The Verdict

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Ça , pour descendre, il est descendu !     
Et des bulles carrées, ils en ont chié, les deux tordus.
Quand Raymond arriva il ne vit rien de spécial. Les trucs et les machins qu'il avait conçus semblaient tous parfaitement fonctionner.
Pas le moindre bidule en panne. A priori, tout devait baigner dans l'huile. Sauf que... Tout était redevenu silencieux : plus un cri, pas la moindre protestation, aucune remontrance. Pas même une petite insulte. Que dalle.
Ouais, sauf que.
Sauf que Raymond ne tarda pas à remarquer qu'Adam et Eve se faisaient porter pâles au tableau de présence. Où étaient-ils passés ? Surpris pour commencer, Dieu-Raymond-Prométhée ne tarda pas à redouter une connerie, une de celles dont Adam était friand. Aussi, pour éviter tout piège à loup ou invention de ce genre, il prit soin de relever sa longue tunique au niveau des genoux et de marcher sur la pointe de pieds. La pointe des pieds, c'était pour faire moins de bruit dans les hautes herbes. Ce petit détail ne manqua pas de susciter bien des questions. Bon nombre d'historiens et d’ecclésiastiques, y compris non-pédophiles, se torturèrent longuement les méninges pour comprendre les raisons de Dieu. En vain, bien sûr, ses voies, mêmes anales, restant défintivement obscures. M'enfin, c'était quand même un peu curieux de sa part.
En attendant, à l'instant évoqué, celui de son arrivée sur Terre pour recevoir les doléances de ses enfants, il avançait maladroitement dans les champs avec sa jupe pour homme relevée bien haut.

Il chercha Adam et Eve bien longtemps. Était-ce à cause de sa vue qui baissait depuis quelques temps ou à cause des piles usagées de son sonotone qu'il ne les trouva pas ? Nul ne le sait. Il était pourtant sûr de les retrouver. Avec un peu de patience, il finirait, pensait-il, par remarquer une fumée lui indiquant qu'ils se préparaient à manger. Le feu était seulement maîtrisé par Eve, qui s'avérait déjà fine cuisinière. Adam, quant à lui, se ferait un devoir de faire du bruit, de pousser des cris de douleur en tombant d'un arbre ou en se jetant du haut d'un précipice pour voir ce que ça fait. Il suffisait peut-être d'attendre et de rester attentif. Persuadé de sa réussite, il ne daigna pas se servir de ses pouvoirs surnaturels pour les forcer à se montrer. Quelle grandeur d'âme, hein ?

Alors, il décida d'aller coincer la bulle pendant quelques heures sous son arbre favori... Bien entendu, il découvrit ce qu'il ne devait pas découvrir.
Et ce fut la fin des haricots. Ben, oui...
Quand il arriva au pied de l'Arbre de la Connaissance, il ne tarda pas à remarquer quelques trognons de pomme.

Son sang divin ne fit qu'un tour, dans le sens opposé des aiguilles d'une montre, en plus. Il comprit tout de suite que quelqu'un avait touché à l'intouchable, que quelqu'un avait tapé dans son stock perso.
La colère monta en lui comme une poussée de sève au printemps. Celle-ci le submergea bientôt et une rage folle s'empara de lui.

- Bordel de moi-même, qui a bouffé mes pommes ? hurla-t-il de sa terrible voix, faisant trembler les cieux et la terre entière, provoquant de gigantesques tempêtes (et pas de joie) qui démontèrent les mers et les océans.

Il trépignait, ivre de colère, et courait comme un con autour du pommier, ramassant les trognons pour en faire un petit tas. Il en ferait des confitures ou des compotes un peu plus tard. Il fulminait, le terrible Prométhée !
Maintenant, il savait pourquoi les deux autres se tenaient planqués. Adam et Eve qui avaient commis l'irréparable. Alors, foin de bonté et de mansuétude. Fini, la gentillesse. Terminé, la patience.
Dieu en avait plein le cul !
Et un anus divin comblé, c'est toujours signe de terribles retombées...
Il ferma les yeux puis, utilisant ses dons supra-naturels, convoqua les deux suspects. Ces derniers se matérialisèrent à la seconde devant lui.

- Dites-donc, les trous du cul, vous avez bouffé mes pommes ? fit-il en se contenant du mieux qu'il put. Or, je vous avais bien dit que vous n'aviez pas le droit de le faire, je crois...

Raymond marchait en parlant, les mains dans le dos, un peu voûté. Il ne quittait pas du regard ses deux accusés. En fait, il réfléchissait déjà à la punition qu'il allait leur infliger. Il ne pouvait pas faire autrement ; s'il ne punissait pas ces deux-là, que feraient les autres après eux ? Il bouillait d'une saine colère, de celle qu'il redoutait par dessus tout. Il savait que s'il ne trouvait pas le moyen de puiser en lui quelque argument pour atténuer son envie de les supprimer, il risquait de tout ruiner. Y compris ses ambitions de grand-père. Il devait trouver un châtiment exemplaire mais qui préserverait quand même ses envies de voir cette race proliférer sur Terre...

Aussi parlait-il en serrant les dents, comme pour retenir les mots sanglants qu'il brûlait de proférer. Tout dans le contrôle, sinon une planète entière risquait de retournerà l'état de poussière.

- Tiens, marmonna-t-il, le sourcil retroussé, voilà une bonne idée à creuser. Revenir à la poussière... Je vais broder là-dessus, on sait jamais. Peut-être que des idées de ménage arriveront à persuader la petite conasse de la rudesse des choses qui l'attendent si elle veut encore me casser les burnes... Et puis, j'ai déjà pensé à autre chose pour la punir, celle-là... Mouis, je crois que tout ça pourra lui faire comprendre. Pour l'autre abruti, je sais déjà que la poussière ne l'inquiète pas, qu'il serait même capable d'inventer le tapis pour la glisser dessous et ne plus s'en occuper.... Pour lui, je dois trouver autre chose.

Raymond, tout furax qu'il était, n'en perdait pas le nord pour autant. Il commençait déjà à retrouver un peu plus de sérénité. Et une bonne sanction ne se décidait que dans de bonnes conditions, pensait-il. La vengeance est un plat qui se mange froid, paraît-il. Adam avait un bon coup de fourchette, alors il conviendrait peut-être de le punir dans ce sens, le priver du goût, ou... Non ! Adam n'était qu'un être primitif qui aurait été capable de manger des pierres en cas de sévère disette... Ce gros fainéant, pour ne pas devoir préparer son repas, était capable de ne pas bouger pendant des jours entiers...

Et, soudain, l'illumination lui vint. Bien sûr, c'était tout con à trouver !
Héhéhé... Raymond-Dieu-Prométhée pouvait enfin sévir.

Il arrêta de tourner autour des deux humains qui gardaient la tête baissée, en signe de soumission. Tardive, la soumission...
Raymond se planta face à eux, le regard chargé de misères à venir.

- Bon, puisque vous vous êtes foutus de ma gueule, je n'ai pas d'autre choix que de vous punir. Je ne vais pas perdre mon temps à vous faire la morale, vous n'y comprendriez rien, de toute façon. Z'êtes définitivement trop cons.

Adam et Eve ne bougeaient pas d'un cil, terrorisés par le ton anormalement neutre de Raymond. Le temps s'était arrêté, semblant attendre une décision, lui aussi.

- Alors, voilà : toi, connard, reprit-il en forçant Adam à relever la tête pour subir sa sanction, tu vas...

- C'est pas de ma faute ! coupa vivement ce dernier. J'ai pas fait exprès, je vous le jure, mon Dieu adoré ! C'est celui-là, fit-il en désignant Eve, qui m'a fait manger la pomme. Moi, je voulais pas ! En fait, je voulais juste le calcer puisque j'avais envie de ça. Moi, j'avais bien compris que j'avais pas le droit de manger des pommes !

- La ferme, pantin ! aboya Raymond.Tu as juste le droit de te taire et de subir ma vindicte divine, alors...ta gueule !

Il aimait leur faire peur, finalement. L'ignorant encore, Raymond découvrait qu'il adorait maltraiter ses créations, plus que ça encore, peut-être. Faire mal ? Pourquoi pas... Il tenterait ça un peu plus tard, pour sa plus grande joie. Pour l'instant, il goûtait des saveurs nouvelles, faites de la sueur froide qui suintaient des pores des deux victimes offertes à sa rancœur.

- Je vous avais interdit de manger des fruits de l'Arbre de la Connaissance... Mais non, il a fallu que vous en bouffiez quand même ! Alors, ça fait quoi ? Z'êtes contents de vous ?

- Seigneur, je te vois tel que tu es, répondit Eve qui pensait qu'il les autorisait à parler. Et je suis indigne de me présenter face à toi dans la tenue que tu nous a imposée... Je suis entièrement nue et je considère que c'est un outrage à ma personne et à ta gloire.

Elle avait parlé d'une voix timide mais les arguments étaient précis, fermes...
Eve n'aimait pas montrer son cul. Enfin, pas tout le temps.

- Tu feras ce que je te dis de faire, sans poser de question, pauvre folle ! répliqua Raymond avec hargne. Nul, ici-bas, n'est autorisé à contrevenir à ma parole. Vous avez choisi de renier ma voix, vous avez foulé au pied mes ordres ? Maintenant, voilà ce qu'il arrive aux demeurés de votre genre quand tombent les sanctions... Toi, fit-il en s'adressant à Adam, tu devras travailler la terre pour en tirer de quoi bouffer. Je ne te ferai pas de cadeaux. Pour cela, je vais changer les conditions des saisons. Certaines seront propices à faire naître du sol de quoi te nourrir pendant que d'autres seront hostiles à ta survie. Tu apprendras à prévoir et à gérer, sauf à prendre le risque de mourir de faim. La terre ne fera aucun effort pour te satisfaire. Au contraire, elle luttera de toutes ses forces pour te résister. Tu découvriras la fatigue, la peine, la maladie et la souffrance. De tes pensées chaotiques, tu devras extraire des solutions pour la plus petite de tes ambitions. Tu découvriras les infinies nuances du Mal et du Bien, tu te perdras souvent dans les interprétations de ces deux concepts. Et, bien souvent, tu y perdras ce que tu auras de plus cher pour ne pas savoir faire la différence entre le Mal et le Bien. Maintenant... dégage, je ne veux plus te voir !

Adam, toujours un peu ahuri, comprit quand même qu'il devait s'éloigner. Le cœur meurtri et l'orgueil un peu fripé, il affronta le regard de Raymond une dernière fois, se retenant à peine de cracher à ses pieds en signe de révolte.

- Maintenant, à ton tour, reprit Raymond en s'adressant à Eve qui n'était pas loin de se pisser dessus tant elle avait peur. Toi, qui diffère tant de ton comparse, tu es à l'origine de votre malheur. C'est toi qui à décidé de négliger mes ordres. C'est toi qui, malgré mes instructions, à voulu connaître l'interdit. Ta punition première sera donc d'être frappée en permanence de curiosité. Rien ne pourra échapper à ton envie de tout savoir, quitte à tout y perdre. A cause d'elle, tu ruineras le monde et tu feras mourir tes descendants, tu provoqueras tous les cataclysmes que ta furie de savoir engendrera. Et puis, en parlant d'engendrer, tu seras femme, tu auras pour tâche d'enfanter ces êtres qui seront ma joie et ma douleur. Et, pour la douleur, tu la subiras en accouchant au terme de longues saisons durant lesquelles ton corps se transformera et se déformera. Tu souffriras pour devenir mère, tu donneras la vie, et je la reprendrai toujours. Tu endureras la méchanceté des hommes, tu te soumettras à leurs volontés, même les plus équivoques. Parce que tu as perdu ton conjoint en le forçant à te suivre dans ta folie, tu chercheras son pardon sans jamais le trouver parce que, jamais, je ne te l'accorderai. Du serpent maudit qui fut ton complice et ton conseiller, tu seras l'ennemie sans faille. Il te poursuivra sans cesse et tu le combattras à jamais. Lui sera condamné à ramper pour l'éternité sur le sol, se souillant de vos déchets et de vos immondices. Vous quitterez sans tarder ce Jardin qui vous est maintenant interdit dans sa totalité. Vous vivrez dans un monde hostile qui ne voudra que vous nuire. Et plus jamais je ne vous aiderai. Maintenant...va !

  • Tout ça pour une putain de pomme de merde, pensa Eve en s'éloignant à son tour. Non, mais se faire virer pour une pomme, c'est incroyable. Merde !

Eve, pensive et inquiète, regarda une dernière fois le Jardin d'Eden. Elle en connaissait presque chaque recoin, chaque roche, chaque flaque d'eau... Le cœur pincé à l'idée de devoir quitter son monde, elle écrasa une larme de dépit et de rancœur. Raymond ne voulait plus d'elle ?
Eh bien, qu'il aille se faire foutre !

  • Dieu, fit-elle soudain en se retournant d'un geste brusque. Tu ne veux plus de moi, c'est bien ça ? Alors, je vais partir, comme tu me l'imposes. Mais, avant de me voir disparaître, je veux que tu nous confectionnes de quoi cacher notre nudité ! Et puis, fabrique-nous de quoi masquer nos faiblesses. Et puis, donne-nous de quoi abattre ceux qui se dresseront en face de nous. Si ton Jugement est juste, alors il doit être équilibré, sinon, tue-nous sans tarder !

Interloqué, Raymond resta interdit quelques secondes. Quoi, elle avait encore le culot de lui parler, de lui demander des faveurs ? Elle ne manquait pas de toupet, quand même ! Cependant, il sentit au fond de lui une certaine fierté en se disant qu'elle ne manquait décidément pas de jugeote.
Et puis, il apprécia la justesse de l'argument... Pas mal du tout. !
Alors, mû par une soudaine compassion qui lui fit penser que tout n'était peut-être pas perdu avec ces humains insoumis, il accepta de leur fabriquer des vêtements de peau, insuffla encore un peu plus d'imagination pour leur permettre de survivre à toutes les conditions difficiles à venir. Secrètement, il se jura aussi de ne pas les perdre complètement de vue...
Maintenant, le temps était venu pour eux de partir à la conquête du monde.

Il y avait encore un Arbre interdit dans le Jardin. Il n'en avait jamais fait mention avant, pensant qu'il fallait attendre un peu avant de leur en parler. Pourtant, il ne pouvait plus en être question à présent. Cet Arbre, c'était celui dont le fruit offrait l'immortalité, celui qu'il pensait leur offrir un jour. Ainsi, ils auraient été presque à son égal... Mais leur faute était totale et il avait décidé sans leur dire qu'ils connaîtraient la mort. Il lui fallait donc les bannir et prendre quelques petites précautions pour les empêcher de revenir. Aussi plaça-t-il deux chérubins à l'entrée du Jardin, avec l'ordre de fumer quiconque voudrait y pénétrer. Ces deux-là, au moins, ne contrediraient jamais ses ordres...

Raymond ouvrit le chemin de la sortie pour Adam et Eve. Une petite larme à l’œil, il les regarda disparaître à l'horizon, déçu et triste.
Le verdict était tombé.

Virés !


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE






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