Rachel

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Rachel courrait depuis presque dix minutes dans une forêt qu’elle ne connaissait pas. Elle paniquait au fur et à mesure que le soleil déclinait derrière les grands arbres. Séparée de son amie pour un besoin d’intimité, elle s’était perdue sur le chemin du retour. Elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle, se courba en deux et tomba nez à nez avec un petit animal touffu.

Ses longues oreilles rassurèrent la jeune femme.

— Un lapin. Lui dormira au chaud cette nuit.

Elle sentit poindre un point de côté et fit quelques pas, histoire de ne pas accentuer la douleur. La journée avait bien débuté : une balade en forêt sous un soleil magnifique. Pourquoi fallait-il que sa maladresse la mette toujours dans des situations inextricables ? Elle leva la tête vers le ciel, le crépuscule ne tarderait pas.

Rachel fit le tour d’un tronc d’arbre pour essayer de déterminer où se trouvait le nord. Puis elle s’immobilisa. Le découvrir ne lui serait d’aucun secours. Sur un terrain nu, déterminer les points cardinaux était facile. Mais dans ce lieu inconnu, elle ignorait comment quitter la forêt et retrouver la civilisation. Elle arrangea ses cheveux et décida de trouver un abri sommaire pour y passer la nuit.

Elle fit quelques pas entre les bosquets et les arbres, puis tomba sur la rive d’un magnifique étang. Le spectacle qu’offrait la nature lui coupa le souffle. Elle prit le temps de jouir du coucher du soleil. Une brume légère s’élevait en volute de l’eau, elle se déplaçait vers les arbres en de fantomatiques formes de monstres. Rachel se félicita d’être une femme très courageuse, en plus d’être une experte en gaucherie.

Faire le tour de l’étang pour espérer découvrir un commerce ou un refuge lui sembla la meilleure des solutions. Rachel passa entre deux arbres, à quelques mètres de la rive quand elle l’aperçut. Un semblant de sentier se découpait dans l’herbe. Un rapide coup d’œil vers le ciel, entre deux arbres, lui confirma que le soleil était couché. La lumière déclinerait vite. Au détour d’un tronc, elle s’immobilisa et se frotta les yeux pour s’assurer de bien distinguer les contours de l’objet qui venait de paraître devant elle. Elle s’avança prudemment et dérangea un long serpent qui s’enfuit devant ses chaussures, sa queue a seulement quelques centimètres de son pied droit. Rachel eut un frisson, elle détestait les serpents. Elle s’assura d’un dernier regard qu’il ne fasse pas demi-tour.

L’atmosphère changea brutalement, les volutes de brumes s’intensifiaient.

En prenant la peine d’observer tout autour, elle prit la mesure de sa découverte. Contrairement à ce qu’elle pensait, le brouillard ne masquait pas le bâtiment. Au cours de ses vingt-trois années d’existences, ni les contes de fées ni les histoires surnaturelles ou d’horreurs n’avaient trouvés grâce à ses yeux. Très terre à terre, elle étudiait la géologie. La singularité qui s’offrait, difficilement explicable, lui coupa le souffle.

Une porte fermée flottait dans le vide, à quelques centimètres du sol.

Rachel la dépassa et en fit le tour. Pas de trace d’incendie ni de début de construction. Intrépide et voulant en avoir le cœur net, elle posa sa main sur la poignée pour l’ouvrir lorsqu’un inscription apparut en lettres luminescentes sur le bois :

« Cher voyageur, tu peux décider de franchir cette porte et accepter ta nouvelle vie, emplit d’incertitudes et de surprises. Tu peux refermer la porte et poursuivre ta vie actuelle. Toute action est définitive et irréversible. »

Rachel fit un pas de plus quand une nouvelle inscription, plus petite, s’afficha :

« Cher voyageur, le passeur n’est pas responsable de ta destination. Toi seul tiens ton destin en main. Cette porte s’ouvre pour toi sur ton Nouveau Monde. »

Amusée et indifférente à ces mises en garde, elle franchit le seuil. Un sourire étira ses lèvres, il ne s’était rien passé, bien sûr.

Subitement, la brise derrière elle se transforma en courant d’air et la porte claqua. Le bruit la fit sursauter et fermer les yeux. Crispée, elle pivota lentement sur elle-même de nouveau face à la porte. Abasourdie, elle ne put que constater que la porte, ainsi que la forêt et l’étang venaient de se faire avaler par le brouillard.

Quelques instants plus tard, la brume elle-même finit de se déliter et Rachel cligna des yeux. Après un pas, elle s’accroupit pour caresser le sable blanc. Son regard se perdit vers l’horizon. Un immense océan turquoise s’étirait à perte de vue. Des bruits de pas s’enfonçant dans le sable lui firent se relever et faire face à quelqu’un. Enfin ! Rachel réclamerait des explications et demanderait à retrouver la civilisation au plus vite. Il portait sur lui des vêtements qu’elle n’avait jamais vus. Sa tenue et surtout l’imposante épée qu’il portait au côté la fit penser à une lointaine époque, qui semblait révolue à jamais. Rachel entendit son cœur battre trop rapidement dans sa poitrine. Un bel homme, aux yeux bridés et la bouche boudeuse, l’observait en retour. Bouche qui s’ouvrit pour déverser des mots qui sonnaient comme un avertissement qu’elle ne comprit pas. Plus vif que l’éclair, il sortit l’épée du fourreau, poussa Rachel derrière lui et coupa la tête du serpent. Rachel le reconnut. Il s’agissait du serpent rencontré seulement quelques minutes plus tôt. Elle fit volte-face. Le sable blanc était toujours là, mais l’étendue d’eau qu’elle avait prise pour la mer n’était autre que l’étang. Différent. L’eau lui parut plus pure.

Elle prit une grande bouffée d’air, il était plus léger. L’homme fit quelques pas vers elle. De nouveau, il lui parlait dans une langue inconnue.

— Pardonnez-moi. Je ne comprends rien à ce que vous me dites. Je viens de passer une porte qui n’aurait pas dû exister et j’ai l’impression d’être dans un rêve.

Elle se pinça très fort.

— Aïe. Si quelqu’un m’expliquait ce qu’il se passe, je ne penserais plus devenir folle. J’imagine que vous n’avez pas vu la porte et que vous ne comprenez pas un mot de ce que je raconte à mon tour ?

L’homme lui sourit aimablement et remit son épée dans son fourreau. Il l’invita à le suivre. Rachel hésita un instant. Malgré l’insistance de son regard sur l’endroit où elle pensait que la porte lui était apparue, rien de nouveau ne se produisit. Pendant de longues minutes, ils marchèrent en silence, elle suivait scrupuleusement ses pas.

Après ce qui semblait des heures, devant une sorte de grotte à flanc de colline, il l’invita à entrer et lui tendit un épais livre dont la couverture en cuir accusait les âges. Rachel le lui prit des mains et s’installa sur un rocher, en hauteur, à l’abri des bestioles. Sans un regard pour son hôte, elle posa le livre sur ses genoux et l’ouvrit.

Il s’agissait d’un vieux journal, les pages jaunies couvertes d’une écriture fine, lisible et soignée. Rachel en feuilleta les pages jusqu’à la fin et put constater qu’il était terminé. Le nom de la personne qui tenait le journal n’était pas mentionné. Elle leva le nez du livre. Le beau guerrier s’affairait autour du feu. La nuit avançait. Elle se mit à lire rapidement avant que l’obscurité ne le lui permette plus.

Le texte, rédigé en parfait français surpris Rachel. Son esprit buta plusieurs secondes sur la date à laquelle le journal débutait.

« 05-07-2065. Aujourd'hui, c’est la fin de la sale guerre. Personne n’a signé de cessez-le-feu. C’est la fin de la guerre car il ne reste plus rien de l’ancien continent. Tout est mort. L’homme a réussi l’exploit de détruire son propre monde. Nous sommes une poignée de survivants. Nous allons vers l’Est. Avant les derniers bombardements, c’est de là que venaient les avions qui larguaient les vivres. »

Fin du premier paragraphe. Rachel leva les yeux de l’ouvrage. – Ce journal, c’est vous qui l’avez écrit ? Vous comprenez ce que je dis ? C’est de la fiction n’est-ce pas ?

L’homme devant elle mit un temps infini avant de se retourner pour lui faire face.

— J’ai bien peur que non.

Cette fois Rachel le comprit parfaitement.

— Vous parlez ma langue ! Je vous ai pris pour un étranger. Je pensais devenir folle en imaginant avoir franchi une barrière inexistante vers l’Asie, mais nous sommes en France ! Vous faites souvent ce genre de blague ? Donnez-moi votre téléphone, je vais demander qu’on vienne me chercher et prévenir que je vais bien.

Elle sauta du rocher, lui rendit son journal et tendit la main gauche en échange du téléphone. L’homme posa sa main sur la couverture et l’invita à le garder. Il s’installa sur une pierre plate, à côté du feu.

— Ce sont mes ancêtres qui m’ont appris votre langue. Elle est devenue universelle. Votre nation s’est sacrifiée pour que quelques hommes survivent. La guerre a duré presque dix jours et a rayé des pays entiers et un continent de la carte du monde. Aujourd’hui, nous savons que seulement cinq pour cent de l’ensemble de la population mondiale de l’époque a survécu. Essentiellement dans les petites îles à travers le monde et en Asie de l’Est. Des populations difficiles d’accès qui représentaient peu d’intérêts pour les plus riches nations. Avant la fin de toutes les technologies, ils ont extrait le plus de données possible sur les différents pays et leurs histoires. Ce journal est un témoignage précieux du monde tel qu’il était juste après la guerre. Il raconte le périple de quelques-uns à travers les horreurs de l’après-guerre. Leur quête pour rejoindre l’Est leur a coûté beaucoup de vies. Je suis là parce que certains y sont parvenus. Dont l’auteur de ce journal, mon ancêtre.

Rachel s’effondra sur ses jambes et passa plusieurs fois ses mains dans ses cheveux.

— Vous n’êtes pas surpris qu’une femme surgisse à travers une porte ? Venant de nulle part ? Ce n’est pas possible. Je suis en train de faire un cauchemar. Je vais me réveiller. Je vais me coucher et attendre que le soleil se lève. Je suis sûr que tout rentrera dans l’ordre.

Sans lui laisser le temps de répondre, elle se roula en boule, sur l’herbe rachitique devant la grotte. Protégé d’un côté par le feu, de l’autre par l’entrée sombre.

— La nature offre de temps à autre un cadeau à une personne. L’opportunité de vivre. Même si c’est difficile à croire pour vous. Nous en reparlerons demain. Dormez bien.

Il couvrit Rachel d’une épaisse cape en lin et fit chauffer la viande du lapin qu’il venait de dépecer. Les prochains jours seraient particulièrement difficiles pour la jeune femme. Elle était la dernière des voyageurs attendus dans une prophétie à laquelle personne n’avait cru, sauf certains des siens dont lui. Ces gens, venus du passé, sauveraient ce qu’il reste de la race humaine. Du moins, c’est que les survivants espéraient. Son rôle serait d’aider la jeune femme à se familiariser et vivre dans son nouvel environnement. Il était son guide.

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