36

2 minutes de lecture

    Clotilde me manque, même si on se voit encore pendant les récrés. On ne s'est pas retrouvés dans la même classe de seconde. L'autre jour, elle parlait à un mec de sa classe. Il était tactile avec elle. Ils se souriaient, se dévoraient de leurs yeux brillants de complicité. Le type mesurait au moins 1m85, avait une barbe plus fournie que la mienne et dégageait une inébranlable confiance en lui. Cette vision me traverse encore la tête. J'aimerais plus que de l'amitié avec Clotilde. J'ai essayé de le lui faire comprendre pendant les vacances. Hélas sans succès. Pour elle, je suis un frère. Elle me trouve très gentil, et assez mignon. Sortir ensemble gâcherait notre amitié, d'après elle. Je vais encore beaucoup penser à elle pendant les vacances de Noël qui approchent.

    Je remonte vers la sortie côté Saint-Ex. Une vive discussion entre une demi-douzaine d'élèves, filles et garçons, dans un recoin avoisinant le bâtiment gris dédié aux cours artistiques, me sort de mes pensées. Des quatrièmes ou des troisièmes, vu le physique de certaines. Un grand costaud invective un petit gars en surpoids, aux joues rondes couvertes de plaques roses, sous les rires bruyants de ses acolytes féminins. Le jeune pris à partie, trop intimidé pour faire preuve de répartie, s'éloigne à grandes enjambées sous la pression d'insupportables moqueries. Une prof passe dans les environs, tourne la tête vers le groupe, la détourne et poursuit son chemin à la hâte, le visage droit et concentré, perturbée par le tracas et la culpabilité. Il me semble avoir déjà vu plusieurs fois ce gamin se faire humilier, se faire appeler Bouboule.

    Une fois sortis du lycée, j'arpente l'avenue direction Mongré. Une scène lointaine, dans mon dos, m'interpelle encore de par son bruit. Un type encapuchonné dans sa doudoune Fila, paire de Nike aux pieds, un Fanta dans la main droite, se dispute avec un surveillant devant l'entrée. Celui-ci s'éloigne et le type à la doudoune, énervé, vocifère des paroles en français et en arabe, puis lance des Vive BenLaden ! Vive BenLaden ! en s'éloignant. Il jette sa cannette orange contre le grillage et monte dans une BMW noire. Le véhicule démarre violemment dans l'avenue calme.

    La méchanceté que j'observe chez les gens m'a toujours effaré, moi qui trouve mon plaisir dans la sympathie envers autrui dès lors qu'il me respecte, conscient qu'en m'intéressant à l'autre, je fais naître dans les yeux de cet autre une lumière prête à rejaillir en moi. Donne et tu recevras. Malheureusement, peu de gens partagent ma philosophie, comme si me rapprocher de mes semblables m'éloignait du monde. Un drôle de monde. Oui je me sens parfois né dans un drôle de monde, à l'aube d'un drôle de siècle...

Annotations

Vous aimez lire Frater Serge ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0