Il était 18 h 30 ce soir là , je sortais du boulot exténué nerveusement. C’était un beau jour de juin, le soleil allait jouer les prolongations et ça aurait été fort dommage de ne pas en profiter. Bref j'avais besoin de me détendre tranquillement autour d'un verre et de prendre le temps du début de soirée.

Je connaissais justement un pub où il m'arrivait à de rares occasions de prendre une consommation à quelques encablures de ma position. Je m'y rendis donc. À l'intérieur l’ambiance était calme : quelques personnes étaient soit attablées, soit autour du comptoir assises sur des tabourets. De mon côté je pris place seul à une petite table un peu en retrait. J'aimais ce côté à la fois feutré et rustique de l’établissement à travers les boiseries au ton acajou et les fauteuils de cuir.

Un serveur amena ma consommation, je trempa mes lèvres dans le breuvage et reposa le verre. J'avais le temps et aucune intention de me presser ! À proximité une personne s'installa à une table voisine. Je n'y prêtais aucune attention puisque cela me paraissait sans importance. Je notais juste que c'était une femme.

Au bout de quelques minutes et quelques gorgées, la femme se leva et s’avança vers moi. Sur le coup je n’avais pas levé les yeux, c’était une personne qui passait ! Mais voilà qu’elle s’était adressée à moi :

« Excusez-moi, mais… vous êtes Victor Fachet ! » Prononça une voix hésitante.

« Oui, tout à fait ! Et vous êtes… » N’étant pas physionomiste, je n’avais sur le coup aucune idée de qui était cette femme qui m’avait reconnue. Mais très vite elle allait se rappeler à moi !

« Auriane Baclet ! Nous étions à l’école primaire ensemble ! En CM1 si je me souviens bien ! Ça fait tellement longtemps ! »

Et voilà que je me revis étant gamin dans cette cours d’école. J’avais 7 ans et je revoyais l’image d’une petite fille aux cheveux châtain clair attachés en tresse. Un corps plutôt fin et toujours méticuleuse dans sa tenue vestimentaire. Je voyais la personne en face de moi dans ce bar et aucun doute m’était donné. Malgré les années sa chevelure n’avait pas bougé et le visage restait le même ! Aucun doute possible sur la femme en face de moi !

« Je m’en souviens ! Ravi de te revoir ! Tu vas bien ? »

« Contente aussi ! Incroyable depuis plus de 20 ans maintenant ! Je vais bien merci mais je ne vais pas te déranger plus longtemps, tu attends sans doute du monde ! »

« Non, tu ne me dérange pas ! Je suis venu boire un verre seul et je n’attends personne ! » dis-je.

«D’accord, je peux me joindre à ta table ? »

« Oui bien sûr ! »

Elle prit son verre et s’installa en face de moi.

« Alors tu deviens quoi ? Little Victor ! »

« Cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu ce surnom ! » prononçais-je en un éclat de rire. « Il me venait de mes parents à cause de ma petite taille à l’époque du haut de mes 7 ans ! »

« Oui ils t’appelaient tout le temps comme ça à tel point que ça a fini par se transmettre aux personnes que tu croisais ! »

« Sinon je travaille pas loin d’ici, je vis seul mais j’ai toujours des amis pour bouger un peu ! »

« Tu te souviens de notre entente à l’époque ? » demanda-t’-elle.

« Oui, on peut pas dire qu’elle était bonne ! Je crois que tu profitais de ma petite taille ! »

« Tu ne m’appréciait pas à juste titre ! Je me souviens de t’avoir planqué et même parfois piqué pas mal d’objet ! »

« Effectivement, en plus de quelques croche-pieds et quelques chahuts d’enfant ! Et tes parents que deviennent-ils ?»

« Mes parents font leurs vies. Mais ils ne remplacent pas les amis et de ce côté-là il y a eu un moment où j’ai réalisé qu’il valait mieux les mettre à l’écart ! C’est compliqué à expliquer mais c’était mieux ainsi ! Alors je suis partie deux ans travailler en pays étranger.

« Tu as sans doute fait ce que tu pensais juste ! J’ai pas mangé, tu te joins à moi pour nos retrouvailles ? »

«Je veux bien ! Tu es sûr que ça ne te dérange pas ? »

« Non, je n'avais rien de prévu alors discutons !»

Voilà comment commença un imprévu dîner mêlé entre l'enfance et l'adulte.

« Et donc tu étais dans quel pays pendant deux ans ? »

« J'ai eu une possibilité et je suis allée deux ans en Islande !»

« La terre des volcans ! Beau pays j'imagine quoiqu'un peu froid !»

« Oui c’est une culture différente mais j’étais quand même contente de revenir ici et de débuter une nouvelle phase !»

En même temps que nos prises de paroles respectives, me revenait beaucoup d'images d'enfance. Pourtant je n'avais jamais été nostalgique, j'avais toujours regardé devant essayant d’être dans mon époque.

« Et de ton enfance, tu retiens quoi ? » demandais-je

« Je dirais la vision de la vie à travers la naïveté de l'enfance !»

« Oui jusqu’au jour où l'on réalise que la vie ce n’est pas cela ! Que c'est un univers sauvage auquel nous avons été épargné par nos parents ! Et un jour, souvent en étant ado la révélation se fait !»

« Et pour toi ? que retiens-tu »

« Le contact avec les autres ! On n'était pas dans un monde hyper connecté, pour se voir et discuter on sortait dehors et non pas cloîtrés devant un écran ! »

« Mes parents avaient déménagé à l’époque, avant d'arriver dans la même école tous les deux. Et oui il a fallu refaire un réseau d'amis, un monde de gens que je pouvais connaître. »

« Et c’est dans ce but qu’à l’époque tu as cherché à me gâcher l'existence !» annonçais-je en rians.

« Tu crois que c’est à cause de mon attitude envers toi que je suis plutôt esseulée ? » Questionna-t'-elle.

« Auriane notre enfance c’était il y a plus de vingt ans ! Tous les enfants peuvent être vache entre eux mais après on peut grandir et évoluer ! Tu dois bien avoir encore des amis même si le fait de voyager à dû t’éloigner de tes connaissances!»

« Ma vie d'adolescente n'a pas été simple ! D'habitude c’est vers 16 ans que le rapport avec les parents est difficile, moi c'est intervenu plus tard, à l’âge de vingt ans. Un jour après pas mal de petits boulots, j'ai eu l'opportunité de partir pour l'Islande. À l’époque je l'ai fait sans regret puisque je ne parlais plus à mes parents. Alors je me suis éloigné d'eux dans le but de construire et réussir ma vie»

« J'imagine que la décision n'a pas dû être facile ! Tu as fait ce que tu pensais bien pour toi ! Moi aussi j'ai eu des années difficiles mais après tout qui n'en connais pas ? »

« À mon retour, j'ai renoué avec eux, donc en cela c'est positif ! Et je ne regrette en rien ce choix !»

« Et après ces deux ans tu es de retour dans la ville ou tu as passé une partie de ton enfance !»

« Exactement ! Et en en plus il a fallu que je tombe sur toi !» annonça-t'-elle en un éclat de rire. « Contente de voir que tu n'es pas rancunier depuis ce temps et que tu te portes bien !»

« On est des adultes maintenant ! Et puis franchement vingt après à quoi cela servirait ! Rions-en ! Et moi aussi au final c’est un plaisir de te voir !»

« Et donc tu voudras bien que l’on se revoit de temps en temps ?»

« Bien sûr et ce sera toujours avec grand plaisir ! D'ailleurs je te laisse de quoi rester en contact ! »

C'est ainsi que nous avons procédé à un échange de numéro de téléphone. En même temps le repas se terminait. Après le café, nous nous sommes salués juste devant et le pub et chacun de notre côté avons pris une direction.

Nous sommes restés en contact et revus comme promis. Entre nous ça restera toujours amical mais un fort lien d'amitié nous uni. Si ces retrouvailles était nostalgiques, maintenant nous sommes dans le temps présent.