EPILOGUE

6 minutes de lecture

« La vie est un mystère qu’il faut vivre et non un problème qu’il faut résoudre »

(Ghandi)

5 ans plus tard

Toine et Simone entrèrent dans l’ancienne chapelle suivis par Valérie et Max. Ils se sentirent presque soulagés d’enfin pouvoir respirer un peu d’air frais après avoir subi la canicule extérieure. Peu de monde s’y trouvait pour rendre un dernier hommage à Madame Anémone, la doyenne de la région Pyrénées. Et pourtant, la chapelle était si petite qu'il restait peu de places libres. Mais comme l’avait souvent répété la vieille dame à Toine qui venait la voir tous les étés, il y aura une place de choix pour ta famille à mes funérailles. Et elle n’avait pas menti. Quatre chaises leur avaient été réservées au premier rang. En s'asseyant, Toine demanda à sa sœur :

  • Tu penses qu’elle est là ?
  • Toine, arrête tes bêtises ! Tu n’as plus quinze ans ! lui rétorqua-t-elle non sans lui sourire.
  • Je suis certain qu’elle est là, continua-t-il en scrutant les vieilles pierres. Tu sais, elle va me manquer, cette vieille dame. Elle me racontait tellement bien sa montagne.
  • Je sais, Toine. A moi aussi, elle va me manquer.

L’office commença et, comme le souhaitait Anémone, il fut assez bref. Après la cérémonie, le cercueil fut porté par les plus gaillards du village, au fond du cimetière, pour être mis dans le caveau familial. C’est là que Simone put y lire :

Jonas Orléans : 23 juin 1892 - 14 décembre 1914.

Elle passa ses doigts sur la gravure. Elle n’a jamais voulu venir ici. Elle ne voulait pas se souvenir qu’à seize ans, elle s’était amourachée d’un homme du passé. Depuis, Simone avait fait du chemin. Encore deux ans et elle serait licenciée en histoire et lettres. Elle se sentait bien dans ses baskets, confiante en l’avenir et terriblement reconnaissante de ce que la vie pouvait lui apporter. Son regard quitta l’inscription pour se perdre dans l’horizon où cette montagne, si mystérieuse, arborait fièrement ses crêtes. Parfois, elle aurait voulu que toute cette aventure ne soit qu’un rêve, mais c’était sans compter sur son frère qui ressassait cette histoire à longueur d’année. Depuis ses seize ans, chaque année, il venait défier cette montagne avec Fred pour retrouver la trace de la bergerie. C’en était devenu une obsession. Elle, elle aurait presque préféré oublier Jonas ; pour avoir moins mal, pour être plus sereine. Car si tout semblait lui sourire dans la vie, ses amours restaient une belle épine dans le pied. Malgré quelques rencontres prometteuses et parfois même de jolies amourettes, aucune n’a pu tenir car aucune n’a pu être à la hauteur de ce qu’elle avait vécu dans cette montagne. Non sans jeter un dernier coup d’oeil sur la pierre grisâtre du caveau, elle s’éloigna doucement, Toine sur les talons.

  • Je te ramène à l’auberge avec maman et Max ? lui proposa-t-il ?
  • Non, je crois que je vais marcher un peu. Il y a si longtemps que je n’étais venue ici.
  • Ok, à toute ! Sœurette et, surtout ne te perds pas, plaisanta-t-il avant de rejoindre ses parents qui l’attendaient près de la voiture.

Simone se dirigea lentement vers la sortie du cimetière, arpentant les allées boisées et odorantes. Elle écoutait les oiseaux, se laissait émouvoir par les épitaphes qu’elle lisait çà et là. L’auberge d’Anémone n’était pas très loin, peut-être à deux kilomètres tout au plus en contrebas. Elle était surprise de voir si peu de voitures dans les rues, avant de se rappeler que la haute saison estivale ne commencerait que trois semaines plus tard. Nous sommes en mai, idiote ! songea-t-elle. Les résidences secondaires avaient encore leurs volets fermés et le calme régnait dans le village. Comme à chaque fois qu’elle revenait chez Jonas, car, ici, c’était le monde de Jonas, un vague à l’âme la happait. Sentiment triste et apaisant à la fois, elle le définissait plus comme une lourdeur sur le cœur ; comme un pourquoi inexplicable et insurmontable. Anémone avait raison. L’âme, sans son double, ressentait une fêlure bien plus profonde que la solitude. Mais comment la combattre lorsque l’on avait la certitude que l’amour s’était échappé avant même d’éclore réellement ? Comment garder espoir, lorsque à l’aube de ses dix-sept ans, on ressentait la douleur d’une veuve ? Car c’est bien cette souffrance sourde et sournoise qui lui étreignait la poitrine à chaque fois qu’elle espérait l’amour. Les premiers mois qui avaient suivi leur aventure montagnarde, elle avait cherché Jonas partout. Dans le regard de chaque garçon qu’elle croisait et dans leur voix aussi. Elle voulait tellement le retrouver ! Mais après bien des déceptions, elle comprit que rien ne pouvait forcer le destin, même pas une vieille âme. Alors, elle prit le contrepied en essayant d’aimer un jeune homme, beau, gentil, intelligent, bref, le garçon le plus parfait qui soit ! Sauf que...sauf que ce n’était pas lui. Et après deux ans d’un amour tiède et sans saveur, elle prit le large. Comment oublier un homme qui n’a fait partie de sa vie que trois jours ! Comment est-ce déjà possible d’aimer un homme qu’on a connu que trois jours ?

Elle en était là dans ses réflexions lorsqu’elle fut renversée par une grosse masse poilue qui la plaqua au sol et commença à lui lécher le visage.

  • Zip ! Arrête tout de suite !

Simone se débattait tant bien que mal pour se relever mais l’animal pesait son poids. Enfin, un homme vint le retenir. Le terre-neuve gémissait, presque penaud, et faisait voyager son regard de son maître vers sa jeune victime, d’un air presque entendu. Puis, il se calma et s’allongea auprès d’eux. Le jeune homme, un peu ennuyé par la situation, tendit la main vers Simone qui, enragée, refusa son aide et se retrouva debout, en quelques secondes, à vociférer :

  • Franchement, vous ne pouvez pas garder votre chien attaché au lieu de le laisser bousculer tout le monde !

Elle époussetait son combishort et leva des yeux assassins vers l’inconnu. Des boucles épaisses lui cachaient la moitié du front et son regard doré lui alla droit au cœur. Il lui souriait. Elle restait immobile, les bras ballants.

  • Je suis désolé, mon chien est d’habitude très calme. Je ne comprends pas son attitude, ce matin. Il faut dire qu’il est très agité depuis que nous sommes arrivés, hier soir. Et......

L’étranger fixa la jeune femme, interloqué:

  • Mademoiselle, ça va ?

Elle le dévisageait, le regardait de haut en bas puis remarqua la naissance d’un tatouage sur le haut de son bras. Il représentait un arbre de vie dont le feuillage se cachait sous la manche du t-shirt. Son cœur se mit à battre, se pouvait-il que... Non, c’était impossible ! Pas ici, au bas de cette montagne ! Pas comme ça ! Il ne pouvait pas lui ressembler à ce point ! Ces boucles, cette voix, et l’expression de ces yeux ! Bien sûr, ils tiraient plus vers l’orangé et il semblait plus trapu que Jonas, mais ce regard, elle en était convaincue, c’était celui de Jo !

  • Mademoiselle, il vous a fait mal ? Tu vois, Zip ! Tu es méchant ! fit-il en s’adressant au chien qui lui répondit par un jappement.

Simone se ressaisit en un instant.

  • Non, non ne vous inquiétez pas. J’ai juste été surprise, mais rien de grave !

Le jeune homme dévisagea à son tour Simone.

  • Excusez-moi, Mademoiselle, mais, on ne s’est pas déjà vu quelque part ?

Au loin, une petite Renault Twingo passait sur la voie rapide, Toine conduisait prudemment. Un instant, il regarda vers la droite et vit la silhouette de sa sœur au côté d’un homme aux cheveux bouclés, un terre- neuve à leurs pieds. Il continua sa route en riant. Sa mère lui demanda, alors, pourquoi tant de joie après un événement si triste. Il lui répondit juste que la montagne était belle, aujourd’hui. Et en levant les yeux vers le massif, il crut y voir une lueur bleue s’éloigner.

FIN

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