Chez le psy

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J’ai sauté le pas. Ça me travaillait depuis un moment.

J’ai pris rendez-vous il y a quelques semaines. Je viens d’arriver dans la salle d’attente, j’ai juste à patienter une poignée de minutes. L’heure de vérité va donc enfin sonner.

C’est eux qui vont être contents.

Depuis plusieurs années, on me regarde bizarrement lorsque j’en parle. Quand les gens comprennent à quel point j’ai une façon de penser différente de la leur, j’ai l’impression de débarquer d’une autre planète. Certains ont même cherché à discuter avec moi pour savoir ce qui n’allait pas, persuadés que j’avais un syndrome dépressif ou autre… Comment pouvais-je raisonner de la sorte autrement ? Ce ne pouvait être que ça, rien d’autre.

Les premiers à m’avoir conseillé de consulter un psychiatre sont de bons amis à moi. Un médecin de l’esprit, rodé aux troubles psychiques en tous genres, consultation remboursée par la Sécurité sociale… C’était, sinon la seule, la meilleure solution pour m’en sortir.

Pour aller mieux.

Jusqu’à présent, je demeurais réfractaire à l’idée de consulter un psychiatre… ou même un psychologue. Ne me considérant pas vraiment comme malade, je n’en voyais pas l’intérêt. Que ce fût pour moi ou le professionnel en question. Je me contentais donc de hocher la tête à chaque fois, sans répondre, et d’ignorer leur conseil si précieux.

Mais le temps a passé et… peut-être avaient-ils raison, après tout ?


***


Le déclic a eu lieu au dernier repas de famille. Le sujet est revenu sur le tapis et je leur ai répondu la même chose qu’à chaque fois ; comme d’habitude, ça a lancé un débat. J’ai vu tous ces yeux me regarder, avec ce même air bizarre qui me met mal à l’aise à chaque fois. L’un des cousins, sûrement par empathie, a cherché à réguler l’effervescence en leur demandant de me comprendre, supposant que j’étais encore trop jeune et que je pouvais encore changer d’avis. Quelques années plus tôt, j’aurais été catégorique.

Maintenant…

Les convives se sont divisés : ceux qui entraient en accord avec ce cousin et pensaient que j’étais encore jeune, que je n’y avais pas encore bien réfléchi, que je n’avais pas encore compris tout ce que ça pouvait m’apporter… et ceux qui comprenaient son argument mais ne concevaient pas que je pusse penser de cette façon, être aussi « bizarre ».

Le débat a duré de longues minutes. Sûrement une heure, ou une heure de demie. Ça les a passionnés ; moi, j’ai eu un sentiment à la fois de chosification et d’exclusion, de braquage par un projecteur et d’isolement, de stigmatisation et de mise à l’écart. J’avais provoqué le débat, mais n’y participais pas. J’écoutais seulement mes proches parler de moi comme d’un enfant atteint d’une fièvre chronique mais bénigne qui allait s’estomper avec le temps.

Je ne sais toujours pas pourquoi j’étais aussi mal à l’aise sur le coup. Le fait d’être en dehors et sujet d’un débat pour décider de ma normalité ? Ma différence ? Mes doutes ?

Je ne sais plus où j’en suis.

Et puis, une autre cousine, très branchée écologie, a balancé que ce n’était pas si mal que ça pour l’environnement et m’a même donné des encouragements. Ce qui n’a pas manqué de lui attirer les foudres de la moitié de la table, d’autant qu’elle est comme eux tous. À ce moment-là, un rire s’est échappé de moi, par soulagement ou devant le comique de la situation… peut-être les deux. Habilement ou involontairement, elle avait déclenché un autre débat en détournant le sujet.

Ça ne m’a pas ôté mes doutes pour autant.

Finalement, l’ambiance s’est détendue et les conversations ont continué à dériver, naviguer, escaler, repartir… À la fin de la soirée, le même cousin qui a essayé d’atténuer les passions plus tôt m’a conseillé, malgré tout, d’en parler à quelqu’un. J’ai opiné du chef sans chercher à répliquer, ne souhaitant pas susciter un nouveau tollé.


***


C’est pour ça que je me retrouve ici aujourd’hui. Dans cette salle d’attente. Pour y voir plus clair.

Savoir si, oui ou non, je suis quelqu’un de normal.

D’ailleurs… je regarde ma montre… oui, ça ne devrait plus tarder, maintenant. J’ai pris soin d’arriver en avance et le psychiatre a quelques minutes de retard, mais pas de quoi s’impatienter. Et d’ailleurs, il finit par apparaître. Je me lève et il m’accueille, me serre la main, m’invite à entrer dans son cabinet.

Je tremble, mes nerfs sont tendus. Mon cœur est en transe et ma respiration s’emballe légèrement. Gêne ou appréhension ? Je l’ignore. En tout cas, cette boule dans ma gorge, je sais qu’elle est bien là.

J’entre dans la salle et m’installe tranquillement – enfin, du moins, j’essaie – pendant que le docteur prend place à son tour près de moi.

Il sent ma tension et mon malaise. Je suppose que c’est pour ça qu’il tente de me mettre en confiance, en m’affirmant notamment qu’il est soumis au secret professionnel et que rien ne sortira d’ici.

Je hoche la tête.

– Alors, amorça-t-il, de quoi vouliez-vous me parler ? Je vous écoute.

Mon cerveau fait barrage. J’ai un blocage pendant un instant.

Un court instant pendant lequel j’ai un vif désir de quitter la pièce en lui demandant pardon, incapable de m’exprimer, de faire face à mon problème, à ma tare… Incapable d’affronter ses yeux ronds, à lui aussi, que je visualise déjà, que je redoute.

J’inspire un bon coup, déglutis.

J’ouvre les yeux, puis la bouche.

– Eh bien, je…

De quoi ai-je peur, après tout ? Le meilleur moyen de résoudre un problème est de le regarder en face.

– Je ne veux pas d’enfants.

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