La Vision p1

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Cinq jours après le départ de la deux-mille six-cent-soixante-seizième Grande Caravane, l’événement désormais baptisé « Le Funeste Présage », qui avait fait basculer tout un quartier de Thanobras dans la folie, restait encore au cœur de toutes les interrogations.

Les vingt-deux chariots imprégnés par les soins des caravaniers étaient dotés de proportions hors-normes. Large comme trois hommes adultes, long comme cinq et s’élevant sur deux niveaux de hauteur, ils constituaient les vertèbres difformes d’une bête monstrueuse serpentant sur presque un demi-lieu. Ils étaient flanqués par des dizaines de carrioles, ainsi que par des centaines de voyageurs à pied ou à cheval, minuscules en comparaison, comme autant de fourmis s'agitant aux côtés d’un ver immense. Au point culminant du périple, la Grande Caravane compterait plus de huit mille âmes, dont les pieds, les sabots ou les roues, feraient trembler la terre dans un nuage de poussière visible des lieux à la ronde. Pour l’heure, environ cinq milles personnes avaient déjà rejoint le convoi.

Si les chariots imprégnés impressionnaient déjà de l’extérieur par leurs proportions titanesques -véritables forteresses roulantes faites de bois sombres et tractée par d’imposants Bérulfs à hautes ramures-, leurs intérieurs représentaient la magnificence de l’art ésotérique connu des caravaniers seuls.

Vellin, qui feignait de n’être jamais surpris de rien, de par ses heures passées à lire à la Grande Bibliothèque, était resté coi en découvrant l’intérieur de leur chariot. Piégée entre quatre murs de bois sombre se cachait une véritable demeure -avec ses nombreuses pièces et recoins-, à la surface suffisante pour loger confortablement une quarantaine de personnes.

« Piégé » oui, c’est bien le terme. Avait-il alors pensé, en franchissant l’encadrement en bois laqué d’une porte on ne peut plus banale. Il avait d'abord eu la sensation curieuse de traverser une sorte de bulle de savon, d’où lui parvenaient de l’espace intérieur des images comme déformées, avant d’arriver dans l’antichambre d’un salon cossu et chaleureusement décoré. Une puissante magie a été accumulée entre ces planches pour en dilater considérablement l’espace. Je connaissais cette technique, très utile pour augmenter le volume de certains sacs ou de certaines bourses. A Ircania, tous les marchands dignes de ce nom dissimulent au moins une poche sans-fond dans leurs tuniques et possèdent un coffre de ce type pour cacher leur fortune... Mais voir cette magie pratiquée ainsi, à l’échelle d’une maison… Non, d’un manoir ! Simplement prodigieux. Je comprends mieux à présent les quantités d’énergies colossales nécessaires à l'élaboration d'un tel sortilège. C’est un art entièrement destiné à leur vie de nomade, qu’ont su développer les Caravaniers. Nombreux sont les magistères impériaux qui doivent se pencher sur la question, en vue d'améliorer nos troupes. Mais les Caravaniers ne sont pas des plus loquaces, quand il s’agit de leurs secrets…

Pour toute la durée du voyage, les apprentis magistères et leurs Maîtres s’étaient vu attribuer un chariot imprégné, ainsi que des domestiques. Il s’agissait là d’un privilège rare, consenti par les caravaniers en gage de respect envers l’Empire. Car même s’ils n’en faisaient pas directement partie, ils en empruntaient désormais les routes commerciales.

Les premiers jours de voyage avaient été calmes pour Vellin. Lunepâle, en maître compatissant, lui avait laissé du temps, afin qu’il se remette de ses blessures psychiques. Il lui avait également conseillé, au cours d’une brève conversation, d’oublier au plus vite le fâcheux événement.

Des plus commun malheureusement mon garçon, au sein d’une veine de fluide. Comme n’importe quelle drogue, l’énergie magique finit par dévorer son utilisateur s’il n’y prend pas garde. Et les conséquences sont d’autant plus gravissimes. Ainsi, dans un esprit dérangé, une simple vision se mue alors en une terrible prophétie. Il n’y a rien de plus à dire sur ce sujet, Vellin.

Mais cette explication rapide, qui contrastait avec l’habituelle ouverture d’esprit dont faisait d'ordinaire preuve le Maître, n’avait pas vraiment comblé les attentes du jeune homme.

Le besoin viscéral de compréhension qui démangeait Vellin, se trouva finalement apaisé en la personne de Nathaniel, le gamin apprenti de la Maison des Découvertes.

La Maison des Découvertes avait toujours été proche de la Maison du Savoir. La première année à l'académie, on enseignait aux jeunes recrues destinées à ces deux filières que les Découvertes entrainaient le Savoir, et que le Savoir permettait de nouvelles Découvertes. Pourtant, de nombreux magistères considéraient la Maison des Découvertes comme une sous-branche bâtarde de la Maison du Savoir. Ces préjugés trouvaient leurs racines dans les caractères mêmes des Grands Maîtres. Bien souvent, les Grands Maîtres des Découvertes vouaient toute leur vie à l’exploration. Voyageant d’expédition en expédition, ils vivaient avant tout pour l’adrénaline de la révélation et la soif du mystère dévoilé. Ils ne se souciaient finalement que peu des retombées techniques et technologiques de leurs travaux. Cette dernière partie incombaient souvent aux Maîtres du Savoir, qui développaient et approfondissaient un labeur déjà bien entamé, mais qui n’oubliaient pas d’en retirer les lauriers.

Vellin ne fut donc pas surpris lorsque son nouveau camarade de voyage vint se présenter à lui. Le garçon ayant eu vent de sa présence lors de l’événement, trépignait à l’idée d’en savoir plus.

Une amitié se noua instantanément entre les deux apprentis, à la fois si semblables et tellement différents.

Agé de quelques années son cadet, Nathaniel affichait déjà une assurance à toutes épreuves, qui laissa Vellin songeur, lui qui restait encore timide et effacé. Le gamin grassouillet, au visage rond, traits épais et acnés tenace, cachait aussi un esprit vif et tranchant comme une lame, ainsi qu’un amour pour les bons mots, ce qui ne manqua pas de ravir Vellin lors de leurs premières joutes verbales.

Nathaniel connaissait également la resplendissante apprentie de la Maison du Peuple, Sybille, avec qui il avait partagé par le passé plusieurs missions de moindre importance. En avait découlé entre eux deux une belle complicité, à la manière d’un frère et sa grande sœur. Elle se joignit à eux tout naturellement, apportant un calme et une sérénité qui contrastait avec la nature bouillonnante du gamin.

Le trio nouvellement formé n’eut tout d'abord que peu le loisir d’échanger au sujet de la prophétie, car la présence des Maîtres et des jumeaux rendait les échanges compliqués.

Mais ce matin-là, profitant de leurs absences, les trois apprentis purent enfin se réunir.

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