Chapitre 14

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C’est un matin pluvieux que Mandra et Gale rentrèrent, environ quatre mois plus tard. Les deux chasseurs de primes s’entraînaient dans la clairière lorsque leurs deux mentors apparurent à la lisière des arbres. Jake se leva et enlaça la femme tandis que Kaufman poussa un soupir de soulagement.

Gale paraissait être parti la veille. Sa chemise et son pantalon déchirés en de multiples endroits étaient les seuls indicateurs de son périple, son expression et son énergie juvénile restant inchangés.

Mandra, en revanche, était méconnaissable. Affublés des mêmes soucis d’accoutrement que l’homme balafré, elle avait les traits déformés par la fatigue et la ceinture improvisée en lianes resserrant son pantalon à la taille trahissait ses kilos perdus.
Mais le plus perturbant ne se devinait pas dans son apparence physique. Sans comprendre comment ni pourquoi, Kaufman et Jake découvraient une nouvelle Mandra.

Malgré son épuisement, elle paraissait avoir un peu rajeuni, l’éclat de ses yeux était plus pétillant qu’avant malgré son visage brulé de moitié et l’aura de puissance qui se dégageait d’elle – déjà impressionnant auparavant – était encore plus prononcé.

— Qu’avez-vous trouvé ? interrogea Kaufman, curieux de découvrir la raison de ce brusque changement.

— Nous avons trouvé, c’est tout ce qui importe, répondit sereinement Mandra. Vous m’excuserez mes enfants, mais je vais me reposer : je suis extenuée.

Gale croisa les bras et étudia avec attention ses deux élèves une fois qu’elle fut partie.

— Alors, des progrès ? demanda l’homme.

— Évidemment, fit fièrement Jake. Mais cette fois ça suffit, Gale. Je ne lâcherais pas l’affaire, je vous préviens : qu’êtes-vous allé faire ? Pourquoi Mandra semble différente et pas vous ? Pourquoi ne pas nous avoir pris avec vous ? J’exige des réponses.

Gale soupira et secoua la tête, feintant une exaspération profonde.

— Très bien, très bien. Écoute, je te fais une promesse : une fois que toi et Kaufman aurez réalisé une toute petite tâche de rien du tout, je vous expliquerais de mon mieux tout ceci. Ça vous va ?

— Parfait ! s’écria Jake, soulagé à l’idée de pouvoir enfin en apprendre plus sur tous ces secrets. Dites-nous quoi faire, on s’y met dès maintenant et vous parlez disons… ce soir ! Cette petite tâche de rien du tout ça ne devrait pas prendre toute la journée, n’est-ce pas ?

— Ah, cela dépend de vous, mes garçons !

— Bon, acquiesça le barbu. Et quelle est donc cette fameuse petite tâche ?

— Oh, c’est d’une facilité et d’une simplicité déconcertante !

Le duo continua d’interroger Gale du regard pendant qu’il marquait l’une des pauses théâtrales qui l’amusait tant. Il reprit en souriant de toutes ses dents :

— Il vous suffit de retourner dans la caverne au gros drake, et le vaincre !

Un silence pesant s’abattit sur la vallée.

— Très drôle ! fit Kaufman en secouant la tête.

— Je suis tout à fait sérieux.

Les deux hommes n’en croyaient pas leurs oreilles.

Comment pouvait-il les renvoyer face à ce monstre qui avait failli causer leur perte ? Quel rapport avec Mandra ? Et comment savoir si les Défenseurs ne surveillait pas le lieu ?

Gale ne répondit bien sûr à aucunes de ces questions et leur ordonna d’être prêt demain à l’aube.

Ils le furent, mais après une nuit agitée.

Voyant la mine déconfite de ses deux apprentis, l’homme balafré les rassura :

— Vous êtes prêts messieurs. Je vois en vous le résultat de votre entraînement et je vous assure que vous avez tout ce qu’il faut pour réussir cette épreuve, tant que vous ne vous reposez pas sur des Artefacts trop faibles ou que vous ne maîtrisez pas. Et ça tombe bien, vous n’avez plus aucun des deux.

Jake paru se résigner plus facilement que Kaufman. L’épéiste avait frôlé la mort trop de fois ces derniers temps pour prendre une telle épreuve avec légèreté. Durant tout le trajet que le trio effectua – Mandra ayant décidé de rester à la vallée pour se remettre de son voyage –, il envisagea avec anxiété toutes les possibilités qui s’offraient à eux pour tenter de vaincre le Monstre.

Aucune d’elles ne paraissaient convaincantes. Jake avait voulu le rassurer mais il fut stoppé net par Gale, devinant son intention.

— Laisse le.

Le ton était sans appel : inutile de se fatiguer à demander pourquoi.

Kaufman continua donc de se tourmenter jusqu’à ce qu’ils arrivent en vue d’un versant reconnaissable marquant la fin des Montagnes. Ils bivouaquèrent et se reposèrent le reste de la journée afin d’être frais à l’aube : affronter la créature après une journée exténuante de marche en montagne était du suicide, entraînés ou pas.

Après un repas composé essentiellement de fruits et poissons séchés, Gale se coucha et se mit à ronfler quasi instantanément.

C’est sur cette drôle de berceuse que Kaufman partagea ses doutes à son acolyte :

— Je n’y arrive pas, Jake.

L’intéressé l’invita à poursuivre.

— Je ne trouve pas de moyen. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouve pas de moyen de tuer ce foutu drake.

— Tu dois bien avoir des pistes plus prometteuses que d’autres ? demanda son compère.

— A peine. Il y a un problème majeur, vois-tu, et si on n’y trouve pas de solution, il n’y a aucun espoir. La résistance naturelle d’un drake est démentielle : ses écailles et sa peau résistent à toutes nos attaques. On peut fuir autant que nous le voulons, on peut le perdre dans les galeries et essayer toutes sortes de tactiques, tant qu’on arrive pas à le blesser, on ne pourra jamais gagner.
De toute ma vie je n’ai jamais réussi à tuer un drake autrement qu’en lui infligeant des dégâts internes en le poussant d’une falaise ou en l’écrasant sur un mur. Mais ça c’était avec des drakes de la taille d’un chien : c’est impossible avec une créature cinq fois plus grosse.

— Moais, j’ai jamais réussi autrement que comme ça non plus, ajouta Jake, pensif. Ou avec mon Artefact, mais je ne l’ai plus. Mais pas grave, on trouvera quelque chose, fais-moi confiance, camarade.

— J’essaye. Mais c’est difficile, tu sais. Très difficile. Peut-être trop… Je suis pas fait pour ça.

— Complémentarité.

Le ronflement avait cessé et c’était Gale qui venait de parler.

—Tu as raison, Kaufman : son armure est le problème. Pouvoir déterminer sa condition de victoire en analysant les forces de son adversaire est un atout essentiel dans n’importe quel affrontement. Fais toi confiance, mais aussi à ton partenaire qui a choisi de ne pas se ronger les sangs.
Jake marche à l’instinct, et toi à la réflexion, Kaufman. Si votre duo a si bien fonctionné jusque-là c’est grâce à cette complémentarité. Vous devez faire confiance à cette force.

Il se retourna sur sa paillasse et semblait sur le point de se rendormir lorsqu’il ajouta tout bas :

— L’instinct ou la réflexion ? Toujours compliqué...

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