Nous sommes tous des bouts d'argile

3 minutes de lecture

Je ne venais pas souvent.

Et puis un jour, j'ai pris le train pour Paris.

J'avançais dans la rue de Passy pour un rendez-vous avec ma cousine et l'une de ses nombreuses amies. Nous devions rencontrer l'artiste peintre et lithographe Toffoli, aujourd'hui disparu. Nous allions distribuer pour lui dans tous les commerces environnants des affiches représentant des œuvres de l'auteur pour son exposition et sa promotion.

Après une après-midi laborieuse, le peintre nous récompensa avec générosité en donnant à notre amie qui suivait une école des Beaux-Arts, une lithographie et un billet. Nous le remerciâmes et nous partîmes fêter cette belle rencontre dans une brasserie. Sur des chaises voisines, on se débarrassa de nos vestes, écharpes, gants et bonnets. Sur la table d'à côté de la nôtre se déplia sur son beau support papier le " Marché aux poteries ".

Je fixais la scène si belle pour le croisement incroyable de ses couleurs vives. En arrière-plan, j'entendais les verres et les tasses se heurter derrière le bar. Ma cousine et son amie se lancèrent dans un échange sur l'achat futur de fringues.

*

Alors je disparus en plongeant dans la toile.

....

  • Combien pour cette amphore ? demandais-je à une marchande assise sur un tabouret.
  • Ochenta sol, fit-elle en agitant ses mains et ses doigts pour composer la somme.
  • Et en dollars américains ?
  • Veinta y cinco.

Tout à ma conversion mentale dans les deux monnaies, je me perdais dans les façades et les étals qui bordaient la place. Je n'avais que l'embarras du choix et peut-être l'occasion de négocier le prix avec d'autres vendeurs. Mais cette femme avec, semblait-il, sa fille à côté d'elle m'inspiraient confiance.

*

Comment savoir !

Partout, d'autres vendeurs, vases, pots, vasques, ustensiles de cuisines en argile cuite couvraient les pavés de la place. Les gens passaient, circulaient dans un drôle de désordre, avec ce chapeau traditionnel posé en équilibre sur la tête, hommes ou femmes, indifféremment. J'avais moi-même cette sorte de poncho en laine sur les épaules et ce feutre sur le crâne qui me confondaient avec mon entourage.

Et toutes ces couleurs.

Des ocres, des bleus, des beiges, des rouges, des oranges et de l'or.

Et ce ciel pur et si bleu.

Et cette lumière si transparente.

Le soleil jouait, s'amusait à travers les tissus, les regards. Une impression étrange s'immisça en moi, l'impression de faire partie de la vie de toutes ces personnes aux visages hâlés et tellement typiques de leurs racines amérindiennes, comme si j'avais toujours vécu ici.

Mais n'était-ce pas le lot de tous les voyageurs ?

Se sentir partout comme à la maison, tout en étant au milieu des autres. Ce marché du village, près de la grande capitale péruvienne de Lima me donnait un peu le bourdon, une sorte de nostalgie. Certes, loin de chez moi, je me trouvais pourtant à ma place.

Partir, voyager, rencontrer d'autres cultures dont certaines aussi anciennes que celles des Incas me captivait. De loin, j'imaginais les sommets enneigés de la Cordillère des Andes. Je relisais dans ma tête ces mots d'Antoine de Saint-Exupéry dédiés à cette " Terre des hommes " et ses héros de l'Aéropostale.

  • Señor... Señor. Vous la prenez ? insistait la vendeuse, espérant faire la vente.
  • Quoi. Oh, oui, pardon. Voilà vingt-cinq dollars, dis-je en sortant de mes poches un billet vert sombre à l'effigie d'Andrew Jackson et un autre avec le buste du président Abraham Lincoln.

*

Je pris le vase, posant au passage une main légère et pleine d'empathie sur l'épaule de la jeune fille qui accompagnait sa mère et...je reposai ma tasse de chocolat sur la table.

Mes deux amies échangeaient, encore et toujours, infatigables, sur une prochaine soirée, avec l'idée de retrouver des garçons et de se parer de beaux vêtements.

  • C'est beau le Pérou, vous ne trouvez pas ? dis-je alors sans espoir réel d'attirer leur attention.

Elles s'arrêtèrent de parler et me dévisagèrent comme si elles me voyaient pour la première fois.

J'eus alors la curieuse impression d'être un "étranger".

=O=

Annotations

Vous aimez lire Jean-Michel Palacios ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0