CHAPITRE 9

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« L’amour d’une mère c’est comme l’air : c’est tellement banal qu’on ne le remarque pas. Jusqu’à ce qu’on en manque. » (Pam Brown)

L’aire de repos, 16 juillet Vers 11h00

  • Quand pensais-tu m’avertir ?

Sébastien Bricout jetait des regards assassins vers son ex-femme tout en restant d’un calme à toute épreuve. Son veston bien ajusté et ses chaussures vernies détonnaient dans cet environnement estival et montagnard. Il ne pouvait s’empêcher d’être tiré à quatre épingles comme s’il s’apprêtait à faire la classe à tout moment. Du lundi au dimanche, sans aucun repos possible, il avait pour habitude de se cacher derrière ce perpétuel uniforme d’un instituteur d’un autre temps.

  • L’important est que tu sois averti, non ? Les flics ont bien fait leur job.
  • Arrête, Val ! Si l’officier ne m’avait pas appelé hier soir, je serais encore à Lille à me dire que nos gamins se doraient la pilule sur la plage !
  • Je pense que cette conversation est stérile, on devrait plutôt se concentrer sur le moyen de les retrouver, non ? intervint Max
  • Alors vous, je ne vois pas pourquoi vous êtes encore ici ! Ce ne sont pas vos enfants que je sache !
  • Sébastien, vos enfants, je les connais et je les aime sincèrement. Même si cela vous ennuie. Je suis le mari de Valérie et, elle comme Simone et Toine pourront toujours compter sur moi !
  • On ne va pas refaire cette discussion une énième fois, le temps nous manque ! rétorqua Sébastien tout en ne lâchant pas son regard réprobateur de Valérie.

Ce n’était un secret pour personne, Sébastien Bricout était encore très remonté contre son ex-femme. Il y a trois ans, il se doutait bien que son couple battait de l’aile mais jamais, il ne l’aurait cru capable de le quitter et de partir sans lui donner aucune chance, sans même un regret pour leur mariage. Il s’est senti abandonné comme un animal blessé au bord de la route et le pire restait à venir ! Voir le bonheur de son ex avec son nouvel amour, voir son succès et la reconnaissance de tous, lui donnait juste envie de vomir. Et là, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase ! Elle avait réussi à perdre ses enfants en plein milieu de la forêt près d’une montagne ultra dangereuse !

  • Monsieur Lemarquis m’a expliqué qu’ils avaient certainement dû prendre la route pour descendre vers le village le plus proche. Ils veulent suivre cette piste et explorer tous les environs. Peut-être se sont-ils éloignés pour se reposer.
  • Non Sébastien, ils ont pris le chemin vers la montagne et il faut continuer à chercher dans cette direction !
  • Ha et pourquoi Madame ́Je sais tout’ aurait raison et irait contre l’avis d’experts dont c’est le job ?

Valérie hésita à répondre. Lui parler de la vieille dame et de son instinct maternel serait comme lui donner le bâton pour la battre. Elle finit par lui concéder :

  • Écoute, si tu penses qu'ils ont raison, accompagne-les et tiens-nous au courant de leurs recherches. De notre côté, nous allons voir comment faire pour aller plus loin vers la montagne. De cette manière, on couvrira toutes les pistes. Il s’agit de nos enfants, Seb ! Si on enterrait la hache de guerre pour une fois ?
  • Et c’est là que tu vas me sortir tes conseils : agissons comme des adultes et bla- bla-bla c’est ça ? ironisa-t-il. Je vais suivre l’avis des experts. Toi, tu fais ce que tu veux de ton côté ! Mais crois-moi que dès qu’on les a retrouvés, je lance une procédure pour la garde exclusive !

Et sans attendre la réaction de son ex-femme, il tourna les talons et se dirigea vers l’équipe de gendarmes.

Valérie resta stoïque face aux menaces de son ex-mari. Elle savait qu’il aboyait plus qu’il ne mordait. Elle prit son portable et essaya en vain de contacter Fred Mansard. Vu l’urgence, Max et Valérie décidèrent de prendre directement la route pour le village afin d’aller le rencontrer. Le trajet fut silencieux. Max regardait du coin de l’œil sa femme tout en conduisant. Cela faisait presque vingt heures qu’on les avait perdus et les chances de les retrouver sains et saufs s’amenuisaient. Il fallait absolument que cet alpiniste soit le meilleur et surtout qu'il accepte de les aider. Il les aimait bien ces gamins même si tout n’a pas toujours été facile entre eux. Simone souffrait de la situation mais il voyait bien que, parfois, quand sa mère était absente, elle baissait la garde avec lui. Il y eut même quelques séances de jogging assez sympa dans le parc Monceau à quelques mètres de leur appartement parisien. Et Toine, même si sa paresse l’agaçait, c’était un gamin avec un bon potentiel et surtout un cœur énorme ! Oui, il devait bien se l’avouer, il les aimait ces gamins. Il arrêta la voiture devant un chalet assez imposant.

  • Dis-donc, il s’emmerde pas ce Fred Machin Chouette ! fit-il plus pour détendre l’atmosphère qu’autre chose.
  • Viens ! On n’a pas le temps de plaisanter, cingla Valérie en claquant la portière.

Une énorme porte en chêne sculptée s'entrouvrit sur une élancée jeune femme. Des cheveux flamboyants et déstructurés auréolaient son visage fin. L’hôtesse leva les yeux au ciel avant de s’écarter et de les inviter à entrer.

  • Vous êtes les parents des gamins qui se sont perdus dans la forêt, c’est ça ? Il y va fort, Lemarquis !
  • Excusez-nous, Mademoiselle, en effet nous sommes les parents de ces enfants, nous aimerions parler à Frédéric Monsard, c’est vraiment important !
  • Monsieur ?
  • Oh, appelez-moi Max !
  • Max ? Bien, je suis Fred Monsard.

Tant Valérie que Max ne purent cacher leur surprise.

  • Ah, je vois ce brave Lemarquis a oublié de vous dire que l’alpiniste suffisamment dingue pour s’aventurer là-haut était une femme !

Elle rit et leur fit signe de s’asseoir dans un cosy canapé qui donnait face à une baie vitrée. La vue sur la montagne y était spectaculaire. Les neiges éternelles se fondaient dans le bleu du ciel.

Max ne put s’empêcher de le lui faire remarquer :

  • Woua, quel panorama !
  • Ça vous en bouche un coin, n’est-ce pas ? Et attendez, vous n’avez pas vu au crépuscule, c’est magnifique ! Je peux vous offrir du thé ? Je vous préviens ; je n’ai ni café, ni soda !
  • Parfait pour le thé, fit Valérie. Excusez-nous pour notre réaction stupide. Nous nous attendions à un homme, c’est vrai mais cela ne retire en rien vos compétences. D’après l’officier Lemarquis, vous êtes la seule à pouvoir nous aider.
  • Surtout la seule à être assez folle, oui ! Êtes-vous conscients du danger d’une telle expédition ? Car c’est une expédition que de s’aventurer là-haut.
  • Nous ne connaissons rien à la montagne, en revanche, j’ai l’intime conviction que mes enfants sont là-haut !

Valérie l'implora du regard. Peut-être que cette Fred avait des enfants ? Après tout, le fait que ce soit une femme pourrait bien s’avérer être un atout.

  • Madame Braumercier, c’est ça ?
  • Valérie
  • Ok, Valérie, je n’y connais rien en instinct maternel. Je n’ai pas d’enfant et je n’en aurai probablement jamais. Attention, je ne dis pas que je n’aime pas les enfants, juste que ... c’est pas mon truc. Mais pour ce qui est de cette montagne... je la connais bien. Et ce versant reste une énigme pour moi. J’ai beau y retourner plusieurs fois dans l’année, il ne me semble jamais pareil ! Il Je n’ai jamais eu autant de mal à m’orienter et là, je ne parle même pas de la dangerosité des lieux. C’est comme si, cette foutue montagne prenait un malin plaisir à nous piéger. C’est une vraie salope ! C’est certainement pour ça qu'elle me fascine autant !

Un ange passa dans la pièce. Un silence léger, le temps pour chacun d’apprivoiser les croyances de l’autre. Valérie osa enfin demander :

  • Fred, pensez-vous qu’il y ait une seule chance, même minime, que mes enfants soient vivants dans cette montagne ?

L’alpiniste hésita à répondre :

  • Si vos enfants ont bien pris ce chemin, ce serait un miracle qu'ils s’en soient sortis indemnes. Je suis désolée d’être si directe, Valérie, mais je ne veux pas alimenter un espoir vain. Vous comprenez ?

Valérie perdit son regard dans l’horizon lacéré par les montagnes. Elle sanglotait doucement. Fred était émue par cette femme. Pourquoi était-elle si touchée par cette mère de famille qu’elle ne connaissait pas il y a à peine un quart d’heure ? Les enfants ? Non, elle s’en fout des enfants, c’est vraiment cette femme qui la troublait. Max restait silencieux. Il se sentait presque inutile.

Valérie reprit calmement sans quitter les cimes des yeux.

  • Vous imaginez bien que j’irai sur cette montagne avec ou sans vous, n’est-ce pas ?
  • Oui, Valérie. Je l’ai compris dès que vous avez franchi le pas de ma maison. Et c’est là que ce petit con d’officier est très fort ! En vous demandant de venir, il m’obligeait à vous aider ! Comment puis-je vous laisser sortir d’ici sans me sentir coupable par la suite s’il vous arrivait quelque chose, là-haut ?

Fred se leva et se dirigea vers l’étage.

  • Attendez-moi ici, je vais chercher de quoi nous équiper un peu. S’il y a encore la moindre chance de les retrouver, le temps nous est compté. Mais, je vous préviens, nous ne grimpons pas sur le versant ! Nous ne prenons aucun risque démesuré !

De toute manière, vos enfants n’avaient ni l’équipement, ni la force physique pour le faire. Elle marqua un instant de silence avant de reprendre, et aussi... n’espérez pas trop, il faut que vous puissiez vous attendre au pire, Valérie.

Laissés seuls, Valérie, lâcha les écoutilles et se mit à pleurer sans retenue. Les nerfs commençaient à lâcher, son cœur meurtri ne voulait qu'une seule chose : arrêter de battre et de subir cette souffrance terrible de l’inquiétude. Max, comme toujours, vint la soutenir en l'enlaçant tendrement.

Lorsqu’ils arrivèrent à l’aire de repos, il ne restait qu’une seule voiture en faction. Tout le monde suivait la piste officielle. A leur arrivée, un gendarme sortit du véhicule et les interpella :

  • Madame, Monsieur ! Attendez !

En s’approchant d’eux, il salua Fred qu'il connaissait depuis la maternelle.

  • L’officier Lemarquis m’a chargé de vous dire qu’un hélico survolait toujours la zone. Il veut que vous preniez ces fusées de détresse avec vous. Au cas où il vous arriverait un truc.
  • Merci, fit Max en prenant les fusées pour les mettre dans son sac à dos.

Fred regardait la scène mi-amusée, mi-vexée. Comment ce troufion pouvait douter de son matériel ! Elle avait bien entendu tout prévu ! De l’équipement de survie à celui de secours, elle avait même équipé ses accompagnants en chaussures, vestes de pluie et tout ce qui pouvait être nécessaire pour cette randonnée de sauvetage.

  • Ne t’inquiète pas, Paul, je maîtrise ! coupa-t-elle sèchement.

L’agent choisit de l’ignorer et continua :

  • Moi, je reste ici. Je vous attends et, aussi, je regarde si les enfants ne reviennent pas. On ne sait jamais, hein.

Fred se radoucit, elle souriait. Paul était vraiment un chic type. Trop poli et timoré pour elle mais c’était un bon gars. Il n’était que le messager d’un supérieur bien plus rusé.

  • Merci Paul ! Dis bonjour à ta mère et ta sœur pour moi. Allez, on y va !

Paul les regarda s’éloigner, non sans une certaine inquiétude. Tout le monde dans la région connaissait cet endroit et en avait la frousse. Il y avait bien trop d’événements tragiques et étranges qui s’étaient déroulés dans cette montagne depuis le décès mystérieux de la dame bleue. Et pourtant ça remonte à plus de cent ans, cette histoire ! Lorsqu’il était enfant, sa sœur aimait lui raconter cette légende pour lui faire peur. Après la découverte de cette femme morte, il y eu bien d’autres drames inexpliqués : des alpinistes disparus, des bergers mutilés et complètement choqués, il y eu même la disparition d’un petit avion de tourisme. Depuis l’effondrement, il y a quelques années, de presque tout un versant de la montagne, peu de monde y montait encore. Les gens disaient qu’il existait une malédiction là- haut et que les âmes des personnes disparues restaient à errer dans les anciennes estives. Malgré la chaleur accablante de cet après-midi, Paul sentit un vent glacial lui frôler les avant-bras. Paniqué, il fonça dans la voiture et s’y enferma. Vivement la relève ! Et oui, si Paul était gendarme, ce n’était pas le plus téméraire de tous.

C’était juste un chic type.

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