Discours de Linoléum premier, Chef suprême des Hommes de Jupiter

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Mes Frères, Hommes de Jupiter,

Nous nous réunissons ici pour une dernière fois. (murmures étouffés) Hum... (silence immédiat). Nous sommes réunis, ici, pour une dernière fois, dis-je, dans cet amphithéâtre qui vous a vus tous, enfin, presque tous, savourer les discours de la victoire que je prononçais avec vigueur et émotion. Oui, nous sommes ici, une dernière fois, avant le grand Embarquement. (on sent les mots qui s'étouffent dans les gorges)

Soyez attentifs.

Nous livrons combat à Gaïa, mère de toutes nos misères humaines, de notre hargne, de nos maladies, de nos cauchemars de torrents déments, de déserts impitoyables et de glaces perpétuelles. Gaïa nous assoiffe de ses laits salés, nous souffle des vents mauvais et destructeurs, fait exploser ses volcans, soulève ses océans. Elle allie à son délire de puissance une âme destructrice. Elle se croit géante, elle est naine. Pour nous, fourmis à sa surface, elle brille de toutes ses contradictions.

Comme nous l'aimons. (silence incrédule) Comme nous savourons le plaisir de la voir souffrir. (murmures de soulagement)

Elle brûle de l'intérieur, pressent son refroidissement, s'en inquiète, et brûle de froid à l'extérieur, conséquence de la guerre que nous lui faisons. Elle a peur. Des regrets, cette psychopathe ? (ricanements sonores, pause calculée de l'orateur) Elle s'est toujours tenue pour unique, se croyant même, jadis, le centre de l'univers. Elle savait bien qu'elle n'était qu'une petite planète perdue parmi des millions d'autres comme elle, tout aussi mauvaises qu'elle, portant, comme elle, le trou noir de leur ineptie. (murmures d'approbation admirative)

Certes, on la glorifie, notre sublime et pugnace ennemie. Bien sûr, on baisse le nez comme des enfants pris en faute (légers rires), on s'auto-flagelle, on la flatte, on l'apaise, mais ne perdons jamais de vue qu'on a juré sa perte. On y travaille. Nos victoires sont multiples : les feux de forêts, c'est nous, la hausse de la température de l'atmosphère, aussi, les océans qui montent, les déserts qui s'étendent, le nuage radioactif qui achève de se dissiper là-haut, c'est nous. Nous qui nous vengeons des volcans, des typhons, des raz-de-marée, des requins, des cobras, des piranhas, des grizzlys, du yéti et du monstre du Loch Ness (pause calculée, aucune réaction, l'audience ne sait pas si elle doit rire ou non), toutes les créations de son esprit sadique.

Comme nous la haïssons. (clameur guerrière)

Nous possédons en armement nucléaire de quoi lui abîmer le paysage pour des centaines d'années, et de quoi faire pousser trois pattes aux poules, des dents de lion aux éléphants et des défenses au canard. Nous pouvons la salir, l'humilier, la ridiculiser, la raser, la violer, la massacrer.

Elle ne nous a rien donné. Sa rudesse, son charme trompeur, sa douceur feinte, sa violence, ont fait de nous des être difformes, hargneux, frustrés et méchants. Ah ! elle nous a nourris. Mais pour mieux nous affamer, quand elle ne nous empoisonnait pas de ses marécages putrides et de son plomb délétère.

Nous n'en voulons plus.

Mes Frères, Hommes de Jupiter, écoutez :

L'entreprise de destruction est programmée pour le 1er septembre prochain, à quatorze heures, heure du bunker Europe.

Oui, je sens l'émoi monter en vous. Quitter Gaïa, quand nous pourrions attendre que son atmosphère se purifie pour nous permettre de remonter à la surface, mais pourquoi ? Certains doutent encore, je l'entends. Je vous le dis, les guerres recommenceront, nous redeviendrons ce que notre mère a fait de nous, des monstres. Le voulons-nous ? Nous nous offrons aujourd'hui le choix de renaître dans un monde pur, de nous délaisser de nos âmes humaines brutales et fourbes. (hurlements guerriers)

Nos vaisseaux sont prêts à s'envoler vers Europe, l'enfant de Jupiter, notre promise, où nous poursuivrons notre Grand Œuvre de conciliation des deux physiques et apprendrons à capitaliser la matière noire. Nous avons l'éternité devant nous.

Ceux qui m'aiment me suivent, les autres périront avec la plèbe. (applaudissements nourris)

Le Chef suprême de la Tuile salue, sa moumoute tombe, l'assemblée est terminée. Les vingt-deux Hommes de Jupiter se dispersent.

Le compte-à-rebours est commencé.

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