L'épouse modèle

de Image de profil de Livia Tournois Livia Tournois

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Image de couverture de L'épouse modèle

Denis poussa la porte du pied, le battant frotta sur le paillasson, se coinça, et la sacoche d'ordinateur de Denis chuta de son épaule au creux de son coude. Le poids de la sacoche entraîna Denis vers l'avant, et son crâne buta sur la porte, tandis qu'il jurait, les dents serrées autour de ses clés de voiture.

Il avait oublié de ressortir le paillasson. Maya l'avait trempé de boue la veille et il avait dûle frotter à la brosse dans la baignoire.

Denis finit par pénétrer dans son entrée, y larguer le cartable de Maya, son sac de courses, sa sacoche et son courrier. La petite n'était pas là pour plusieurs heures, il aurait bien le temps de ranger tout cela.

Il plaça ses mains dans le bas de son dos et soupira en se penchant en arrière. Dieu que la position derrière son bureau toute la journée lui abimait les reins.

Il fit valser les chaussures cirées et pointues du travail qu'il détestait, sortit sa chemise de son pantalon et retira sa ceinture. Enfin à la maison ! À la maison et seul, ce qui était assez rare pour le dire.

Denis resta planté au milieu de son entrée, bien rangée cinq minutes auparavant. Seul, il l'était en cet instant, et pourtant, le sentiment que quelqu'un partageait les lieux l'habitait.

— Banane ? appela-t-il.

Il se sentait toujours un peu stupide quand il prononçait le nom de leur chat. Mais quelle idée aussi de confier cette mission si importante du nom de baptême du félin à sa fille de quatre ans. Banane... la pauvre minette écaille de tortue aurait pu tout aussi bien se prénommer Brocoli ou Pâte-à-modeler, selon l'humeur du jour. Cela avait au moins eu le mérité d'amuser la jolie vétérinaire. Elle lui avait fait de l'œuil, aucun doute là-dessus, mais Denis n'était tout simplement pas prêt pour une histoire de cœur.

D'ailleurs, à l'instant même où il y pensait, un sentiment de culpabilité l'envahit et la pièce en désordre lui fit monter une crise d'angoisse.

L'homme se jeta sur son sac de courses, le sortit du passage, plaça ses chaussures dans un casier, sa sacoche dans le placard et fourra sa chemise dans son pantalon avec frénésie. Essouflé par cette soudaine action, il enleva de son visage une mèche blonde, avant de se mettre à rire. Les réflexes étaient difficiles à perdre.

Denis fourra son visage dans ses mains et inspira dans ses paumes moites. La chose lui apparut rebutante et il fila à la cuisine, son sac de courses dans son sillage, pour se laver les mains au savon. Il ouvrit le frigo, couvert des dessins colorés de sa fille, et rangea les courses avec méthode. Chaque chose à sa place. Les habitudes avaient décidément la vie dure.

Denis débarassa l'assiette en plastique et le gobelet de Maya et les rinça à l'eau. En les déposant sur le rebord de l'évier, il remarqua la lumière rouge sur le boîtier de son téléphone fixe. Denis pressa plusieurs boutons et leur message vocal enregistré résonna dans le silence de la cuisine :

— Bonjour, vous êtes bien chez Denis et...

— Maya !

— Nous nous amusons quelque part et vous pouvez laisser un message après le...

— BIP !

Le bruit susnommé résonna et le sourire de Denis fondit comme neige au soleil aux premières notes de la voix qui s'élevait de l'appareil :

— Chéri, c'est moi, j'ai reçu les documents de l'avocat à la maison et j'ai vu que tu habitais maintenant dans le nord. C'était inutile de déménager, je vais mieux, un petit passage à vide, tu sais, le surmenage. Enfin bref, je viens vous chercher, j'espère que vous vous ferez tous beaux pour moi. Je vous embrasse.

Alors, cette odeur qu'il avait senti en pénétrant dans la maison, ce n'était pas un effet de son imagination ? Les mains de Denis se crispèrent sur le bord de l'évier. Ses dents se serrèrent si fort que cela en devint désagréable.

— Il y a du laisser aller dans l'air, annonça une voix autoritaire dans son dos.

Denis ferma les yeux. Ses entrailles venaient de se liquéfier dans son ventre.

Pitié, implora-t-il intérieurement, pitié non.

Derrière ses paupières closes, une image s'imposa, celle d'un homme blond à la coupe de cheveux impeccable, au sourire trop grand pour être vrai. Il tenait par la main une petite fille avec une robe au col blanc immaculé et repassé à la perfection. Son autre main enlaçait les doigts fins de l'épouse modèle, grande, fine, aux cheveux longs et bouclés au fer, retenu par un bandeau à carreaux : Angela.

Comment le cabinet d'avocat avait pu être assez idiot pour laisser filtrer leur nouvelle adresse ! Il l'avait pourtant précisé, il ne voulait plus de contact avec elle, et encore moins qu'elle puisse voir Maya.

Angela et ses escarpins rouges avancèrent sur le carrelage. Le bruit des talons sur les dalles donna à Denis la chair de poule. Il ne voulait pas se retourner, pas la confronter, s'il ouvrait les yeux, tout reprendrait, les tocs, le ménage, l'humiliation, la perte de confiance. Denis tremblait de toute son âme. Elle était sortie de leur vie, il n'allait pas la laisser y revenir.

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En réponse au défi

L'exercice d'écriture de Stephen King

Lancé par Livia Tournois

"BATTUE (OU ASSASSINEE) PAR SON EX MARI JALOUX est un titre qui fait la manchette des journaux presque toutes les semaines. C'est triste, mais vrai. Ce que je vous demande, dans cet exercice, c'est de changer le sexe des protagonistes avant d'attaquer votre travail sur la situation; faites de la femme la harceleuse, en d'autres termes (peut être se sera-t-elle échappée d'un l'hopital psychiatrique, et non d'une prison), et du mari la victime. Rédigez sans élaborer d'intrigue; laissez la situation et cette inversion inattendue des rôles vous porter."

Stephen King - Ecriture - mémoire d'un métier

Commentaires & Discussions

Un parfum de lavandeChapitre3 messages | 1 an

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