Préambule

3 minutes de lecture

Le jeune cavalier blond fit débouler son cheval au galop dans la cour principale du château, comme à son habitude. Les gens de mesnie qui œuvraient là étaient coutumiers de ces manières et ordinairement prêtaient à peine attention à cette arrivée ; mais cette fois-ci, ils levèrent la tête avec surprise. Henri d’Autremont ne revenait pas seul. Il arrêta pile son coursier, dans une maîtrise parfaite ; un rire clair retentit dans son dos tandis que les fins bras qui l’encerclaient resserraient leur emprise.

– Qu’est-ce que notre futur seigneur a encore bien pu inventer là ? grinça une servante à voix basse. N’a-t-il pas assez de toutes les femmes du château qu’il a mises dans son lit ?

La jeune femme, montée en croupe derrière celui qui avait si brillamment montré ses talents de cavalier, était habillée comme une serve, à l’exception de sa coiffure : rien ne retenait le flot de boucles rousses qui moussait sur ses épaules et son dos dans une cascade incandescente. Elle descendit de sa monture d’un bond, sans attendre l’aide de son cavalier. Ses yeux dardèrent un regard curieux et hardi autour d’elle, sans s’abaisser lorsqu’ils croisaient d’autres visages. La servante pinça les lèvres et émit un sifflement réprobateur.

– Une catin des campagnes, voilà ce que c’est !

– Ne sois pas si dure, Sandrine, répliqua sa jeune compagne. On dirait une scène de conte, le vaillant chevalier ramenant la jeune fille au château après l’avoir sauvée d’un grand péril…

La servante plus âgée eut un rire désabusé.

– La vie n’est pas un conte, mon moineau ! Je ne crois pas que cette fille-là ait jamais eu besoin d’un homme pour se tirer d’affaire. Ce n’est qu’une conquête de plus de notre enfant gâté, et il l’abandonnera dans quelques semaines, quand il en sera lassé.

Ce en quoi Sandrine, malgré sa lucidité, se trompait.

***

– Mon fils, tu es jeune et tu as le sang vigoureux. Je veux te pardonner bien des fantaisies…

Henri, debout devant le faudesteuil de son père, lui rendit son regard avec candeur. En réalité, il savait très bien ce qui lui valait l’honneur de cette entrevue. D’ordinaire, le seigneur d’Autremont ne prenait pas la peine de convoquer son fils dans la chambre d’apparat, faite pour impressionner visiteurs et héraults… hormis lorsqu’il voulait souligner le caractère ducal de l’entretien. Les armes des Autremont, un chevron de gueules sur fond d’or, étaient partout visibles, depuis les tapisseries sur les murs jusqu’au velours des sièges. Les joncs et les fleurs odorantes répandus sur le sol craquaient sous les pieds de Henri : il s’obligea à l’immobilité.

– … Ce n’est pas une raison pour négliger tes devoirs d’héritier. Tu n’es pas né que pour les plaisirs : tu es chevalier, tu seras duc : tu dois être assidu à ton entraînement et aux leçons du chapelain. Je te vois passer bien trop de temps en compagnie de cette jeune fille que tu as tiré de je ne sais quel recoin parmi nos paysans.

– Son nom est Iris.

– Que m’importe, mon fils !

Le duc fronça sévèrement les sourcils. Henri baissa la tête, feignant la soumission. Il avait mieux à faire pour plaider sa cause que provoquer la colère de son père. Celui-ci enchérit :

– Il est bon qu’un homme entre averti dans la couche de son épouse, pour savoir l’honorer. Cependant…

Les doigts du duc couraient nerveusement sur le bord de son faudesteuil.

– Il est mauvais pour une lignée de générer des bâtards, surtout nés avant le premier enfant légitime.

Henri ne broncha pas, quoique ses soupçons se confirmaient : son père savait. Il ne pouvait guère l’ignorer toujours.

– Je pensais que ces filles des campagnes savaient mieux se prémunir de tomber grosses, insista le duc en ronchonnant. Je suppose que cette… Iris ne commettra pas l’impiété de se débarrasser de l’enfant. Mais son existence doit rester secrète jusqu’à ton mariage, entends-tu ?

Cette fois, le jeune homme fut pris de court et ne dissimula pas son étonnement.

– Oui, nous t’avons trouvé une fiancée, mon cher fils. Tu n’en seras pas mécontent : c’est une jeune fille qu’on dit fort belle et elle est de haute lignée. Elle ne te déparera pas. Son nom est Isabeau de Tourmaille. Cependant, la date des noces n’est pas encore prévue : les négociations du contrat de mariage sont délicates. Il y faut quelques mois… peut-être plus. En attendant, ne viens pas dévaster tous nos plans et scandaliser cette damoiselle par les conséquences intempestives de tes coucheries ! Entends-tu ?

– Fort bien, père, répondit Henri, et il s’inclina pour dissimuler l’amusement qui lui montait aux lèvres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire MehdiEval ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0