37 - Pour la gloire

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32e jour de la saison de la lune 2450

Tout comme à Atgoren, on fêtait en ce jour, mais pour des raisons entièrement différentes. La dureté de l'hiver renforçait le cœur des invités à ce banquet extravagant. Enfin, Gosform était indépendante et tout était rentrée dans l'ordre aux yeux de sa mère la reine. Elle avait accordée quelques jours de répit à son armée sous les supplices de ses conseillers. Ce moment de détente était presque à terme. Les soldats profitaient de cette dernière nuit de liberté avant de partir pour entamer la guerre.

Serfantor, vêtu d'un long manteau sombre et d'un écharpe cramoisis enroulée à son cou, n'avait que sa gigantesque épée pour compagnie. Il délaissait Shalith plus fréquemment, abattu par l'état de cette dernière ainsi que du sien. Il se surprenait à devenir colérique pour des riens. Son entourage consumait lentement sa bonne volonté et il ne se reconnaissait plus. Il tentait tant bien que mal de se diriger au travers du fléau qu'était son peuple en se fixant à son but à long terme avec obsession.

Il était entouré de la cour royale et se sentait de trop. Il ne réussit qu'à prendre quelques bouchées de son repas et une seule gorgée de vin. Il endura les acclamations à son égard qu'il n'apprécia guère et attendit vers la fin de la soirée pour s'éclipser en douce.

Assis aux rebords de la toiture du palais de la reine, il observait la cité enveloppée dans son habituelle noirceur éternelle. Les ruelles regorgeaient de citoyens qui cherchaient tous un peu de bonheur avant l'horreur. Les lupanars se noyaient dans des marrées de profits. Les mâles se faisaient fréquemment abusés par les femmes, dominantes et froides. Il y avait tant de cruauté, tant d'injustice, que Serfantor n'y pouvait rien à part se renfrogné sur lui-même.

Quelques prêtresses au visage dissimulé derrière un masque funeste filèrent le long d'une rue principale menant au centre-ville. Celle qui menait le groupe de ne cachait pas et le dragonnier la reconnut aisément : Lizria. Elle levait une dague de rituel vers les cieux et clamait des louanges à la déesse Èlskaëve. Derrière elle, ses sbires trainaient quelques jeunes elfes gris en pagne en en chaines. Quelques un souriait avec enthousiasme tandis que d'autres grimaçaient de malaise ou d'anxiété. Ils étaient tous choyés d'un physique attrayant. Ce n'était pas difficile de deviner ce qui les attendait. Ils avaient sûrement été achetés ou loués d'un établissement de plaisir sans leur consentement.

L'un d'eux refusa de continuer sa marche et Lizria elle-même lui balança sa lame à la joue, lui écorchant assez profondément la peau qui ruissela doucement de sang. Il regretta sa décision et avança à petits pas maladroits.

Serfantor baisa les yeux, maudissant son peuple entier dans un susurre rageur. Il posa son attention sur là où aurait normalement été la lune. Incertain du temps de la journée, il eut une petite pensée pour ses amis là-bas à Atgoren et particulièrement Azéna qui fêtait son dix-septième anniversaire. Au moins, elle était entourée de gens qui avaient bon cœur. Et Arièlla lui tenait sûrement compagnie. Il n'avait aucun doute qu'elle était en sécurité et qu'elle soit comblée.

Pourvue que ce jour ne soit pas trop longue... Il désirait sortir de là au plus vite, même si c'était pour aboutir à la guerre.

✦×✦

Le jour suivant, l'adolescent aux allures ténébreuses passa la matinée en solitaire isolé dans l'aile ouest du château royal. Contrairement au reste des citoyens, il n'avait pas de préparatif dont il devait s'occuper. Depuis son ascension au titre de nécrodin, il était devenu un symbole de guerre, de triomphe et religieux. Les enfants le fixaient avec leurs prunelles brillantes d'adoration. Ils ne savaient pas mieux que ce dont ils étaient dits. Les adultes, eux, pour la plupart, lui offraient respect et vœux de gloire. C'était tout sauf apaisant. Durant sa jeunesse, Serfantor ne désirait rien d'autre que cela, mais maintenant qu'il l'avait atteint, il réalisa que ce n'était pas mieux.

À l'extérieur, les artisans et les ouvriers s'empressaient d'équiper l'armée à leurs moindres caprices. La plupart des soldats étaient ravis de se battre, mais pas nécessairement pour leur reine. Plutôt, ils désiraient obtenir des territoires, richesses ou titres, du pouvoir en gros. Quelques-uns d'entre eux, quoique rares, paraissaient maladifs, le teint blafards ou verdâtre dominé par l'anxiété. C'était là la réaction que le prince jugeait comme normale. Partir en mission de boucherie extensive ne devrait pas être vue comme positif, mais nécessaire. Seuls les Heaumes Noires, soldats d'élite et pour la plupart des femmes, maintenaient une expression aussi dure que de la pierre. C'était comme si on leur avait laver le cerveau et ils n'avaient plus de désir autre que de servir leur souveraine. Ils, en compagnie des prêtres noirs de Lizria, consistaient le plus grand danger de l'armée. Serfantor devraient les séduire s'il désirait renverser sa mère. Avec sa nouvelle réputation, c'était déjà là un bon avancement, mais il devait être patient avant de se révéler à quiconque.

Provenant de l'autre côté du long corridor, un jeune domestique à la peau de teinte charbon s'approcha timidement de lui. Il portait une tenue qui ne lui laissait que peu de dignité. La musculature légère de son physique relativement svelte luisait sous la faible luminosité qu'offrait les quelques torches imbibées de mana. Il était ravissant. Son visage anguleux était dominé par la crainte, comme le préférait sa mère. Serfantor ne pouvait pas déceler la couleur de ses prunelles tellement il évitait de croiser les siens. Le velours sur ses bras était hérissé. Il devait avoir froid dans son accoutrement de dépravé sexuel, un choix dont il n'était pas consentant, de ça le dragonnier en était certain.

— Son Ombre vous convoque, mon prince, murmura le nouveau venu.

— Prends ma cape, décida Serfantor.

Son interlocuteur fronça les sourcils et ses yeux s'écarquillèrent.

— Je ne peux pas... Ceci est mon habit de travail... Vous comprenez...

Même s'il détestait ça, le nécrodin accepta la décision du domestique. Il acquiesça et lui fit signe de la main qu'il pouvait disposer.

— J'irai la voir, grogna-t-il dans un soupire.

Il s'efforça de sourire alors que le messager lui accorda une révérence bien basse avant de s'éclipser.

Une fois qu'il fut seul, il s'accorda un moment pour fermer les yeux et méditer sur une réalité bien différente de la sienne. Il observa, tour à tour, dans son esprit les visages de ses amis qu'il avait laissé à l'antre des dragonniers. Il avait bien mémorisé leurs traits : l'énergie explosive d'Azéna, l'étrange sérénité de Teriondil, les tendances maternelles de Fayne et la passion sans bornes d'Arièlla. Il préférait cette dernière, bien évidemment. Il se questionnait souvent sur leur relation : ce qu'elle aurait pu devenir, ce qu'elle avait été exactement, jusqu'à où elle se serait maintenue si...

Il secoua la tête et se dirigea à pas fermes jusqu'à la salle de trône. La reine l'attendait du haut de cette chaise en marbre veinée de pourpre. Les bras avaient été façonnés de sorte qu'ils représentent l'emblème de la maison Diramin : une chouette dont les yeux semblaient vous suivre. C'était une vue troublante, mais pas autant que de faire face à la souveraine au cœur aussi endurcis que son siège. Elle semblait préoccupée de rien, laissant les domestiques s'occuper de la lourde tâche qu'était de se préparer à la guerre. Elle sirotait un verre de vin et discutait avec une citoyenne vêtue de l'armure qui la désignait comme Heaume Noire.

À la vue de son fils, elle lui fit signe de partir.

— Cher nécrodin, accueillit-elle en souriant en coin. Notre champion, notre dresseur de dragon, notre dévoué au Père de la Noirceur.

Serfantor n'appréciait guère ces flatteries, mais il joua le jeu et dégaina sa gigantesque épée ébène pour s'agenouiller devant la reine en tenant celle-ci bien droite, la cime effleurant le sol.

— Son Ombre Reine Jassaya, lâcha-t-il d'un ton monotone.

Le tyran ordonna que la salle soit vidée à l'exception d'elle et de son fils. Touts les autres, mêmes les gardes, respectèrent sa volonté. Tel un prédateur, elle les observa s'exécuter d'une mine froide. Comme à son habitude, elle daignait de porter une robe révélatrice qui valorisait ses courbes exquises qui ferraient la plupart des mâles virer le regard. Sa couronne avait été fraîchement reforgé pour célébrer le début de leur conquête aux côtés des autres membres de la Légion Ancestrale. Cette fois, elle portait le même style que le trône et traçait la tête de sa porteuse avec délicatesse. Ouverte à l'avant, elle formait une paire d'aile conjointes à l'arrière. Qu'elle était fière de sa maison, cette reine.

— Serfantor, appela-t-elle en faisant son index danser dans le vide, l'aguichant à la fixer droit dans les yeux.

— Je suis à votre disposition, répliqua l'adolescent au crépuscule d'une décennie.

— Bien, dit-elle en souriant vicieusement. Car j'ai une mission secrète à te confier. Elle est de la plus haute importance et j'ai l'impression que seul toi pourra l'accomplir.

Une lueur sadique traversa son regard. Serfantor sentit un frisson lui traverser la colonne. Cette expression lui donnait la frousse à chaque fois. Cela signifiait que du mal, du terrible mal. Il déglutit subtilement et s'assura de ne pas vaciller son attention. Il devait la fixer avec confiance et solidité. Montrer un signe de faiblesse ou d'hésitation lui apporterait malheur.

— N'importe quoi pour la gloire de Gosform et de Noktow.

Cette mentalité le dégoûtait tout comme le dieu qui la supportait. Il serra la mâchoire doucement.

Le silence de la reine le rendait nerveux. Elle resta assise, immobile comme la statue de la chouette suspicieuse qui était suspendue par magie à la voûte.

Enfin, elle parla.

— J'aime ta dédication, mon fils.

Entendre ces paroles, mon fils, lui pinça au cœur. Il avait passé sa vie à souffrir d'une soif de validation de la part de sa mère et à présent, il l'avait obtenu. Pourtant, il la trouvait, encore plus que jamais, repoussante. Dans un sens, il espérait qu'elle faisait semblant, tout comme lui.

— J'étais aveugle et faible d'esprit. À présent, je sais ce que je dois faire. La gloire de notre maison est primordiale.

Il se redressa pour lui faire face, tenant sa sombre lame devant lui. Cela paraissait comme une marque de respect, mais en vérité, il la défiait subtilement.

— Assignez-moi à cette mission, insista-t-il. Je ne vous décevrai pas.

Jassaya prit une gorgée de son breuvage alcoolisé et parut satisfaite.

— Pars à dos de ta dragonne et rends-toi à Atgoren.

Elle ne lui accorda aucun autre détail. Pris de confusion, le prince haussa un sourcil et osa s'approcher d'un pas du trône comme s'il avait besoin de cette proximité pour s'assurer qu'il comprenne bien les prochaines instructions.

— Mon Ombre ? Je dois m'avouer confus. Ne serais-je pas plus utile sur le champ de bataille ?

— Ta fidélité sera mis au test, mon champion des ombres. Tu as pour mission de demeurer aux alentours d'Atgoren et d'observer. J'espère pour toi que tu ne songeras pas à prendre contact avec tes anciens camarades.

L'adolescent fut pris au dépourvu. Honnêtement, il n'y comprenait rien. Qu'asseyait-elle de prouver ? Était-ce juste ça : un simple de test de volonté ? L'envoyait-elle là pour tout simplement le torturer ?

Il avait besoin de plus de détails, mais la reine garda le silence. Il se retint pour ne pas laisser une trace d'émotion paraître, mais dans le fond, il repensait à sa vie à l'académie et il s'ennuyait. Il désirait revoir la seule famille qu'il avait choisi, qui l'avait choisi lui.

Après l'avoir laissé languir pendant un long moment, la souveraine se lassa et continua ses instructions.

— Ta mission consiste à observer les dragonniers et lorsque tu vois une faiblesse ou une ouverture, convertie ceux que tu peux. Nous avons besoin de d'autres dragonniers dans notre camp si nous désirons vaincre le Haut-Roi et ses troupes, spécialement les Gardiens d'Aerinda. Choisis bien tes recrues. Elles doivent être loyales.

Et en d'autres mots, cela était synonyme à un avertissement : aucun ami ne doit être recruté. Et la volonté du dragonnier faillit défaillir, mais au lieu, un autre morceau en fut transformé en pierre.

— Ce sera accomplis, Mon Ombre.

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