« Eden, tu sais pourquoi l'eau de mer est salée? » me demande Hatsya en se tournant vers moi. Nous étions assis sur le sable au bord de l'eau et nous contemplions ce sombre horizon. L'écume fraîche des vagues venait chatouiller nos orteils et repartait. Sans détacher mon regard fixé au loin, je lui réponds « C'est la fée salée qui parcourt les océans, la nuit. Elle secoue sa baguette magique et du sel en tombe. »
Je la regarde, elle secoue la tête pour dire non, un sourire malicieux dessiné sur ses lèvres. « Alors c'est cette histoire d'érosion de roches provoquée par la pluie et de propagation des sels minéraux qui étaient dedans ? » Elle secoue de nouveau la tête et se retourne pour regarder la mer qu'on ne voyait pas. Puis elle commence à me raconter :

« -C'était il y a très longtemps, en Chine. Deux frères. A la mort de leur père, l'aîné saisit tous les biens et ne laissa rien à son cadet qui s'engouffre dans la misère. Un jour, en rentrant d'une pêche pas fructueuse du tout, il trouve une meule à grains au bord de la route, il la prend en se disant que ça pourrait toujours lui servir, même si lui et sa femme n'avaient aucun grain à moudre.

-Attends, je suis désolé de te couper, mais qu'est ce que c'est, une meule ?

-Je crois que ce sont des gros cylindres qui servaient à broyer des grains. »

Je hoche la tête en fixant le sable, essayant de m'imaginer ces cylindres. Hatsya continue : « Dépité, le cadet donne un coup de pied dedans et la meule, en tournant, produit du sel, énormément de sel et ne s'est arrêtée que lorsque le cadet l'a retournée. Il vendait ce sel miraculeusement produit à ses voisins et sortait peu à peu de la pauvreté. Son frère aîné apprit la nouvelle et lui a demandé de lui emprunter la meule. Le cadet, plein de respect, la lui prête mais n'a pas eu le temps de lui expliquer comment ça marchait, tant son grand frère était pressé de la prendre. Arrivé chez lui, l'aîné réussit à la mettre en marche, et la meule remplit sa maison de sel au point de craquer son toit. Effrayé, ne sachant pas comment l'arrêter, il la jette par sa fenêtre et elle se met à dévaler les collines pour atterrir dans la mer. Encore aujourd'hui, la meule tourne dans l'océan et continue de produire du sel, personne n'est allé la chercher. Personne ne sait où elle est. »

Un court silence apaisant, durant lequel on n'entendait que le bruit des vagues, et le chant des cigales, s'installe. Je réfléchissais, et j'ai décidé de briser cette quiétude en donnant vie à ma question.

« -Est-ce qu'il y a une quelconque morale à ce conte ?

-Je ne sais pas, Eden, je la cherche encore. Peut-être qu'il n'y en a pas vraiment. »

Hatsya et moi marchions désormais le long de la plage, nous étions toujours incapables de voir les vagues venir et repartir, malgré les quelques lampadaires qui illuminaient la route de l'autre côté. Mais nous entendions le bruit de la mer. Et les étoiles qui jonchaient le ciel, éclairaient notre chemin et ajoutaient à ce merveilleux décor où nous étions, beaucoup de magie. La douce brise fraîche qui soufflait et son effluve qu'elle ramenait à moi.
C'est de cette façon que je me rappelle d'elle. Lorsqu'elle n'est pas avec moi, son souvenir me vient avec le chant des cigales et le doux parfum des nuits d'été. Il vient avec la chaleur de sa main qui serrait la mienne. Il vient avec l'odeur de la plage et la fraîcheur du sable dans lequel nos pieds s'enfonçaient.
À ce moment précis, je m'étais dit que je ne suis né que pour vivre ce moment. Je m'étais dit que je suis né pour la rencontrer, pour la voir à côté de moi, sa main dans la mienne, et son visage tourné vers cette plage qu'on distinguait à peine.