1 - Les Dandys

17 minutes de lecture

MAI 2009 — MARSEILLE

Le colibri flamboyait.

Une gorge et une poitrine rouge-grenat. Ailes d’un vert métallisé. Croupion et couvertures caudales bleues[1].

L’artiste avait signé de sa patte son œuvre : FRED. Aubade recula pour photographier l’image d’un réalisme saisissant.

La jeune femme n’avait qu’à fermer les yeux pour se remémorer son voyage en Martinique. Au jardin de Balata, les superbes Colibris madères s’abreuvaient de nectar sur la terrasse de la maison créole. Les arbres et les fleurs explosaient dans des formes tarabiscotées et extravagantes… Elle sentait encore l’humidité coller à sa peau, ses vêtements. Elle entendait les minuscules grenouilles croasser la nuit tombée.

Lorsqu’elle admirait ce portrait animalier, cette joie de vivre l’envahissait de nouveau.

Elle n’aurait jamais cru possible qu’une telle beauté puisse s’épanouir dans une zone industrielle désaffectée : des bâtiments décrépits aux façades pourries, fenêtres brisées et portes rouillées… Métal contre dessin.

Plus tôt dans la matinée, le profil Facebook de FRED, un street artist marseillais, lui avait indiqué la localisation précise de l’oiseau. Elle se prenait au jeu d’aller admirer ses œuvres dès qu’elle le pouvait. Hélas, elle avait dû patienter jusqu’à la fin de la journée pour enfin voir de ses propres yeux, la merveille…

Elle s’apprêtait à repartir quand elle entendit le bruit d’une portière claquée. Qui était là ? Pourtant, à son arrivée, elle n’avait remarqué personne.

Intriguée, elle avança en direction du son.

Un étrange manège se déroulait devant elle : trois individus sortaient de gros sacs d’une camionnette. Ils allaient et venaient dans un entrepôt. Qu’est-ce qu’ils pouvaient fabriquer ? Et pourquoi étaient-ils tous habillés pareils, avec leurs combinaisons noires ?

Qui étaient-ils ? Des voleurs ? Pas dupe, elle se doutait qu’ils ne transportaient ni du matériel de sport, ni des vêtements. S’ils avaient opté pour cet endroit en friche, c’était pour son isolement, son anonymat. On ne percevait même pas la rumeur de la ville, pourtant proche.

Elle devait savoir ce qu’ils fabriquaient.

Oh, et puis merde, j’y vais quand même ! Advienne que pourra. Du coup, elle oublia complètement les clés sur le contact de sa voiture, une Mini noire, ainsi que son téléphone. Elle ne pouvait résister à la tentation.

Elle se faufila par une sortie de secours dans l’entrepôt et se cacha derrière un pilier en béton. Ainsi, elle pouvait voir sans être repérée. Enfin, elle l’espérait…

Il faisait anormalement chaud, bien plus que les 25° C, d’après les informations météo. Des tubes en fer, des papiers sales et jaunis jonchaient le lieu. Elle remarqua surtout d’énormes cuves...

Elle avait aperçu trois individus à l’extérieur qui venaient de rejoindre les quatre autres dans le hangar. Tous avaient négligemment posé les sacs sur le sol.

Une tache sanglante s’élargissait sur la poitrine d’un des inconnus. Le groupe l’entourait.

L’hémoglobine, dans son esprit, résonnait telle une alerte rouge, signifiant danger ! Qui avait blessé ce type ? Les poursuivants pouvaient débarquer à tout instant… La bande était-elle capable de violence ? Avaient-ils répliqué en ouvrant le feu ? Ce qui était sûr, c’est qu’ils n’appelleraient pas les secours…

Malgré la distance relative, elle réalisa que ces hommes étaient âgés de la trentaine maximum.

– Stéphane, tu m’entends ?

– Tiens bon, Stéphane !

– Jim, je ne veux pas mourir… je…

Leurs paroles lui parvenaient distinctement grâce à l’acoustique des lieux, sans aucun doute. Au ton et à l’empressement des inconnus autour du blessé, elle comprit que son état était grave. En effet, il perdait de plus en plus de sang. À ce rythme-là, il ne tiendrait plus longtemps…

Elle supportait de plus en plus mal la chaleur suffocante. Les vêtements des individus étaient ignifugés. Étaient-ils de bois, bon sang ?!

– Stéphane !

– J’aurais dû tuer ce vigile ! s’écria d’une voix froide, l’un des étrangers.

– Il est mort.

– NON !

De rage, le dénommé Jim donna un coup de pied dans un sac de sport.

La jeune fille se remémora le décès de son grand-père paternel, six ans plus tôt. Lorsqu’elle l’avait contemplé dans son cercueil, une impression bizarre s’était immiscée en elle : celle que papi Roger était parti pour toujours. Ce n’était plus lui, juste une simple enveloppe charnelle. Le visage arborait un masque de cire froid, impersonnel. Un mannequin irréel. Inexplicablement, la vue du plasma de l’inconnu l’avait plus effrayée…

Si elle voulait agir, c’était maintenant ou jamais. Si elle appelait la police, ils auraient le temps de s’enfuir. Ou, plus probable, ils l’attraperaient. De toute façon, elle n’avait pas le choix, son portable était demeuré dans sa voiture. Elle savait qu’elle courrait un risque certain. Mais, elle décida de rester là, l’attrait de l’aventure se fit plus fort que la raison.

Pourquoi ? Pour secouer sa vie trop tranquille, ennuyeuse à mourir. Fille unique, elle vivait à Marseille depuis l’âge de douze ans, ses parents étaient mariés. Son job ? Secrétaire dans une petite entreprise de papeterie. Pas terrible, sans être pour autant un calvaire.

Côté amour, ce n’était pas folichon avec des ex immatures, obsédés. Le prince charmant ? Elle n’y croyait pas. Elle aspirait à un homme ardent, sexy, audacieux. La fadeur, très peu pour elle. Julien, de la comptabilité, la draguait, cependant, il rimait avec bedaine, lunettes démodées et calvitie précoce.

Alors, aujourd’hui, à cette minute précise, mademoiselle Aubade Urfé choisissait le grand frisson. Le danger, l’inconnu.

– Jim, tu ne feras rien du tout ! répliqua une voix ferme.

– Ce vigile n’aurait pas dû être là ! Il a tiré sur Stéphane, il doit payer.

– Vont-ils nous retrouver ?

– Non ! Personne ne nous a suivis.

– Tu as une idée de combien on en a pris ?

– Près d’un million d’euros.

– On leur a tout piqué. On est les Dandys, après tout ! s’exclama l’un d’eux, sans qu’elle puisse savoir à qui appartenaient les voix.

Elle était confrontée à des braqueurs ! Ils parlaient d’un million d’euros ! Pas des petits délinquants, non, c’était un groupe de professionnels, organisé. Ils avaient prévu une retraite dans ce lieu abandonné, ce n’était sans doute pas leur premier coup.

Aubade remarqua également des flingues posés sur les fameux sacs. À ce moment-là, elle comprit qu’elle s’était embarquée dans un truc qui la dépassait complètement. Des voleurs d’élite, un cadavre, c’était trop pour elle !

Elle ne put retenir un gémissement de panique.

– Putain, quelqu’un nous observe ! s’écria l’un des gars, qui s’était un peu éloigné du groupe.

– Une femme !

– Attrapez-la !

– Si elle a vu nos visages, on est cuits !

Alors qu’elle atteignait presque la sortie de secours, un des hommes lui barra le passage. Elle refusait d’être leur prisonnière -ou pire. Tentant le tout pour le tout, elle se jeta sur l’assaillant. Celui-ci, un véritable colosse n’eut aucun mal à l’intercepter, la traînant et la portant à moitié dans ses bras, jusqu’à la cuve qui dégageait une chaleur d’enfer. Elle hurlait, suppliait, mais son adversaire s’avérait impitoyable.

Elle était persuadée que le réservoir contenait de l’acide. Parfait, pour faire disparaître un corps… Elle était terrorisée, et ne lisait aucune compassion dans son regard. Au contraire, il semblait se délecter de sa détresse.

Il la souleva, tel un fétu de paille, la hissa au-dessus de lui et la jeta dans la citerne… Elle tomba lourdement dans un liquide jaunâtre. Enfant, elle avait été ébouillantée. Ça, c’était mille fois pire, infernal… C’était comme si ses chairs se dissolvaient. Ce magma la recouvrait jusqu’à la poitrine. Elle perdit connaissance, terrassée par la douleur.

– Jim, tu l’as tuée ! T’es pas un peu taré de l’avoir balancée, là-dedans ?

– Et alors ? répondit-il, sans aucune pitié.

– Elle vit encore ! s’exclama un des autres hommes.

– Sortez-la de ce truc ! ordonna celui, qui avait calmé l’excité. Vous allez bousiller la marchandise.

Aubade respirait avec difficulté, semblant plus morte que vive.

L’adrénaline décuplant sa force, elle parvint à s’extirper de là. Un étrange et chaud fluide doré enduisait tout son corps. Elle ignorait ce que c’était, toutefois, cela semblait être dangereux car ils hésitaient à s’approcher plus d’elle.

– Comment a-t-elle pu survivre ?

Jim, sans doute la brute de service, pointait une arme sur elle.

– Ne tire pas, tu entends ! NE.TIRE.PAS ! dit celui qui semblait être le chef en détachant chaque syllabe.

C’était pour être certain que l’autre abruti comprenne son ordre !

Ils se mirent à s’invectiver, la laissant à l’écart.

La jeune fille profita de ce court moment de répit pour reprendre son souffle, et réfléchir à comment se sortir de ce mauvais pas.

Petit à petit, la douleur reflua, elle recommença à respirer normalement. Elle reprenait conscience de son environnement et commença à se mouvoir imperceptiblement pour s’éloigner du danger. La gangue flavescente qui la recouvrait séchait, laissant une fine pellicule ambrée sur sa peau. Le groupe s’occupait à présent du cadavre de leur ami, sans se préoccuper de celui qu’ils pensaient être le sien. Elle utilisa cet instant de flottement pour s’enfuir.

Lorsqu’elle atteignit enfin sa voiture, son corps assimilait le flux miellé sans qu’elle ressente la moindre souffrance. En outre, ses vêtements avaient fondu sous la chaleur du liquide contenu dans la cuve, heureusement, elle disposait d’une couverture dans son coffre. Le fameux au cas où. Elle s’enveloppa dedans et démarra sur les chapeaux de roue, le cœur battant à toute allure.

Les mains moites, affolée par la situation, Aubade n’arrivait pas à réfléchir à autre chose que respirer. Elle retourna chez elle. Plus aucune douleur ne la torturait pourtant, alors qu’elle aurait dû mourir sur le coup. Mais, dans quoi était-elle tombée ? L’éclat de sa chaîne en or, reposant sur un meuble, capta son regard. Et tout s’éclaira dans son esprit. Le réservoir… c’était de l’or liquide ! Les types pensaient, naturellement, qu’elle avait été calcinée dans ce fluide. Comment avait-elle survécu ? Elle aurait dû être brûlée au troisième degré, ou même mourir. Toutefois, sa peau se révélait indemne. Elle ne comprenait pas, elle vivait encore…

Elle surfa sur le web, une bijouterie avait été dévalisée la veille. L’équivalent d’un million d’euros. Évidemment, ces deux évènements ne constituaient pas une coïncidence… Ils n’étaient pas des amateurs, la police les recherchait en France et aux Bahamas, entre autres…

Le gang des Dandys ciblait les joailleries, banques ou sociétés financières. Interpol avait lancé un mandat d’arrêt contre eux. Ils détournaient les services de sécurité, débarquaient masqués et raflaient en moins de cinq minutes le butin. Elle pensait qu’ils étaient Français car ils parlaient sans accent. On les disait capables de s’infiltrer dans le Pentagone... Les dénoncer à la police ? Jim l’avait menacée dans sa fuite, lorsqu’ils avaient réalisé que son corps avait disparu. Sa voix de stentor avait hurlé « si tu parles, je te tuerais… »

Le lendemain, à l’accueil, poste qu’elle occupait sur son lieu de travail, la jeune femme décrocha :

– ProBuro,  bonjour. Aubade, à votre service.

Clic. L’interlocuteur avait raccroché. Les erreurs de numéro arrivaient souvent, les gens se trompaient.

À midi, elle quitta son poste pour s’acheter un sandwich à la boulangerie du coin. Une camionnette freina brutalement à sa hauteur. Puis, elle ressentit une légère piqûre. Elle s’effondra à terre, sentant néanmoins des mains la soulever. Avant de sombrer dans l’inconscience, elle comprit que les Dandys avaient retrouvé sa trace…

Un tunnel cotonneux. Elle entendait au loin des voix inconnues. La lumière s’intensifia. On l’avait allongée sur une couverture. Les étrangers l’entouraient.

Effrayée, elle reconnut Jim à son visage dur et rectangulaire, les yeux d’un bleu glacial. Outre sa taille, sa carrure imposait le respect à n’importe qui. Des cheveux en brosse. Une voix forte, coupante. Il lui faisait penser à un animal sauvage. Un véritable prédateur.

– Spike, Spike, elle est consciente ! dit le colosse en s’adressant à l’un d’eux.

Un homme séduisant, grand, musclé lui faisait face. Il ne semblait pas dangereux. Pourtant, il avait ordonné sans doute son enlèvement. Quel sort lui réservait-il ? Une exécution sommaire, une agonie lente ?

– Où suis-je ?

– Dans l’entrepôt où vous nous avez vue, répondit son ravisseur.

– Comment m’avez-vous retrouvée ? demanda-t-elle d’une voix pâteuse. Et si vite ! En un jour !

– Nous avons piraté le site de la sécurité sociale. Félix a utilisé un système de reconnaissance faciale pour vous identifier et nous avons pu ainsi reconnaître votre visage. De là, il a été facile de retracer votre parcours. Naissance, scolarité, emploi…

– On a appelé votre société pour nous assurer que vous étiez bien présente.

– Que me voulez-vous ? Allez-vous me tuer ?

– La fille a vu nos visages, connaît notre repaire, nos activités. Elle doit mourir ! s’excita le colosse.

Jim sortit un couteau, le pointa sous la gorge d’Aubade. Sa vie ne tenait qu’à un fil. Si, elle bougeait, il l’exécuterait. Elle comprit qu’il se repaissait de la peur de ses victimes. Les autres retenaient leur souffle : comment le cerveau de la bande allait-il gérer la situation ?

– Calme-toi, Jim ! T’es pas le chef, tu ne décides pas.

– Elle ne dira rien… à personne. Cette fois, je la raterai pas ! s’exclama, furieux, Jim.

– Non, elle est notre prisonnière, intervint le leader.

– Spike, tu oublies où on est… C’est un dépôt, pas un hôtel ! Qu’est-ce que tu comptes faire d’elle ?

– Elle ne peut rester ici, dit un petit trapu, aux cheveux noirs plaqués en arrière.

– OUI, qu’allez-vous faire de moi ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

– Elle viendra avec nous au Sanctuaire.

Ils fixèrent leur meneur, le dénommé Spike. La secrétaire lisait l’incompréhension, la colère sur leurs visages.

– Le Sanctuaire est notre refuge !

– Si tu fais ça, elle saurait où nous trouver. Nous n’aurons plus de base de repli…

– Spike, c’est trop risqué. Que tu veuilles avoir cette fille à l’œil, soit, mais violer notre sanctuaire, non ! protesta un type mince, au physique banal.

– Elle aura les yeux bandés, elle ne saura pas où nous irons, insista Spike.

– J’aime pas ça !

– Jim, je ne suis pas un meurtrier, affirmait Spike. Je vole, je dérobe, je menace, c’est tout. Je dois l’étudier dans mon labo. Je veux savoir comment et pourquoi elle a survécu.

Spike s’interrogeait pour évaluer quels bénéfices le groupe pourrait tirer de cette situation. Il avait l’air très concentré, comme si l’explication était primordiale pour lui.

– Je ne vois pas ce que ça peut faire, remarqua Jim.

– Vous êtes le Gang des Dandys, affirma Aubade.

– Comment avez-vous survécu ? demanda la brute.

– C’était de l’or liquide dans cette cuve ? questionna Aubade.

– Oui. Répondez à la question ! Comment avez-vous survécu ? hurla-t-il de plus belle.

– Je ne sais pas… J’ai souffert le martyre. Je peux vous l’assurer !

– Elle n’a aucune brûlure, ce n’est pas croyable ! s’exclama un blond aux yeux bleus.

– Le Sanctuaire, c’est un repaire, n’est-ce pas ? s’enquit Aubade.

Sans lui donner de réponses, les malfaiteurs ne perdirent pas de temps : dans un premier temps, Spike banda ses yeux, puis ils partirent dans la camionnette, direction le Sanctuaire. Le leader voulait l’examiner dans un labo. Pourquoi ? Elle ne comprenait pas quels avantages on pouvait tirer d’elle. Un braqueur qui vouait un intérêt scientifique à un témoin… ! Pourrait-elle s’échapper ? Où l’emmenaient-ils, en réalité ?

Elle commençait à croire qu’elle avait commis une grossière erreur en restant dans l’entrepôt… Quelle mouche l’avait piquée ? Son incertitude totale concernant son sort la terrorisait. Elle n’arrivait pas à cerner les intentions du boss, il prenait sa défense, pourtant, il l’avait kidnappée et il la conduisait dans… une prison.

– Spike, il n’est pas trop tard… Je peux lui coller une balle dans la tête. Plus de problème de la sorte, dit Jim, d’une voix vibrante de colère.

– Salopard ! cria-t-elle.

Comment pouvait-il évoquer aussi froidement son meurtre ? À croire qu’il commandait un steak. Elle comprit qu’il avait déjà tué, il n’hésiterait donc pas à recommencer. Elle entendit un froissement de vêtement. Quelqu’un se rapprochait d’elle. Spike ?

– La ferme, tous les deux ! Jim, je décide. J’ai déjà dit qu’on ne tuait pas.

– T’as peur de te salir les mains ?

Elle entendit un bruit sec, comme un os qui craque, un cri et des jurons s’ensuivirent.

– Putain, tu m’as frappé ! hurla Jim.

– Je t’avais prévenu.

Il avait frappé l’autre ordure ! Oui, il la défendait. Étrangement, il s’était rapproché d’elle pour la protéger du fou. Les autres ne pipaient mot, histoire de ne pas remuer le couteau dans la plaie.

Elle sentait le sang battre à ses tempes, son cœur s’affoler. Elle essayait de deviner quelle direction ils prenaient, ainsi, si elle s’en sortait, elle pourrait indiquer l’itinéraire à la police. Le sanctuaire. D’ailleurs, quel sens attribuer à ce mot ? En tout cas, vu la désapprobation de l’équipe, ce lieu représentait un refuge sacré. Le butor ne supportait pas l’idée qu’une étrangère viole l’endroit concerné. Une tension l’opposait au meneur et il remettait en question cette autorité. C’est surtout pour cela aussi que le numéro un avait mis une raclée à son subalterne… songea-t-elle.

Pour ne pas craquer, elle se retira dans son monde intérieur, une sorte de carapace psychologique. Elle se retranchait en elle-même, se protégeant ainsi de la réalité. Une demi-heure plus tard environ, ils s’arrêtèrent. L’un d’eux, sans doute Spike, la guida de la main.

Sensation de descente. Ils empruntaient un ascenseur. Où se trouvaient-ils ? Qu’allait-elle encore découvrir ?

Le bandeau recouvrant toujours ses yeux, elle ne savait pas à quoi s’attendre. Enfin, elle était soulagée qu’en cours de route, ils n’aient pas décidé de l’éliminer et de jeter son corps dans la mer…

Enfin, Spike retira le bandeau de tissu. Ils l’avaient menée dans une grande pièce commune ou se mélangeaient, pêle-mêle, ordinateurs, machines électroniques en tout genre, une armurerie, des presses à papiers. Il lui sembla distinguer un peu plus loin une cuisine.

– Où sont les fenêtres ? demanda-t-elle. Je ne les vois pas.

– C’est un refuge souterrain, répondit Spike. Vous n’en verrez pas.

– Comment l’avez-vous construit ?

– Ce n’est parce que nous vous accueillons que nous vous révélerons nos secrets !

– Je suis votre prisonnière.

– Évrard, occupe-toi d’elle. Aubade, mettons les choses au point. Pas la peine de chercher à vous enfuir ! L’ascenseur, seule entrée, est uniquement accessible avec nos empreintes digitales.

Pendant que l’équipe transportait les sacs bourrés d’euros, Évrard entreprit de présenter les membres de l’équipe à la jeune femme : l’armoire à glace, Jim expert en armes et explosifs et tireur d’élite. Le trapu, aux cheveux longs plaqués en arrière, c’était Félix, un hacker capable de craquer n’importe quel système de sécurité. Celui, au physique passe-partout, Théo, dit  le serrurier  combinait astuce et  habilité artistique, il pouvait ouvrir des portes réputées inviolables. Cédric, dénommé le caméléon, un pro du déguisement, était plutôt du genre expansif, on voyait à son regard et à son attitude qu’il savait se couler dans n’importe quel moule. Il lui plaisait, ses yeux marron exprimaient la gentillesse et une sympathie réelle.

– Moi, c’est Évrard. Je suis faussaire du groupe, se présenta le blond aux yeux bleus.

– Et le mort, c’était qui ?

– Stéphane, notre as du pilotage. Spike est notre leader.

– Vous avez donc chacun un domaine d’excellence, quel est le sien ?

– C’est un scientifique, un spécialiste en chimie, physique.

– Alors vous êtes des terroristes ?

– Nous ne sommes pas des terroristes ! Nous ne revendiquons aucune cause, aucun groupuscule ne nous finance. Notre unique motivation, l’argent. Nous sommes des artistes du casse.

– Des artistes ? répéta-t-elle, incrédule.

– Nous avons élevé le cambriolage au rang d’art. Aucun coffre ne nous résiste. Quand la presse nous a surnommé « les Dandys », Spike a décidé d’adopter ce nom.

Le seigneur s’approcha alors d’eux.

– C’est bon, je prends la relève.

Évrard s’éloigna. Spike… Son charisme l’avait naturellement désigné en tant que dirigeant. Son visage fin et racé dénotait une grande intelligence. Il possédait une bouche charnue et sensuelle. Son assurance se lisait dans sa démarche alerte, son air résolu. Ses yeux noisette trahissaient un regard vif, perçant.

– Vos cheveux, on dirait qu’ils se sont éclaircis. Hier, ils étaient plus foncés, remarqua-t-il.

– Non, mais ça va pas la tête ! Vous m’avez enlevée, vous me parlez coiffure !

– Évrard et Théo vous ont kidnappée, sur mon ordre. Jim préférait une exécution.

– Comment mettez-vous au point vos crimes ? s’enquit la secrétaire.

– Ce ne sont pas vos affaires !

– Et le corps de Stéphane ?

– Nous l’avons brûlé. Nous ne pouvons nous permettre de laisser des traces derrière nous.

En entendant cela, Aubade ne put s’empêcher de frissonner : si elle n’avait pas survécu, son corps aussi aurait été réduit en cendres. Ses parents n’auraient plus jamais entendu parler d’elle, et nul n’aurait su ce qu’il s’était passé… Que lui réservait la suite de l’aventure ? Après tout, d’une minute à l’autre, les Dandys pouvaient décider de jeter son corps à la mer !

– Pourquoi des cuves d’or ? Je ne vois qu’une chose : vous le faites fondre pour le revendre. Faut une sacrée quantité, dites donc !

– Nous sommes très actifs : ces six derniers mois, nous avons dévalisé dix bijouteries, sans parler des banques où les lingots foisonnent bien à l’abri dans les coffres.

– Spike, n’en fais pas trop. Ce n’est pas un membre du gang, protesta Évrard.

– Comment faites-vous pour l’électricité, l’eau ? demanda-t-elle, posant des questions un peu bêtes pour ne pas avoir à réfléchir dans quelle mouise elle s’était fourrée avec son indéniable curiosité.

– Un système de canalisations enterrées.

Il l’entraîna vers son laboratoire ; sous ses yeux, il composa un code sur une serrure électronique, sans qu’elle ne puisse apercevoir les chiffres. Elle ne put s’empêcher de le questionner encore :

– Pourquoi de telles précautions ?

– Je manipule des substances dangereuses.

Lorsqu’ils entrèrent, une odeur d’ammoniaque et de produits chimiques assaillit leurs narines. Sur une table, il y avait des éprouvettes, bec Bunsen, centrifugeuse, erlenmeyer. Bref, le parfait attirail du petit chimiste.

Il lui indiqua d’un geste, une chambre séparée du labo par une épaisse cloison de verre. Les murs et le sol d’un blanc immaculé évoquaient un milieu clinique pour l’employée de ProBuro.

– Mon home sweet home, avec douche et sanitaire. Aubade, je suis un scientifique, figurez-vous. J’ai fait construire un refuge pour nous et pour y mener des expériences. Vous dormirez ici.

– Vous avez dit que c’était votre…

– Je m’installerai dans la chambre de Stéphane. Allez, entrez !

Il composa encore un code, puis il la poussa dans la cage de verre.

– Non, vous n’avez pas le droit de m’enfermer comme un cobaye ! Libérez-moi !

– Oubliez ça, vous ne sortirez pas.

Elle remarqua une caméra accrochée en hauteur, sur un mur de la pièce.

– Comment m’entendrez-vous ? La cloison est blindée.

– Un micro est intégré à la caméra. Ainsi, je garde un œil sur vous.

– Pourquoi ici ? Je n’ai pas le code d’accès de l’ascenseur.

– Je préfère tout de même vous observer de près. De plus, je travaille au labo, si vous avez besoin de quelque chose, je suis là.

Il revint dans la chambre de verre et la photographia.

– C’est un trophée, c’est ça ?

– C’est une preuve de ce que j’avance. Un scientifique a toujours besoin d’une preuve.

– Pardon ?

– Vos cheveux qui s’éclaircissent. Ils étaient plus foncés dans la base de données de la sécu.

Piégée, elle savait qu’elle ne pourrait s’échapper : les cambrioleurs étaient surentraînés, rodés à faire face à toutes les situations.

Plus tard, la jeune femme partagea le repas des Dandys, puis leur leader la reconduisit dans son ancienne chambre.


[1] http://www.oiseaux.net/oiseaux/colibri.madere.html

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alexandrine Solane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0