La fracture

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Je suis dans la maison familiale. Je tourne sur moi-même, et je parcours des yeux la pièce où je me trouve. Quelque chose cloche. Puis soudain, je comprends. Le salon dans lequel je suis n'est plus le même que maintenant. Les poutres qui me sont familières ne sont pas là. À la place, se dressent un mur et une porte. C'est la maison de mon enfance. Celle que j'ai connue. Celle que je ne connais plus, maintenant.

Soudain, un cri retentit. Un appel. Quelqu'un crie mon prénom. Un petit enfant surgit dans la pièce, et se précipite sur la petite table de salon. Il pose pêle-mêle une dizaine de jouets, principalement des petites voitures.

Tête blonde, âgé de cinq ans, je reconnais mon petit frère. Je m'apprête à le héler mais une sensation désagréable me traverse. On vient de me traverser. Au sens propre du terme. Un garçon, plus vieux que mon frère m'est passé à travers. Je me reconnais. C'est moi. Je comprends alors que ce sont des souvenirs que je croyais avoir effacé de mon cerveau. Je m'approche doucement, et attendri, je m’assois sur le petit canapé, en face d'eux. Je les regarde se chahuter, chacun voulait prendre le petit bolide qui, dans leurs imaginations, roulait le plus vite. Je me vois céder au caprice de mon petit frère. Il se saisit de la voiture, heureux. Alors, il commence à la faire rouler tout autour des petites décorations, posées sur la table. Emporté dans son élan, il court de plus en plus vite, en imitant le moteur ronronnant.

Je reporte alors mon attention sur moi. J'ai mimé un carambolage entre deux voitures, qui se sont percutées à pleine vitesse. Je souris, touché. Dix ans plus tard, je serais littéralement au volant d'une voiture. Je ne jouerais plus, je le vivrais réellement.

Soudain, mon Moi du passé se trouble. Telle une fumée, il finit par s'évaporer dans l'air. Je me relève, ne comprenant pas ce qu'il se passe. Tout devient flou autour de moi. Puis le néant apparaît. Très vite, j'aperçois de nouvelles formes, de nouveaux contours se dessiner.

Je suis alors dans la cuisine. Instinctivement, je me tourne vers ma mère. Je reconnais ce souvenir. Ma famille et moi avons fini de manger. Assis sur les genoux de ma mère, encore attablée, tandis que mon père et mon grand frère débarrassent la table, j'enserre mes bras autour d'elle. Emmitouflé dans sa petite robe de chambre, je sens sa chaleur tout près de moi.

Devant ce spectacle attendrissant, je ne peux m'empêcher de verser une larme. Quand est-ce que tout cela s'est arrêté ? Suis-je capable de me souvenir du soir où, pour la première fois, je ne montais pas sur ses jambes ? Du soir où, j'ai décidé pour la première fois, de quitter mon enfance protégée ?

Les contours se troublent de nouveau. Je me retrouve dans la chambre de mes parents. Je suis dans le lit parental, un livre dans la main. À mes côtés, se trouve une nouvelle fois ma maman. Elle aussi, lit un gros livre très épais. Je me souviens. C'était notre rituel du vendredi soir. Nous nous retrouvions après le repas, dans son lit. Nous lisions en silence notre livre, savourant la présence réconfortante de l'autre. Je m’affaisse alors à leurs pieds, ne pouvant stopper les larmes qui roulent sur mes joues.

Que s'est-il passé ? Pourquoi ai-je quitté ce monde doux, chaleureux, heureux ? Depuis ce jour, depuis que j'ai quitté l'enfance – je ne saurais même pas quand exactement – tout a brutalement changé.

À quel moment exactement, les sourires étincelants et les rires cristallins ont été remplacés par les sanglots saccadés et les larmes intarissables ?

Ma relation avec ma famille s'est détériorée, devenant chaotique. Je me terre continuellement dans un silence. Mon silence. Là où avant, je racontais tout à ma maman, je ne dis plus rien désormais. Plus je grandissais, plus j'apprenais à me découvrir et plus je m'éloignais d'eux, peut-être par honte de ce que je devenais, peur de ternir l'image du parfait petit garçon que mes parents avaient façonné.

Je sais que rien ne pourra devenir comme avant. On ne peut pas réécrire l'Histoire. Quelque chose s'est brisé en moi, en nous, qui est irréversible.

Regarde ce que je suis devenu. Un homme brisé par la tristesse et par l'amertume. Un homme en décalage avec les autres. Un homme qui ne veut plus vivre, complètement désillusionné.

Ça y est, le moment est arrivé. Je sens mon être devenir de plus en plus léger. Tout s'efface autour de moi. Ce sont les conséquences de mon geste. Brisé par la vie, j'ai voulu, par revanche, la détruire. Et j'y suis parvenu.

Profite de ton enfance, petit homme. Car bientôt, tu comprendras ce que signifie réellement vivre. Et crois-moi, cela te dégoûtera.

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