12 Repérage

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La semaine suivante le lieutenant Dautun travaillait et les séances d'entraînement furent donc courtes et irrégulières. Le repas au restaurant avait insidieusement modifié nos rapports. Nous avions laissés entrevoir un peu de notre personnalité que nous préférions cacher jusqu'alors. Il en restait une gène persistante qui nous incitait à restreindre nos paroles au strict minimum. Elle avait laissé entrevoir la femme derrière l'uniforme et mon regard sur elle avait changé. Pour autant ma procrastination habituelle repris vite le dessus me faisant tour à tour envisager de fuir ou de reprendre notre badinage. De son coté elle semblait gênée et soucieuse. En était elle au même point que moi ? Elle qui semblait si sûre d'elle et de son destin paraissait maintenant indécise sur le chemin à prendre.

Cette valse hésitation fut bientôt interrompue par une nouvelle qui remit « la mission » au centre de nos préoccupations. Un vendredi elle débarqua chez moi tard dans la soirée et visiblement très excitée.

- J'ai une grande nouvelle à vous annoncer : je sais où les trafiquants cachent leur labo. Nous allons enfin passer à l'action !

Elle était comme un fauve qui a flairé l'odeur de sang. C'est à ce moment là que je pris peur, une peur panique. Dans quoi m'étais-je engagé ? Et pourquoi ?

Elle sembla s'en apercevoir et entreprit immédiatement de me remotiver.

- C'est une grande nouvelle. Nous sommes près de l'aboutissement de nos efforts.

- Heu... Les vôtres peut-être mais pour moi ceux-ci ne font que commencer et le danger avec !

Elle me regarda, consternée par mon attitude.

- Enfin, vous n'avez pas subi cet entraînement seulement pour le plaisir égoïste de faire joujou avec votre don. Une mission nous attend et nous devons l'accomplir avec courage. C'est notre devoir.

- Cette mission vous vous l'êtes attribuée vous même et vous voulez m'entraîner dans cette folie. Tout ça pour exercer une vengeance personnelle contre ceux qui sont responsables de la mort de votre cousine.

- La mort de ma cousine est le déclencheur de mon action mais le but actuel n'est pas une vengeance personnelle c'est une mission de protection des citoyens. Il y a des gosses qui meurent dans nos rues, certains d'overdoses, d'autres dans des guerres entre trafiquants. Toute une jeunesse sacrifiée sur l'autel de la cupidité des maffieux qui tirent les ficelles depuis la coulisse. Qui pour les sauver sinon nous ?

Que pouvais-je dire contre ça. Je ne répondit pas mais restais sur mon attitude d'opposition ce qui l'incita à en remettre une couche.

- Votre don justement. Nous ne savons pas d'où il vient mais en le recevant vous êtes devenu un autre homme. Vous ne pouvez pas refuser d'assumer ce pour quoi il est destiné. Superman, Spiderman et bien d'autres héros de comics ont un don et il s'en servent pour le bien de l'humanité. Pour une fois, la réalité rejoint la fiction. Vous êtes un super-héros à votre tour.

- Oui, sauf qu'ici nous ne sommes pas dans des comics mais dans la vrai vie et il ne faut pas compter sur l'auteur pour que l'histoire finisse bien.

- Vous manquez de confiance en vous, là est le problème.

- Vous ne comprenez pas que j'ai peur? Je n'ai jamais demandé à être un héros et à affronter des trafiquants sans scrupule. J'avais une vie paisible et sans surprise jusqu'à maintenant.

Cet aveux était sorti malgré moi. Tant pis si elle me trouvait lâche.

- Lorsque vous comprendrez que votre valeur est bien plus importante que ce que vous pensez vous serrez alors réellement un super-héros. Pour autant la peur restera tapie en vous comme elle se trouve aussi en moi. Ce n'est pas une faiblesse mais une force. Elle nous empêche de faire des choses inutilement dangereuses. Mais la peur ne doit pas vous paralyser. On apprend à la dompter.

Comme je ne répondais pas elle essaya de négocier.

- Voilà ce que je vous propose : nous allons faire un repérage du site et voir comment nous pourrions agir. Et on reparlera de la suite après.

Sa proposition semblait honnête et j'acceptais finalement de la suivre.

Le lendemain soir elle m'emmena au bord de la rivière, du coté non aménagé où la végétation pourrait nous cacher. Le laboratoire des trafiquants était installé dans d'anciens docs sur l'autre rive. Rassuré par notre éloignement du site et par la discrétion rendue possible par les buissons je la suivi. Elle avait emporté une paire de jumelles puissantes et traquait des mouvements révélateurs de l'autre coté. Elle finit par repérer quelques chose. Elle me prêta ses jumelles et me montra une silhouette qui faisait les cents pas.

- Regardez entre le bâtiment rouge et le portique. C'est un guetteur. Il doit y en avoir au moins un autre de l'autre coté des docks, Logiquement ils devraient être armés jusqu'aux dents. Le labo se trouve dans le troisième bâtiment, au rez de chaussée.

J'examinais les lieux, impressionné.

- Je le vois. Il sera difficile de se rapprocher discrètement. Vous comptez vous y prendre comment ? Ici nous sommes bien trop loin pour que je puisse faire quelque chose.

Elle ré-examina attentivement les lieux avant de me répondre.

- Que diriez-vous d'une petite ballade en barque. On se laisse entraîner par le courant et une fois à portée « Boum » !

- Amusant. Par une nuit sans lune et avec un ciel couvert peut-être pourrons-nous approcher jusqu'à cent mètres. Là il faudrait qu'ils soient miros pour ne pas nous voir et quelle belle cible nous ferions.

Je l'entendis grommeler un « Pas faux » qui visiblement la contrariait beaucoup. Nous échafaudâmes plusieurs solution pendant près d'une heure, nous déplaçant précautionneusement le long de la rive pour varier les angles de vue. Elle s'inquiétait sur la faisabilité de son projet et devant la difficulté son impatience augmentait.

- Bon sang, il doit bien avoir un moyen d'approcher. A quelle distance pouvez-vous agir ?

- Vous le savez aussi bien que moi : cinquante mètres à travers une fenêtre, vingt à travers un mur et à condition que celui-ci ne soit pas trop épais sinon vous devrez me ramener sur une civière.

- Et envisageriez-vous de neutraliser au moins un de ses hommes...

- Pas question, je ne suis pas un assassin.

- Mais les assassins ce sont eux qui volent impunément la vie de la jeunesse !

- J'ai dit pas question.

C'était vrai. Pour moi exercer mon don au dépend d'un humain était impossible. Je ne me voyais même pas le faire sur un animal.

Brusquement un sourire inquiétant se dessina sur ses lèvres.

- Il n'y a qu'un moyen, il faut que je fasse diversion.

- Vous êtes folle !

Ce cri m'avait échappé.

- Non. Je vais vous amener à proximité de la cible par le bord de la rivière. Le chemin qui suit la rive ne remonte au niveau des docks qu'à quarante ou cinquante mètres du bâtiment. Je les occupe ce qui vous permettra de courir jusqu'au petit muret qui détermine les limites du parking. De là ce serra du gâteau.

- Et si vous vous faites tuer ?

- C'est un risque à prendre. Dans mon métier on a toujours une épée de Damoclès au dessus de la tête. La violence peut exploser pour un simple contrôle d'identité. J'ai un collègue qui en a fait les frais. Le risque je le connais et je l'assume. La question c'est vous : êtes-vous prêt à le faire aussi ?

Je réalisais alors que depuis que nous étions ici je me comportais comme si mon accord était acquis. Je regardais avec les jumelles le garde qui faisait les cent pas. Ces hommes se croyaient intouchables, bravant la force publique avec une impudence qui me mit en colère.

« mais que fait la police ? ». Cette réflexion abrupte et injuste je l'avais déjà entendu. Peut être même l'avais-je employé dans l’excitation d'une discussion de comptoir. Maintenant que j'avais les moyens d'agir pouvais-je rentrer chez moi tranquillement en me disant « ce n'est pas mon problème » ? Et puis à quoi avait servi ma vie jusqu'à ce jour ? Qu'avais-je apporté à la société de vraiment utile ?

Je poussais un soupir de lassitude et me tournais vers elle.

- Ok, je vous suis.

Ce fut à son tour de pousser un soupir mais de soulagement cette fois. Elle me donna une tape sur l'épaule.

- J'espérais de toutes mes forces cette réponse. Je vous remercie de votre confiance. Vous êtes moralement à la hauteur de votre don.

- Vous m'avez convaincu. Je le ferai au nom de votre cousine et de tous ceux qui ont étés détruits par la saleté qu'ils distillent sous notre nez.

Pourtant, une fois chez moi je me posais des questions sur ma motivation. Lui avais-je dit toute la vérité ? N'était-ce pas aussi pour elle que j'avais accepté ? Jusqu'à maintenant je lui avait présenté l'image de quelqu'un de timoré,maladroit, timide. Quelque part elle avait déjà réussi à me changer. Je ne me jugeais plus aussi sévèrement et j'avais envie de lui montrer que j'étais à la hauteur pour gagner son estime. Je repensais à mademoiselle Antonin. J'avais été pathétique dans mon rôle d'amoureux transi. Au fond j'avais toujours su qu'il ne se passerait jamais rien entre elle et moi. J'avais baissé les bras avant même de tenter ma chance et il était trop tard. Mais il y avait d'autres mademoiselles Antonin.

Une pensée déplaisante me traversa l'esprit : « Avant de faire le joli cœur devant qui que ce soit encore faudrait-il que tu t'en sortes vivant ! »

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