"Once" le héro d'une fois ?

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Putain, fais chier, je vais me faire virer.

Oui, je sais ça commence avec des gros mots. Mais bon, ça m’a pris six mois à trouver un job d’étudiant correct.

Tout ne se serait pas passé comme ça si ce matin à 6h20 je n’avais pas passé dix minutes à essayer de trouver mes vêtements dans le noir et sortir sans faire de bruit de la chambre que je partageais avec mon petit frère.

En plus, ce petit poucet démoniaque avait laissé traîner ses legos : la plus terrible Némésis des pieds nus.

À cause de tout ça, je faillis rater mon tram’ du samedi matin pour aller au boulot.

Le casque sur les oreilles, mon esprit jonglait entre un bon morceau de rock et les rues grises à peine réveillées le long des rails, quand une voix féminine et mielleuse me sortit de mes rêves.

Mesdames, Messieurs, suite à un encombrement sur les voies nous devons attendre qu’ils finissent par partir pour pouvoir redémarrer. Nous nous excusons de cet incident à durée indéterminée.

Tout le monde se mit à souffler en chœur, comme si une vague de mécontentement nous avait envahie en même temps. Je sortis mon portable et regardai l’heure : 7h15. Je fus soulagé de voir que j’avais encore pas mal d’avance. Heureusement que j’avais décidé de mettre mon réveil plus tôt pour prévoir ce genre de désagrément.

Un homme plus agacé que la moyenne, et sûrement pas aussi prévenant que moi, ouvrit la fenêtre du tram et se mit à gueuler.

— Bougez vos culs, bande d'emmerdeur, il y a des gens qui doivent bosser ici !

Il finit par un “putain” tonitruant en rentrant sa tête esquivant de peu une boule de feu qui avait rasé les fenêtres.

En face du tramway, des lumières rouges et vertes s’agitaient. On n’aurait pu se dire c’est quoi ce bazar ? Mais je connaissais très bien son origine. De la racaille pourrissant le quotidien de tout le monde. Un super-héros… et un super-méchant. Vu la couleur verte, j'hypothèsais sur cinq méchants possibles… non trois : Decepti etait en prison et Radiowave était à Long Hollow hier soir, donc difficile qu’il soit revenu en une nuit.

Quant au héro… qu’importe, c’etait tous les mêmes de toute façon.

Autour de moi, les passagers regardèrent par la fenêtre si les deux gêneurs avaient réagi au hurlement du passager. Mais non.

Sur les rails à 100 mètres, un combat faisait rage, mais ça, tout le monde s’en foutait.

À une époque tout le monde aurait adoré voir ça, filmant et rapportant ces bribes de vidéos comme des trophées leur garantissant le respect éternel de leurs amis. Mais de nos jours, on n’en avait plus rien à faire. Le monde s’était lassé des capes et des slips.

En fond sonore, une voix préenregistrée répétait en boucle comme un sutra “messieurs, mesdames, veuillez patienter cinq minutes que le tramway redémarre.

Soudain, derrière nous, un groupe d’hommes masqués et armés avec un symbole ridicule sur le torse entrèrent par l'arrière du tramway. Pas la peine d’être devin pour savoir que c’était des sbires. Un job étudiant comme un autre, quoique sous-payé selon moi.

Les ravisseurs nous attachèrent tous et nous obligèrent à nous asseoir, collés les uns contre les autres comme dans une boîte de sardines.

Et on dut attendre. Longtemps. Cette situation rendit certaines personnes tarées, mais bon qu’est-ce que tu peux bien faire les mains attachées ? L'un d'entre eux tenta de se jeter sur la fenêtre pour la traverser, en vain. Du verre triple épaisseur anti-attaque magique et surnaturelle, c'est du costaud ça. Faut croire que certaines personnes ne supportent pas la proximité. .

Enfin pour la plupart.

Moi, eh bien je me reposais. Fermant les yeux, méditant tranquillement en attendant que ça passe, ou qu’un idiot ait une autre idée.

Pendant un instant, je me dis : “Et si personne ne vient nous aider. Et si les ravisseurs reviennent et nous tuent tous… Et si...” Et merde me voilà infecté par la peur des autres maintenant, je comprends pourquoi les gens n’aiment pas la proximité, outre les odeurs d’aisselles et les manies agaçantes des autres.

Au fond de moi, une voix se réveilla.

— Et si… tu les défonçais. Au pire tu les exploses ? Tu t’en débarrasses et comme ça pas de crainte, pas de risque.

Et une autre voix, la raison, je pense, répliqua :

— Et comme ça on sera grillé, et fini les vacances. On n’est bon pour trouver un coin perdu, un nouveau job et nouvelle identité. C’est tout à fait brillant autre-voix-qui-me-parle. Aussi malin que l’autre débile contre le verre.

En fait, je crois que c’était plus mon côté râleur et pessimiste.

Mais la première voix souleva quelque chose d'intéressant. Qu’est-ce qui me retient ici ?

Tous ces efforts pour une vie ordinaire. Ce n’est pas comme si j’étais indispensable. Papa avait retrouvé du travail, et mon petit frère etait assez grand pour se débrouiller, maman allait mieux, et moi j’avais bientôt fini mes études. C’etait la ligne de départ d’une nouvelle vie, une vie d’adulte. Enfin c’est comme si c’était la première fois que je vivais une vie d’adulte.

C’est vrai, c’est ma… huitième. À force je connais, il n’y a pas de raison de paniquer.

C’est sûr que jusqu’à maintenant c’était mon choix de prendre des vacances et de vivre une vie normale. Je pourrais mettre fin à tout ceci.

Les vies antérieures, c’est bizarre, non ?

Plus il y a de vie, plus il faut un choc fort pour se souvenir. Moi, j’avais 5 ans quand je suis tombée, ça m’a suffi. Je me suis rappé le genou s’était rien, mais j’étais seule. Alors j’ai eu peur. J’ai paniqué et j’ai pleuré. J’avais 4 ans, quoi. Puis le tsunami de souvenirs est arrivé. Un kaléidoscope de souvenir de mes vies passées, de mes expériences, de mes choix, de notre obsession.

Une mémoire commune de 8 générations dans l’esprit d’une enfant, c’était trop.

Je suis resté dans le coma pendant 5 jours.

À mon réveil le monde qui m'entourait était totalement différent, tous mes repères avaient disparu. Mon innocence et mon enfance perdues.

J’ai voulu paniquer. Mes 8 vies passées m’ont dit que ça ne servait à rien. Je n’ai pas pu paniquer.

Il me fallut des semaines pour m’habituer à mon nouveau moi. Hébétés, muette et observatrice mes parents ont mis ça sur le réveil du coma. Dans un sens, ils n’avaient pas tort. Puis il a fallu que je trouve un sens à ma vie ; à 4 ans me voilà déjà avec des problèmes d’adulte.

J’aurais pu suivre notre obsession la “Voie de l’infinité des étoiles”, un nom pompeux pour un art martial magique impossible et immaîtrisable. Enfin presque.

Je me rappelle du premier moi, lorsque avec un manque respect total, les siens l'avaient humiliés pour avoir fait le choix de cette voie. Fort heureusement, il avait un don des plus puissant pour l’aider : la réincarnation. Pourquoi choisir une voie impossible alors qu’une voie plus simple permet d’atteindre cette félicité ? Changer nos souhaits plutôt que changer le monde. On avait changé le monde, on avait sacrifié nos vies pour apprendre à maîtriser cet art et pour quoi, rien. Pour l’utiliser ? Pour se battre ? J’avais vu de nombreuses guerres commencer et se finir. Nos motivations s’éteindre. Nos convictions, nos combats disparaître avec les âges.

Réussir l’impossible. Impossible pour toute une vie, certes, on avait juste eu besoin de huit. Notre but, notre obsession s'était réalisé à ma vie précédente.

Et moi, il ne me restait rien. Moi, la neuvième réincarnation.

Vouloir quelque chose si longtemps, et d’un coup l’obtenir me laissait un goût amer dans la bouche, pire, une perte de saveur.

J’y ai réfléchi : tant de temps perdu pour finalement ne pas s’en servir, quel gâchis! C’est à ce moment que j’ai pensé devenir un héros. Erreur de jeunesse. Il m’aurait fallu longtemps pour trouver un nouveau sens à mon existence.

Finalement, il ne me restait qu’un choix : les vacances. Ou plutôt prendre une vie sabbatique. Pour penser, se retrouver, trouver un but. Pour une fois faire autre chose que suivre cette Voie.

Penser à moi…

Et là que voulais-je ?

Soudain, je vis l’heure sur la montre de mon voisin.

7h45 ! Je vais être en retard. Par tous les plans de Gnord le génie démoniaque, je vais me faire virer.

Et c’est là que j’ai décidé que les vacances étaient finies.

Je concentrai toute mon énergie en moi, et brisa les cinq cercles de mon corps qui empêchait la matière noire de circuler dans mon corps. Un des moi sourit : c’est bien maintenant appelle l’énergie à toi et concentre-là dans tes mains pour te détacher.

C’est ce que je fis. Une petite flamme noire entoura mes mains et commença à lécher le plastique de l’attache qui m’emprisonnait. Presque instantanément, celle-ci se mit à se désintégrer.

Libre, j’ai fait ce que j’avais à faire et je dois bien avouer que je me suis laissé aller un peu au niveau théâtralité.

D'abord, j’ai créé une fine couche de matière noire autour de mon corps pour me rendre invulnérable aux balles, puis j’ai juste eu à m’avancer vers mes ennemis. Me douchant dans leurs balles, je crois avoir laissé échapper un rire sadique et j’ai peut-être désintégré plusieurs de leurs armes avec mon feu noir juste pour les terrifier. Et bon sang, qu’est-ce qu’ils étaient terrifiés ! Je me demande si ça fait partie de leur contrat de fuir lâchement quand la situation devient désespérée. Enfin bon, je les ai frappés d’un bon uppercut en profitant de leur désarroi et de quelques prises particulièrement douloureuses. Avec ça ils pourront toucher des indemnités. Il faut de la solidarité entre étudiants.

Et c’est comme ça que je ne suis pas arrivé en retard.

Ah non, il a quand même fallu que je m’occupe des deux crétins devant le tram’ pour que celui-ci puisse redémarrer. Et tout le monde a été sauvé et à l'heure, ou presque.

Donc, ça veut dire que je suis un héros ? Merde, ça c’est nul. Et ma tranquillité alors ?

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