine, en avançant de manière frénétique, sur un sol vierge, des vers de terre, le bec couvert de boue. De l'autre côté de la chaussée, des agneaux gambadent en quête de graminées tendres, au milieu de buissons et de ronces.

Cela me rappelle que la Ferme royale acquit dès sa création en 1794 la vocation de centre d'élevage et de formation pastorale. Ceci explique aujourd'hui la présence de nombreux bâtiments dédiés à l'enseignement professionnel des apprentis et des adultes.

Le Parc du château s'ouvre à la circulation toute la semaine mais celle-ci reste limitée en raison de nombreux ralentisseurs. Des aires sont dédiées au stationnement. En été, plusieurs familles rambolitaines viennent s'étendrent dans les prairies herbeuses, en profitant des ombrages et d'un bon repas.

Mais aujourd'hui, point de de pique-nique.

J'entre dans la partie anglaise des jardins en laissant sur ma droite d'autres infrastructures échelonnées le long de la route de Guéville et sa porte éponyme. De ce côté-là, on peut visiter un grand centre équestre et une vènerie. Plus loin, pour des raisons évidentes, la ville a réalisé une station d'épuration.

J'entends au loin les aboiements des chiens de meute.

Il s'agit sans doute de l'heure du repas pour ces animaux, véritables sportifs de race anglo-française tricolore. Très affutés, un magnifique poil court et luisant, des oreilles battantes, un oeil vif et un flair très développé caractérisent ces animaux extraordinaires. Ils participent aux équipages lors des chasses à courre qui attirent beaucoup de curieux et d'observateurs en forêt domaniale de Rambouillet.

Je passe à présent à hauteur de la "chaumière aux coquillages", réputée pour ses excroissances osseuses étonnantes sur les murs extérieurs et surtout la décoration intérieure. Un joli ruisseau sinueux traverse cette partie du parc, aménagé avec de petites écluses manuelles, qui donne au regard du photographe, des clichés d'une prairie à l'aspect buccolique. Il arrive souvent de surprendre quelques hérons cendrés en villégiature.

Mais le parc compte de nombreux habitants.

J’entre alors dans les couverts, empruntant "l’allée de Diane" escarpée et dont l'incidence forte alourdit les jambes et active le cœur et le souffle. Les muscles me tiraillent. J'augmente la cadence de respiration et le balancement des bras pour maintenir mon allure. "Cela bouge dans les taillis denses et touffus ! " Quand ils se dressent d’un seul coup et s’enfuient, secouant avec force la masse de futaie, cela produit un certain émoi et un véritable émerveillement de voir détaler des chevreuils.

Plus loin, un picvert ou bien un pic épeiche, révise ses gammes rythmiques sur les troncs des tilleuls ou des charmes, avec l'espoir insistant de déloger des larves ou des vers. Le parc livre à l'observateur patient, un spectacle musical permanant.

Je débouche en décélérant sur une sente de graves blancs, dite "allée verte", et me retrouve sur un espace herbeux appelé le "tapis vert" qui s'ouvre face aux alignements d'eaux dans lequels se reflète le château. Le maillage des bras de canaux offre aux ragondins et aux oiseaux sédentaires ou migrateurs, six îles extraordinaires, véritables havres de paix.

Ce moment n'appartient qu'à moi en raison du peu de monde présent à cet endroit.

Je prends quelques clichés, figeant sur la cellule de magnifiques statues de cerfs allongés. Je repars aussitôt, croisant un peu plus loin dans un chemin en descente, une femme très élégante à l'allure élancée. Vêtue de bottes, d'un pantalon blanc et d'une veste de tweed sur un chemisier clair avec un beau foulard au nom d'un célèbre messager, elle s'accompagne d'un lévrier racé, dans une livrée gris beige.

J'arrive à la grille qui donne sur le quartier du Bel-Air et je poursuis vers le jardin à la française. Je rejoins alors une pièce d'eau circulaire, "Le Rondeau". En été, la ville tire depuis cet emplacement son feu d'artifices en son et lumière, pour le 14 juillet.

A cette époque hivernale, l'endroit sert souvent de plage pour les "concentrations" d’oies bernaches et de tadornes. Après une séance de navigation et des atterrissages de surfeurs sur leurs pattes palmées, elles tiennent sans doute une conférence matinale. Je les soupçonne de décortiquer leurs plans de vols, en raison des conditions humides du moment. Le bassin s'agite d'ondulations en tous sens, sous l'impact de fines gouttes de pluie, et parfois des poissons semblent vouloir prendre l'air.

Les oies sont éloignées de nos considérations humaines, liées à une actualité d'élections régionales. Quelques foulques macroules au corps noir de geai, bien bavardes et soucieuses de fouiller les fonds vaseux et des colverts élégants en goguette tentent de prendre place dans cet agora très cosmopolite et bruyante.

Le temps d'une éclaircie, le nombre de marcheurs, de poussettes et de coureurs semble augmenter le long des berges du canal principal qui jouxte "l'allée des ormes" du jardin à la française menant à l'un des façades du château. J’empreinte "l’allée de la Prison", assez calcaire. Derrière les haies importantes, se dissimulent la mairie et l'office du tourisme.

La grille d'accès privatif au château s'ouvre pour laisser les visiteurs se présenter à une exposition. J'emprunte la "voie communale des gardes" le long d'un corps de bâtiment-caserne impressionnant. L'impact de mes Asics sur les pavés encore humides me secoue, mais je serre les dents car j'arrive au bout de mon périple.

Je passe la grille de "l’allée du coupe gorge", j’affronte les deux derniers kilomètres sur du macadam.

La route en pente se montre bombée et bordée de lignes arborées de charmes en contre-allées, qui très malades devront être, un jour prochain, remplacés. Je longe le mur d'enceinte de l’ancienne caserne du 501° régiment de chars de combat, illustre formation de la 2ème division blindée du général Philippe de Hautecloque, surnommé "Leclerc". Depuis la dissolution, les lieux hébergent une antenne du Commissariat de l’Armée de Terre.

Je bifurque à droite par la "Route de la Grille de Versailles". Sur la gauche, on devine des jardins potagers réservés à des particuliers. Une ballade au milieu de cette production maraîchère mérite sans aucun doute le détour. Une fois la grille franchie, je reprends la route de Groussay en marchant en douceur pour récupérer.

Fatigué, en sueur, le dos encore glacé, mais très satisfait, j'affiche une grande joie sous l'effet d'une grande production d’endorphines, nécessaire à l'apaisement mental et physique. Encore une belle course dans le parc où j'improvise mes circuits à l'affût de nouvelles découvertes [1]. Un bonne douche m'attend ainsi que des voix élevées et parfois impénétrables.

[1] http://www.bergerie-nationale.educagri.fr/index.php?id=1

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