Cuisine 1

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Il existe des expériences qu'on se rappelle toute sa vie, un peu comme le goût du café mi-tiède mi-froid, rester sur la table de la cuisine, bu en toute hâte pour se désaltérer. Oui, c'était immonde, oui, on sait, nous deux resservis une deuxième fois, alors que le robinet n'était pas beaucoup plus loin. Mais le chemin vers un liquide quelconque le plus rapide était cette cafetière.

Il ne fallut que quelques gorgées pour que le goût acide et acre de l'excitation d'Estelle soit remplacé par celui du liquide amer et tiède. Clairement, après courte réflexion, je préférais le premier goût. Mais l'effet principal fut atteint, ne plus avoir la gorge aussi sèche qu'un désert.

— Le meilleur café au foutre que j'ai jamais bu de ma vie, dit Estelle en riant.

— Un peu trop tiède, je trouve, il manque un petit goût froid et désagréable, surenchéris-je.

— Tu peux le couper à l'eau, ça devrait être bien pire. 

– Je note l'idée pour plus tard.

On avait brisé notre bulle en ouvrant cette chambre, l'excitation était retombée, on était de nouveau nous deux, debout dans cette cuisine, nus, notre fond de deuxième tasse de café à la main. Comme retourné dans la vraie vie, à un détail prêt, on avait détruit au burin un mur qui nous séparait à mon arrivée, laissant béante une vulnérabilité partagée que je n'aurais jamais crue possible.

On était au-delà de nu à cet instant, on avait mis carte sur table dans cette chambre aussi effrayante que cela puisse être.

 

— Ça va ?, c'était le ça va le plus sincère que j'ai demandé depuis des années.

— Je redescends de tout ça, mais oui, un peu intimidé, effrayé, mais oui, ça va vraiment bien et toi ? Excusez-moi, vous ?

— On peut arrêter si tu veux.

— Non, j'ai envie de continuer.

— Bien. Oui, ça va, je crois, pareil, un peu effrayé de tout ça aussi, je suppose. J'espère ne pas avoir poussé trop loin la séance un peu improvisée.

Elle me regarda un sourire en coin, buvant le fond de sa tasse.

— Trop loin et pas assez loin, à la foi. J'ai joui, j'ai eu peur, j'ai tremblé, j'ai éjaculé, j'ai crié, j'ai douté. Une improvisation du plus effrayant. 

Elle fit une grande pause, me regardant droit dans les yeux, puis inspectant mon corps de bas en haut.

— Mais c'est aussi une improvisation extrêmement excitante, et la vue est loin d'être désagréable.

Je fis exactement de même, la détaillant des pieds au visage très longuement.

— Je te retourne le compliment, la vue est même des plus belles. 

 

C'était plan plan, mais elle a rougi.

 

— Va falloir le dire beaucoup de fois pour que ça remplace l'image peu reluisante que j'ai de moi.

— Je n'ai pas une plus grande estime de moi-même, on est bien parti nous deux, dis-je en rigolant et m'essayant sur une chaise, action qu'elle suivit aussi.

— T'as parlé d'un contrat freeuse vingt-quatre-vingt-quatre, ce n'est pas rien comme contrat de soumission.

— Oui, je sais, mais j'ai envie de ressentir ce frisson, cette peur, cette mise à nu, cet abandon total et je crois qu'il n'y a que comme ça que je peux l'avoir.

— Je vois, qu'entends-tu par freeuse pour être sûr qu'on ne parte pas dans une mauvaise direction ?

— Une mise à disposition totale de mon corps tant sexuellement que pour l'humiliation. En revanche, je ne veux pas devenir une boniche pour le ménage, la cuisine et tout le reste. Juste sur tout ce qui touche à la sexualité au sens large.

— Je vois, tu peux détailler la sexualité au sens large pour être sûr.

— Tout ce qui peut être assimilé à des kinks et en lien avec le corps et l'emprise. S'il y a une connotation sexuelle possible ou SM, alors ça rentre dedans.

— Par exemple, écarte les jambes. 

 

Elle exposa son sexe entièrement dans un geste fluide.

 

— Oui, par exemple, de simples choses comme ça.

— Je vois pour le sens large. Pour être sûr, avec le consentement, une disponibilité constante, là, je pourrais te lécher, te pénétrer, te fesser. Pareil à ton réveil, dans la nuit, si tu regardes une série ou fais quelque chose, je te désire et j'assouvis mes envies à volonté.

— Oui, c'est ça.

Je marquai une longue pause ne pouvant pas empêcher mes yeux de se balader sur la nudité d'Estelle.

— C'est extrêmement dangereux comme règle, on se rapproche presque du CNC. Au vu de ma situation, c'est un contrat qui m'excite et m'effraie à la fois. Je risque d'avoir énormément d'appétit, d'envie, de contrôle suite à mon passé récent. Je n'ai pas envie d'aller trop loin.

— J'aurais mon safe word, bien sûr.

— Par là, je veux dire que ton safe word doit être utilisé dès que possible, et surtout dans ce contrat, je veux une ouverture totale de la parole en permanence, sans crainte, envie, peur. Je n'ai pas envie de te faire du mal. Je ne veux pas une soumise muette qui suce, avale et dit oui à tout et qui garde tout pour elle. C'est ma condition pour un tel contrat.

— C'est une condition qui me donne encore plus envie de signer, dit-elle, un sourire en coin. Plus sérieusement, je comprends votre point de vue, et c'est, comment dire, mignon, qu'un dominant ait peur de trop user sa soumise. Ça me conforte dans l'idée de vous laisser ma confiance et mon corps. 

Elle avait un aplomb total dans ses réponses, jouant de sa position assise, jambe écartée, une main passant de temps en temps sur son sexe ou sa poitrine. Je repris d'un ton enjoué.

— Bien, petit test. Que ce qui t'a déplu et que tu ne souhaites pas reproduire qui ait eu lieu dans cette chambre avec le plus d'honnêteté possible.

— Sans surprise, me faire sentir ma culotte, c'est quelque chose qui met trop face à mon dégoût de mon sexe pour le moment. Va falloir du travail sur ça. Au fond de moi, c'est une pratique humiliante qui m'excite sur le papier, mais en pratique, je n'y arrive pas trop. Contez-vous de votre sexe et vos boxers pour le moment.

Ensuite, faire des annulingus ne dérange pas, mais les poils ici, si. Je veux bien vous lécher, mais dans ce cas, il va falloir passer un coup de tondeuse, dit-elle en riant.  Et je crois que c'est tout en potentiellement bloquant.

 

— C'est bien noté, pour la suite. Si d'autre chose te vient, n'hésite surtout pas à me dire.

— C'est plus une demande qu'une remarque, si c'est possible.

— Je crois que tout est possible, c'est le but.

— Dans l'entretien, je vous ai dit que vous seriez maitre de mon sexe.

— Oui, en effet.

— J'aimerais que vous m'épiliez, je voudrais voir mon sexe que je déteste. Le voir en permanence devrait m'aider à l'accepter, je pense.

— Tu sais, je trouve une vulve non épilée tellement féminine et puissante. Ça donne un côté femme que je trouve très sexy. Disons que tant que tu n'aimes pas ton sexe, je l'épilerai.

— J'aime bien l'idée, j'avoue.

Elle passa longuement sa main sur son pubis, ses lèvres intimes, l'idée semblait effectivement beaucoup lui plaire. 

— D'autres demandes

— Oui, une dernière, quel est votre ressenti ou votre sentiment sur ma domination dans la chambre ?

 

Elle était fière de sa question, elle savait très bien que le jeu devait être dans les deux sens.

 

— Contradictoire sur bien des plans et excitant sur bien plus de plans. Tu étais d'une soumission qui me faisait peur, tant de possibilités après tant de privation. C'était excitant et étrange. Je voulais te baiser juste pour assouvir une envie bête de masculinité, j'avais aussi envie de te lécher et de te voir jouir. J'avais autant envie de me noyer dans ta chatte qu'envie de t'enculer et de te faire crier. Mais je ne voulais pas être juste soumis à mes émotions de virilité mal placées. Une sorte de débat intérieur pour ne pas tomber dans une facilité d'ego. Ta soumission était comme un cadeau et à la fois un piège pour mon esprit.

— Et dire que c'est cette résistante aux pulsions qui m'a fait douter de moi.

— Oui, après, je n'ai rien dit, c'est ma faute. C'est pour cela que, pour le contrat freeuse, je veux que tu sois prête à tout moment à parler ou à utiliser ton safeword. J'ai un peu peur de te sauter dessus comme un morceau de viande à ma disposition. Je veux pouvoir assouvir tes envies complètes de soumission. Va falloir que je trouve un équilibre avec tes attentes.

— On va avoir du travail alors et j'ai hâte qu'on commence.

— Va chercher une feuille et un stylo alors.

— Bien maître.

 

Elle se leva et pausa sa tasse de café tout en provocation sur la table, fesse tendue et bien penchée.

– On va attendre un peu pour le papier et le crayon, je crois.

 

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