Chute - 3

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Vivian entendait le bruissement de la cour s’atténuer, au fur et à mesure que la lumière se faisait de plus en plus orangée et que sa cellule s’assombrissait. Son anxiété croissait avec les ombres. Prisonnier de la même geôle où il avait fait enfermer son frère deux ans auparavant, il aurait donné cher pour être en possession des baies de sorcière qu’il avait retrouvées auprès de lui. Ce n’était que le troisième jour entre ses quatre murs et il croyait déjà devenir fou. Les heures semblaient infinies. Peut-être la folie le gagnait-elle déjà, car plus d’une fois, alors qu’il somnolait à demi, il avait cru sentir la présence de Daniel de manière si puissante qu’il avait sursauté et brusquement tourné la tête. Il visualisait sa silhouette avec tant de précision, comme s’il l’avait réellement vu accroupi à côté de lui, qu’il devait en avoir rêvé, éveillé ou non.

Quand il entendit le petit grincement, il ne réagit pas tout de suite, encore plongé dans cet état de demi-sommeil où il ne distinguait plus la réalité du songe. Puis un son plus net claqua dans le silence, et il émergea tout à fait. Il faisait complètement noir, à part un très faible halo en provenance du soupirail d’une lointaine lumière quelque part dans la cour. Il écarquilla les yeux en vain ; la trop rare lumière ne faisait qu’épaissir les ombres. Le bruit venait de la porte : quelqu’un tentait de l’ouvrir, et il réalisa brusquement qu’il était étrange que le geôlier rencontre d’aussi inhabituelles difficultés. Le mur parut soudain s’ouvrir, un rai de lumière éblouissant le força à fermer les yeux ; mais, avide de voir, il rouvrit les paupières. La flamme de la torche qu’elle portait éclairait le beau visage de Jehanne. Rarement elle lui avait paru si splendide, comme une fée surgie au milieu du malheur.

-Vivian.

Cette voix tendre et vibrante qui prononçait son nom. Insoucieux de tout le reste, il se leva d’un bond pour la suivre où elle voudrait. Elle lui prit la main, d’une prise ferme, et l’entraîna.

Tandis qu’ils filaient, l’esprit de Vivian se recomposait petit à petit. Bien sûr, les clefs qu’elle avait fabriquées pour délivrer Daniel, il ne s’était pas préoccupé de savoir si elle les avait gardées ; tout s’était enchaîné trop vite avec la naissance d’Amelina. Il lui restait encore bien des questionnements, mais il comprenait maintenant que sa fuite n’était pas si magique qu’elle lui paraissait.

Ils se retrouvèrent dans le cellier. La torche, éclairant par en dessous les énormes barriques, créait des ombres fantastiques sur le plafond. Blottie au milieu de ces géants, une petite silhouette les attendait. Vivian reconnut la nourrice. Elle serrait étroitement Amelina dans ses bras. L’enfant tourna la tête vers son père, ses grands yeux marron reflétant la lumière mouvante de la flamme. Il lui caressa les cheveux. Il avait envie de la prendre contre lui, mais il se sentait sale de son séjour au cachot.

-Et ma mère ? demanda-t-il.

-Nous étions enfermées séparément. Je n’ai pas pu communiquer avec elle ni trouver un moyen de la faire échapper.

-Et vous ? Comment vous êtes-vous échappée ?

-Il y a un passage depuis ma chambre. Victor ne le connaît pas, bien sûr. Il débouche juste en face de ce passage-ci.

Sur le mur, d’un bois si usé qu’il avait presque la couleur de la pierre, s’enfonçait une porte. Jehanne la poussa avec autant d’assurance que si c’était une porte qu’elle empruntait tous les jours. Une forte odeur d’humidité s’éleva de l’ouverture. Dans un coin, Jehanne saisit un ballot, d’épaisses capes de laines et quelques armes, dont son arc. Elle glissa un poignard à sa ceinture, et tendit à Vivian un fourreau vert décoré d’un épervier.

-Tiens. Tu sais mieux t’en servir que moi.

Sur le pommeau de l’épée, était gravé à nouveau l’épervier triomphant des Beljour. Vivian ceignit le fourreau à sa ceinture, conscient de détenir un trésor de la famille de Jehanne.

-Comment as-tu découvert tous ces passages ? Je pensais les connaître tous. Avec Daniel, nous en avions beaucoup explorés.

-J’ai découvert celui de ma chambre par hasard, en m’appuyant contre le mur. Quant à celui-ci… eh bien… c’est Daniel qui l’a découvert.

Ils se turent. Le silence du cellier était absolu. Sans plus un mot, ils s’engouffrèrent tous les quatre dans l’ouverture.

Au début, Vivian se crut enfermé dans une pièce sans issue, car la flamme de la torche vint aussitôt éclairer un pan de mur en face ; mais en réalité, il s’agissait d’un couloir qui faisait immédiatement un coude. La porte se referma.

-Vite, dit Jehanne, je n’ai qu’une torche de rechange et nous avons une bonne heure avant de sortir à l’air libre.

Tandis qu’ils parcouraient le boyau, Vivian se laissait envahir par l’étrange sentiment des jeux qui deviennent réalité. Si longtemps les passages secrets avaient été terrains de jeux, et ils avaient tant joué au prisonnier qui s’échappe ou à l’envahisseur qui s’infiltre. Mais ces souterrains n’avaient pas été pensés pour égayer des enfants, et il se demandait à présent comment cela avait-il pu l’amuser un jour. Malgré tout sa fuite conservait une espèce de dimension épique comme s’il était réellement devenu le personnage dont il jouait jadis le rôle, un de ses héros dont Daniel et lui se contaient les histoires quand ils étaient enfants. Daniel était bon conteur, se rappelait-il, il s’inspirait de ses lectures pour recréer des univers palpitants peuplés de nobles quêtes et de belles dames. Il ne lui manquait guère qu’un peu de voix et de talent musical pour devenir un de ces trouvères qui suspendaient leur auditoire à leur lyre. Il continua à se bercer de ses souvenirs d’enfance, tandis que chaque pas l’éloignait un peu plus et peut-être à jamais de la demeure qui avait été sienne toute sa vie.

La nuit était encore si sombre qu’ils devinèrent la sortie plus qu’ils ne la virent, quand le souffle d’air sur leur peau se fit plus insistant. Leur arrivée dérangea une poignée de chauves-souris qui s’envolèrent en piaillant avec indignation. Ils resserrèrent leurs capes autour d’eux. Le souterrain s’achevait sur une bouche de pierraille en aval de la colline où s’élevait le château des Autremont, du côté opposé à Combelierre. La végétation autour d’eux était dense et humide, ils devaient se frayer un chemin au milieu des ronces et des fougères. Une diffuse lumière lunaire émanait des fins nuages et guidait leur chemin. Il restait encore un peu à descendre avant d’atteindre la vallée.

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