Bobette Van Der Steen rabatit nerveusement la mèche qui lui barrait le front. Elle n'aimait pas les psychologues, mais après sa blessure lors de sa mission en Bordurie, le coach bien-être du Service Action avait insisté pour qu'elle en voit un. Elle avait dans un premier temps refusé, mais un médecin avait menacé de lui retirer son accréditation si elle ne se pliait pas au protocole. C'est avec des pieds de plomb qu'elle entra dans la salle d'attente. Elle fut accueillie par un jeune homme à l'allure avenante, tout sourire.

Au moins, il est mignon.

— Vous êtes nouveau ? fit-elle. Où est le Docteur Larsen ?

— Je crains que nous ne le verrons plus ici. Il a été suspendu. Voies de fait sur un de ses patients. Il a pété les plombs et s'est pris pour un flic un peu borderline. C'est moi qui vais m'occuper de vous? Tortellini. Docteur Thomas Ludovic Tortellini. Rappelez-moi votre nom ?

— Van Der Steen. Bobette Van Der Steen.

— Pas votre couverture. On est là pour parler de vous aujourd'hui. Pas d'une de vos identités fabriquées de toutes pièces.

— Julie. Enfin, Anne-Julie, mais plus personne ne m'appelle ainsi.

— Bien Anne-Julie. Parlez-moi un peu de vous.

— Je vous ai dit que plus personne ne m'appelait ainsi...

— Justement. Je suis personne. Mais allez-y, je vous écoute. Comment vous décririez-vous ?

'tain. J'suis encore tombée sur un grand philosophe.

— Ben j'ai deux bras, deux jambes... normale quoi.

T'arrêtes pas de m'reluquer, pas besoin qu'j'te fasse l'inventaire de c'qu'y a dans l'emballage.

— Où êtes-vous née ?

— Ben en Belgique. Avec un blaze pareil, pas difficile à deviner, si ?

— Je vous rappelle qu'on parle de vous. Pas de votre personnage.

— Ouaip. En Allemagne. Munich exactement, ajouta-t-elle de mauvaise grâce.

— Quel est votre passe-temps favori ?

— Dégommer les méchants. J'rigole. Je dirais le sport, la nature. Voyager. Combiner tout ça.

— Ah bon ? Quels sports ?

— Course à pied, ski. J'adore la montagne. Je grimpais mais j'ai mis ça de côté. J'aime bien le paddle.

— Le paddle ? C'est ce sport qu'on joue avec une pala et une balle, c'est ça ?

— Non, ça c'est le padel. Moi, dès qu'il y a une balle, je suis toute perdue, nulle à chier. Je parlais du SUP paddle, vous voyez, ce truc sur l'eau, on se tient debout...

— OK je vois. Des frères et sœurs ? Des animaux de compagnie ?

— Un frère. Et j'ai un chat. Enfin une chatte.

...

— Oui enfin, une chatte, la bestiole hein ! Elle se fait vieille, elle a plus de quinze ans. Mais toujours bon pied bon oeil. Enfin, bonne patte.

— Quelle est votre couleur préférée ?

— Le noir je pense. Comme mon âme.

— Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans la vie ?

— Ma fille.

Et Fille. Mais bon, j'vais pas lui dire ça, il va croire que j'suis barge.

— As-tu un plat préféré ?

— On s'tutoie maintenant ?

— Pardon. Avez-vous un plat préféré ?

— Plein. La currywurst...

— Vous vous moquez de moi ?

— Ben non. J'adore ça. Avec des frites et de la mayonaise sucrée. C'est le goût de mon enfance. Sinon j'adore les sushis aussi. Surtout au thon. Je crois que je porte une part de responsabilité dans l'extinction de l'espèce, ajouta-t-elle, penaude.

— Et quel est...

— J'aime trop le poisson, les fruits de mer. Je raffole des saint-jacques et des huîtres.

— Bien mais...

— Sans oublier le chocolat ! Rapport à mes origines. C'est comme pour les sushis.

— Vos origines ? Vous n'êtes pas allemande ?

— Ah mais non !! J'y suis née et j'y ai vécu dix ans, mais je suis belge, une fois !

— D'accord. Je comprends mieux. Noir ou au lait ?

— Noir bien sûr. Ma couleur, mon âme, tout ça... Mettre du lait dans le chocolat, c'est comme en mettre dans son café... quelle horreur !

— Et on fait des sushis en Belgique ?

— Rhhooo alléï dis, oui, une fois. Avec de la mayonnaise et des frites.

Il est con ou quoi ? Les sushis, c'est nippon. Ni mauvais.

— Pourquoi riez-vous ?

— Pour rien. Un jeu de mot idiot qui m'a traversé l'esprit.

— Du coup, vous avez anticipé ma question. Plutôt thé ou café ?

— Vous connaissez déjà la réponse. Sans sucre et noir. Comme mon âme.

— Pourquoi dites-vous ça ? Vous avez un côté sombre.

— Un p'tit, oui.

— Développez.

— Non. Vous ne voulez pas savoir.

— Je vais vous citer une série de mots. À chaque fois, vous me direz le premier mot qui vous passe par la tête.

— Merde !

— On a pas encore commencé.

— Je sais.

— OK, on ya va. Rouge.

— Sang.

Merde ... j'aurais du dire "amour" !

— Blanc.

Pureté. Ou neige ?

— Coke !

Putain, pourquoi j'ai dit ça ??

— Bikini.

— Neige !

— Coeur ?

Qu'est-ce que tu m'veux là ? Pas touche, mec !

— Réacteur. Nucléaire, hein !

— Bombe ?

— A.

— Comment ça "ah" ?

— A. Atomique.

— Vous êtes sujette au bégayement ?

— N... non !

— Quel est votre film préféré ?

— Il fut un temps je faisais un top 10. Mais j'ai perdu l'film. Pardon, le fil. Je suis assez fan de Tarentino, Pulp Fiction... et Kill Bill. Je peux rajouter le jaune dans mes couleurs préférées ?

— Si vous voulez. Et côté série ?

— Je ne suis pas trop série. Mais jusqu'il y a peu, je mettais Le Jeu de la Dame tout en haut de la liste. Pas besoin de faire un top 10. Mais là, je pense que je vais mettre Shogun sur la même marche. Vous l'avez vu ?

— C'est de vous qu'on parle, pas de moi. Et votre émission de TV préférée ?

— J'aime pas la télévision. J'ai beaucoup regardé le meilleur forgeron, pour mon bouquin, mais ça a fini par me lasser. Y a un truc aussi, The Repair Shop. J'aime bien le concept de faire durer les choses. J'avoue, je regarde plus de téléréalité que de vraies émissions. J'ai honte. Mais je ne regarde la TV que quand je rentre vannée et que je ne suis plus capable de lire ou de mettre un bon film.

— Et votre livre favori ?

— Alors là, j'ai un top 10 super-organisé et régulièrement mis à jour. Je vous renvoie au deuxième chapitre de mon oeuvre "Mon île déserte". Y a tout. Et c'est rigolo. Enfin, je pense.

— Un auteur ou une autrice préféré(e) ?

— Ouiiii !! Même si je m'en suis lassée, j'ai été une grrrrrande fan d'Amélie Nothomb. Elle est belge. (elle appuie ses dires d'un clin d'oeil). J'ai tout lu d'elle, tout lu sur elle. J'ai vu ses oeuvres au théâtre, je l'ai poursuivie pendant les séances de dédicaces. Comme une gamine. J'ai même fait une thèse de doctorat sur elle.

— Vous rigolez ?

— Pour la thèse de doctorat, oui. (re-clin d'oeil)

— Quelles sont vos qualités principales ?

— Oh putain. J'aime pas quand on me demande ce genre de truc. La résilience ? Et peut-être l'empathie.

— Quelles sont vos faiblesses ou vos points à améliorer ?

— J'suis bordelique et je procrastine. Plus tous les autres défaut, mais j'ose pôô vous le dire.

— Quelle est votre devise ou citation préférée ?

— Alors là, sans hésitaion : "on ne hait point celui qu'on méprise, mais bien l'adversaire qu'on estime égal ou supérieur à soi". C'est de Nietzsche. Je sais, moi aussi j'ai du la relire deux fois avant de c omprendre. En gros, ça veut dire que les cons ne méritent pas notre haine.

— Préférez-vous le thé ou le café ?

— J'ai déjà répondu, non ?

— Comment passez-vous vos week-ends ?

— Comme toutes les mères de famille.

— C'est à dire ?

— Ben je fais chauffeur de taxi pour ado, je repasse, je lessive, je nettoie, j'essaie de me trouver un peu de temps pour moi, je me fais ch... à imaginer ce qu'on va manger le soir. La routine quoi. Mais quand je peux les passer ailleurs que chez moi, j'en profite vraiment.

— Avez-vous des talents cachés ?

— Joker.

— Qu'est-ce qui vous inspire dans la vie ?

— La vie.

— Quelle est votre saison préférée ?

— L'hiver. A condition qu'il neige. J'adore la neige, le froid bien piquant, le soleil bas sur l'horizon sur un paysage tout blanc...

— Aimez-vous voyager ? Si oui, quelle est votre destination préférée ?

— J'adore ça. Et j'aime bien les années 50, tous les espoirs étaient permis à l'époque. J'aime aussi aller me balader vers 2266 sur l'Enterprise.

— Laissez de côté Bobette. Revenez à vous.

— OK. J'aime beaucoup l'italie. Et le Japon, mais c'est plus cher.

— Quelle est votre chanson préférée ?

— Roadhouse Blues. Des Doors.

— Vous n'avez pas hésité une seconde.

— Non. J'adore la musique. Mais ce morceau m'électrise toujours. Depuis trente ans.

— Préférez-vous les chiens ou les chats ?

— J'ai déjà répondu. En outre, j'ajoute que je n'aime pas trop les chiens.

— Quelle est la chose la plus précieuse à vos yeux ?

— Ma fille.

— Mer ou montagne ?

— Montagne. Sans hésitation.

— Plutôt du matin ou du soir ?

— Du soir. Tard le soir même.

— Aimez-vous cuisiner ? Si oui, quel est votre plat préféré à préparer ?

— Je cuisine par devoir familial. Mais si j'avais le choix, je préfèrerais de loin passer ce temps à faire du sport, à lire ou à écrire.

— Préfèrez-vous lire ou regarder des films ?

— J'aime les deux. Mais si je dois choisir, lire.

— Avez-vous des projets personnels ou professionnels dont vous êtes fier(ère) ?

— Personnels, oui. Ma fille. Professionnels aussi, j'en ai quelques-uns. J'ai travaillé longtemps dans la coopération. Ca m'a fait relativiser l'importance des choses.

— Avez-vous des croyances ou des valeurs qui vous sont chères ?

— Je méprise la religion et je suis convaincue que les relations, qu'elles soient interpersonnelles ou internationales, sont le résultat de la confrontation entre nos valeurs et nos intérêts. Je suis du coup très pragramatique, parfois cynique. J'ai confiance en la capacité de l'homme à s'adapter... quand il est en danger. Y a encore du chemin.

— Préfèrez-vous le sport ou la lecture ?

— Docteur... comment encore ? Docteurs Canelloni, si vous me demandez de choisir entre ces deux choses, on ne va pas être copains.

— Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

— Retraitée. On peut rêver hein ;-) Pour pouvoir écrire. Mais je pense que j'ai encore une vingtaine d'années à tirer. Heureusement, j'adore mon taf.

— Quelles sont vos habitudes matinales ?

— Je suis réglée comme une machine de guerre. J'éteins mon alarme, je me brosse les dents, je prends une douche. Puis j'ouvre les yeux et j'allume la lumière.

— Préfèrez-vous la ville ou la campagne ?

— J'aime les villes mais pas pour y vivre. J'adore m'y ballader ou y passer un weekend, ou un midweek. Mais pas plus. J'habite à la campagne et ça m'em..., mais la qualité de vie y est bien meilleure qu'à la ville. Si j'avais le choix, je choisirais la montagne.

— Quel est votre parfum de glace préféré ?

— La triple chocolat de chez Jeff de Brugges. Talonnée de près par la Pralines & Cream de chez Haagen Dazs. Putain d'ricains, y finiront par tout nous piquer.

— Comment définissez-vous le succès ?

— Atteindre ses objectifs et pouvoir continuer à se regarder dans la glace. Si en plus, on a le sentiment d'avoir apporté sa petite pierre à l'édifice, c'est top.

— Avez-vous des personnes qui vous inspirent ?

— Courtney Dauwalter. Une ou deux autres aussi, mais il faudrait que je réfléchisse.

— Préfèrez-vous sortir avec des amis ou rester à la maison ?

— Sortir. Moins je suis à la maison, mieux j'me porte. Ou presque. Même écrire ou lire, je préfère faire ça ailleurs. Vous faites quoi ce soir, Docteur ?

— Avez-vous des compétences particulières que peu de gens connaissent ?

— Je peux voyager dans le temps.

— Julie !

— D'accord. Je peux prédire le futur. Enfin, à la louche hein ;-)

— Revenez sur terre et laissez Bobette là où elle est très bien, dans vos oeuvres.

— Nan mais j'suis sérieuse !

— Quelle est votre plus grande peur ?

— Que le cours du cacao s'envole. Non, sérieux. Décevoir mes proches peut-être ?

— Quelle est votre plus grande réussite jusqu'à présent ?

— Ma fille.

— Qu'est-ce qui vous rend heureux(se) ?

— Ma fille. Et la vie.

— Quelles langues parlez-vous ?

— Quelques-unes.

— Mais encore ?

— Bah, français, néerlandais, anglais, allemand, japonais...

— Japonais ?

— Ben oui. Rapport sushis. Mais j'sais pas l'lire. Enfin, très mal.

— Quelles sont vos attentes envers l'avenir ?

— J'en ai pas. Si, survivre peut-être.

— Préférez-vous l'été ou l'hiver ?

— L'hiver. Mais avec d ela neige hein !

— Aimez-vous rencontrer de nouvelles personnes ?

— Ah, vous ne faites donc rien ce soir ?

— Avez-vous des habitudes ou des manies particulières ?

— Je ronronne rien qu'en sentant l'odeur du chocolat chaud. Quand on le cuit, ça cocotte grave et j'adore ça.

— Quelle est la leçon la plus importante que vous aiyez apprise dans la vie jusqu'à présent ?

— Le positif attire le positif et les trois-quarts de l'humanité sont beaucoup plus mal lotis que nous. Du coup, il faut apprécier et vivre à fond l'instant présent.

— Je vais vous montrer des images et vous me direz ce qu'elles évoquent pour vous.

— ...

— Un carré de chocolat.

— ...

— Une currywurst frites. Et là dans le coin, la mayonnaise. Sucrée.

— ...

— Une chatte. Enfin, ce coup-ci, pas la bestiole hein !

— ...

— Une tablette de chocolat. Vous m'montrez les vôtres, Docteur ?

— C'est bien Julie. Vous pouvez y aller.

— Et j'ai bon Doc ? Pour mon accréditation ?

— Votre accréditation ?

— Ben oui pour le service Action.

— Votre accréditation ?

— Ben oui. J'y tiens. Je compte bien repartir en mission. J'ai laissé un truc inachevé, quelque part dans les fifties, à Moulinsart.

Il soupira.

— C'est bon Julie.

Elle quitta la salle comme une fusée. Il faudrait qu'il en parle à la DRH. La p'tite dame frisait le surmenage.