45 - Racines de la haine

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8e jour de la saison du sapin 2450

Azéna scruta les alentours avec attention. Du haut des remparts de l'académie d'Archlan, elle avait une belle vue d'ensemble du champ de combat. Les Gardiens d'Aerinda défendaient ardemment leur territoire et la force d'un dragon dominait aisément de quelques adversaires allant à une dizaine. Des groupes d'envahisseurs s'attaquaient entre eux lorsqu'ils se croisaient. Au bout d'un moment, des porte-bannières firent éruption dans la mêlée, hurlant des cris de guerre pour encourager leurs troupes. Il y avait deux groupes distincts. Le premier se composait des sbires de la Confrérie de Sombrelame et le deuxième, de ceux de la Légion Ancestrale. Des étendards ondulèrent au rythme des brises puissantes qui persistaient depuis la destruction de l'élémentaire. Les cadavres s'empilaient et la situation devenait alarmante. 

Voir les différentes factions se détruire irritait la dragonnière. Ce qu'elle aurait adoré que Turion se serait manifesté physiquement. Il était si vaste, si gigantesque, même plus que Rendar et il les auraient tous écrasés.

Elle se sentait comme une bête entourée de dompteurs qui se déchiraient les uns les autres pour déterminer un vainqueur qui aurait l'honneur de tenter de l'amadouer. Savait que toute cette folie était pour elle, plus précisément pour Turion. Et de ce fait, elle avait perdu un être cher et de surcroit, elle s'était retrouvée seule, ne sachant comment ses amis allaient réagir à sa décision de devenir indépendante. Elle risquait de les perdre eux aussi, que ce soit par principe ou en cause de ce satané serment.

Tout cela pourquoi ? En raison de l'avidité, d'une obsession avec un pouvoir légendaire. Pour dominer, pour le contrôle ? N'était-elle qu'un trophée ? Une vulgaire arme... ? Une carte menant à la volée violette peut-être ? D'ailleurs, a qui pouvait-elle faire confiance ? Son père, le grand hydromancien Eldarytzan, semblait croire que même les Gardiens étaient corrompus. Elle avait tant espéré que ce ne soit pas le cas... Sa famille qu'elle avait choisie : envolée comme son adoptive. Ça faisait mal.

Plus rien n'allait dans sa tête. Tout était un chahut, un bordel chaotique. Sa respiration comme son battement de cœur accélérèrent. Sa mâchoire se serra, invitant une série de muscles à suivre l'exemple. Des larmes roulèrent le long de ses joues et sa lèvre trembla vivement. Une vague de chaleur traversa son corps et transforma la tristesse en une colère noire dans son sillage.

Elle n'en pouvait plus. Elle ne supportait plus rien.

Elle sentit la présence réconfortante du légendaire wyrm émerger de son subconscient. Cette fois, il n'était pas là pour la calmer. Il avait été infecté par la rage de sa dragonnière. Il connaissait ce sentiment de perte, cette amertume profonde, cette déception tranchante. Il grandit en force, trop rapidement, trop impulsivement. Il grogna, montrant les crocs et le corps qui le portait l'imita sous requête. Le bruit caverneux qui fut poussé prit Tyrath et Mania par surprise. Les deux dragons eurent un mouvement de recul.

— Azé... ? appela le drake argenté, examinant la demi-elfe intensément.

Elle se vira vers lui et croisa son regard inquiet. Sa vision vacilla, altérant momentanément à des nuances de violet. Elle sentit ses émotions turbulentes se calmer. Ce jusqu'à qu'elle aperçut le cadavre de son père et là, tout revint comme une avalanche sur son âme.

— Ces royaumes impitoyables ! Ils devraient tous payer !

Cette fois, ces mots sortaient de sa propre volonté, mais bientôt, l'équilibre allait reverser en la faveur de Turion. Elle n'était pas consciente de si son physique avait alterné et honnêtement, elle avait peur de le savoir. Quelque part au travers de sa rage, elle craignait de faire du mal à ceux qu'elle chérissait. Elle se prit la tête entre ses mains et grimaça, incapable de dissiper sa soif de vengeance.

Son corps entier frémissait et pourtant, elle n'avait pas froid. Au contraire, elle avait senti des perles de sueur se formés sur son front. Elle n'osait pas bouger, de peur de perdre totalement le contrôle. Son sang était trop échauffé et l'empêchait de se détendre comme elle l'avait espéré.

— Azé, souffla Tyrath.

Il s'approcha d'elle et l'entoura affectueusement de son aile translucide affectée par la lueur émeraude de la lune. Il effleura sa chevelure soyeuse de son museau sous le regard bouleversé de Mania qui avait enroulé sa queue autour de son dragonnier défunt.

C'était une bien misérable scène.

Azéna se cramponna sur un pique qui saillait de l'épaule de son précieux compagnon et se hissa jusqu'à son dos. Il n'était pas équipé de sa selle ce qui était un inconvénient, mais l'archère qui luttait contre la marée furieuse qui se dressait en elle ne désirait que de la proximité au drake. Elle s'étendit contre les écailles mouillées et se concentra sur sa respiration, mais étrangement, cela encouragea juste ses désirs belliqueux.

— Azé qu'est-ce que tu va faire ? enquit doucement le jeune dragon.

L'adolescente les entendait, toutes les voix de son passé. Sale petite sorcière... Sang mêlée !... Regarde-moi ces cheveux maladif... Pah ! Portes plutôt attention à ces yeux d'un bleu anormal, à ce regard fauve... Elle n'est clairement pas humaine... Azéna je t'en supplies, même si c'est difficile, écoutes ton père... Elle a des poussés animalesques ! Des instincts primales, agressifs... Je pari que c'est elle qui a volé mon sac de monnaie... Crois-tu qu'elle soit vraiment capable de lancer des malédictions ?... Tu n'es pas des nôtres ! Tu as été abandonnée à notre porte ! Vraiment, tu pourrais te comparé à une chatte de gouttière chanceuse... À présent, tu seras connue sous « Azéna de la tempête » ... Nous sommes tes parents biologiques Azéna... Née d'hiver, fléau des plus grands... Tu n'es qu'un réceptacle pour un pouvoir grandiose... Le serment... Le serment... Respecte le serment... LE SERMENT !

— Je ne vais pas sacrifier ma personne pour sauver mon âme, rogna-t-elle, ces paroles inspirées du second être en elle. Ils ne gagneront pas, pas une deuxième fois.

Des souvenirs d'une guerre si vieille qu'elle était devenue une légende racontée par les seigneurs de guerre submergèrent son esprit. Comme si on l'avait pressé d'un fer chauffé à blanc, son cœur semblait se serrer de douleur. Sa main se porta d'elle-même à sa poitrine et elle ressentit des griffes effleurer sa fragile peau. Il s'ennuyait. Turion lamentait son partenaire déchu, son premier dragonnier. Pourtant, il n'avait passé que si peu de temps en sa présence. Azéna n'y comprenait rien et pourtant, dans un sens, elle s'y identifiait au travers de la perte de son père biologique. Elle n'avait pas eu la chance de profiter de leur lien. C'était injuste.

Au loin, elle crut apercevoir un dragon familier qui luttait contre une bande de guerriers. Ceux-ci tiraient des chaines sur lui, limitant de plus en plus ses mouvements. Dans sa désespération, il souffla un jet d'eau et deux de ses assaillants furent repoussé sauvagement contre une maisonnette, les tuant sur le coup.

Où était Fayne là-dedans ? Pourquoi Buhrik était-il seul ?

Elle tenta de se raisonner, de trouver l'énergie de continuer. De lutter. Mais aussitôt qu'elle commença à faire un peu de progrès, elle se sentit défaillir. Et puis... Elle était si fatiguée... Se battre en valait-il la peine si Fayne était tombée aussi ? Elle gémit, incapable de faire quoi que ce soit d'autre. Son cœur se brisa enfin, elle comprit enfin pourquoi les dragons violets avaient abandonnés leurs vœux.

— Tout va bien aller Zé, lui promit Tyrath. Buhrik est fort. On devrait aller l'aider.

Pas de réponse.

— A-Azé... ?

L'adolescente était épuisée. Elle en avait trop endurée. Turion le sentait et s'agitait. Elle n'avait pas la volonté de lui résister et elle s'en moquait. Pourquoi devrait-elle ? Après tout, ce grand wyrm célèbre avait forgé le pacte entre les vols draconiques et les humanoïdes. Peut-être n'avait-t-elle jamais eu la force de le faire en premier lieu. Dans touts les cas, il était prêt à les défendre, pour leur bien-être. Il en avait assez lui aussi et son esprit supérieur dominait au-delà du sien. Elle se retira dans un coin de leur conscience commune où il se cachait habituellement pour ne pas écraser son esprit. Cette fois, c'est lui qui aurait le contrôle. Les deux étaient trop négligents pour envisager les conséquences, infectés par le chagrin et la rage.

L'archère sentit son subconscient se faire dominé par une autre entité, celle-ci bien plus vaste et infectée par de terribles souvenirs de sang, et elle la laissa prendre le contrôle.

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