Leçon de cuisine

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- Mais il est en train de bouffer tous les légumes, ce con ! rageait Eve en tentant d'assommer Schirak avec un gros pilon de bois.

Ce dernier, planqué entre deux feuilles de choux et quelques rondelles de carotte, tournait en rond dans le chaudron qu'elle avait placé sur quelques bûches enflammées. La chaleur commençait à se faire intense et le serpent jouait des arpions pour trouver une issue d'urgence...

La jeune femme avait décidé de préparer le repas. Non pas qu'elle pensait en faire profiter Adam qui errait toujours dans les étoiles, suite au coup de gourdin qu'il avait reçu, non, pas du tout. Elle la sautait, rien de plus. En personne bien organisée, elle avait décrétée depuis longtemps, déjà, qu'elle boufferait dès que le soleil serait au plus haut dans le ciel. Et puis qu'elle mangerait aussi quand le soleil se couchait au loin. Elle mangeait beaucoup moins, à ces moments-là. Savait pas trop expliquer pourquoi, mais il était vaguement question de contrôler la platitude de son ventre, un truc de ce genre. Quoi qu'il en fut, c'était l'heure de la graille.

Raymond leur avait expliqué qu'ils pouvaient becqueter tous les fruits, toutes les baies du Jardin. Ce dont ils ne se privaient pas, bien entendu. Seulement, Raymond n'avait pas prévu que les femmes seraient des petits animaux qui se lassent terriblement vite de tout. Aussi, Eve voulait-elle changer un peu son quotidien diététique, même s'il n'avait jamais été question de bouffer un des habitants du Paradis. Bon, dans le texte, si on regarde bien, se disait-elle, rien ne l'interdit non plus... Alors, si je bouffe un peu de ce serpent à la con, je vois pas pourquoi l'autre vieux schnock viendrait me concasser la moulasse.

Elle avait faim de toute façon et, surtout, le plus important de tout ; c'était l'heure. Pas question de rater l'heure. D'ailleurs, pour ne pas prendre le risque de manquer un de ces devoirs-là, parce qu'il y en avait déjà bien d'autres, elle prenait une pierre dure et coupante pour laisser une trace sur un tronc d'arbre. Elle faisait ça tous les jours. Au moindre prétexte, elle prenait sa pierre coupante et laissait une écorchure de plus sur le tronc d'un pauvre arbre qui, en général, ne résistait pas plus d'une année. Quand celui-ci crevait, elle en changeait, tout simplement.

Pour l'heure, mademoiselle Eve tentait d'occire une fois pour toute le serpent au fond de sa marmite. Elle avait un peu de mal parce qu'avec son strabisme et son épaule de guingois ses gestes étaient un peu maladroits.
Elle poussa soudain un grand cri de surprise puis, tout de suite après, elle se retourna vivement.

Adam venait de se réveiller. En homme correctement conçu par son Créateur, monsieur se trainait un tricotin monumental, du genre à assommer un tyrannosaure en plein vol. Bon, il n'y avait plus de ce genre de bestioles depuis longtemps sur Terre mais leur souvenir rôdait encore dans la mémoire de la Nature. Donc, Adam bandait tellement fort qu'il aurait pu foutre une raclée à un carnivore gros comme ça. Et il l'aurait sûrement bouffé dans la foulée tant son appétit était grand. Parlant d'appétit, il n'était pas seulement question de se remplir la panse. En fait, il était plutôt question de se vider les orphelines...

Aussi, à peine réveillé, il s'était avancé à pas de loup vers la croupe innocemment offerte d'Eve qui s'évertuait à se préparer une bonne petite tambouille bio. Il était fasciné par les meules généreuses de l'inconnue, parce qu'il ne savait toujours pas son nom à ce moment de leur relation. Mais, peu importait son nom. La seule chose avec laquelle il désirait faire connaissance, c'était une partie seulement de celle-ci.

Eve, insouciante et inexpérimentée, tournait le dos à son ennemi, le croyant encore plongé dans le sommeil. Les jambes assez écartées devant sa marmite, elle découvrait sans le vouloir une partie d'elle-même qui, jusqu'à maintenant, n'avait provoqué aucun intérêt chez Adam.
Mais, maintenant que Raymond lui avait insufflé l'envie de baiser en permanence, ce dernier ne se sentait plus de joie à la vue de l'imposant postérieur de sa future compagne. Future compagne puisque, à cet instant, il ignorait encore qu'il aurait à la supporter pendant plus de neuf cents ans...
Aah, les premiers émois d'une relation sont toujours les plus beaux. S'il avait su ce qui l'attendait, presque mille longues années durant, il est probable qu'il aurait préféré se taper un rassis, voire une chèvre...Malheureusement, les voies du père Raymond étaient impénétrables.

Par contre, il se disait que celles de l'autre en face de lui l'étaient totalement.

Subjugué par les parfums musqués du prose de la grosse, les yeux écarquillés de convoitise, Adam le soudard n'avait même plus à décider de se cogner une petite partie de jambons : son instinct lui dictait de le faire. Sans rien connaître de l'anatomie d'Eve, il savait quoi faire. Et il avait décidé de risquer l'expérience.

Pour le fun.

Quand il saisit les hanches épaisses et grasses d'Eve, il tenta dans la foulée d’introduire ce qui, jusqu'à maintenant, ne lui servait qu'à battre des records personnels de portée de pierres. Et il parvint. Sans les mains !

Puis, la seconde d'après, sans les dents !
En effet, Eve fut prompte à réagir. Quand elle se sentit investie des bas-morceaux, elle serra immédiatement les cuisses puis, la seconde d'après bascula violemment la tête en arrière, percutant avec force le nez et la bouche d'Adam. Les lèvres de ce dernier explosèrent sous l'impact, ses cartilages nasaux volèrent en éclats. Lui qui pensait se soulager le potentiomètre entre les lèvres inférieures de la gonzesse en fut pour ses frais, donc !

Ne s'arrêtant pas là, Eve se dégagea d'un brusque coup de rein, notant quand même au passage la forte constitution de celui qui venait de la pénétrer sans son accord, puis tenta d'asséner de rudes coups de bâton à Adam. Mais celui-ci, au courant maintenant des habitudes guerrières de l'inconnue, évitait maintenant les coups avec facilité. Coutumier des grandes douleurs de tous les genres, il savait aussi comment s'épargner saignements et bosses inutiles !

Il s'échappa en quelques pas puis disparut dans les frondaisons épaisses d'un bois voisin. Seulement, Eve ne comptait pas en rester là. Irritée au plus haut point, elle coursa Adam, bâton brandit au-dessus de la tête et insultes carabinées au bec ! Elle s'engouffra aussi dans le bois, promettant à son poursuivi de lui faire passer l'envie de tirer sa crampe dans son fion sans prévenir.

Cet évènement, anodin pour certains, scandaleux pour d'autres, fut quand même ce qui déclencha la plus funeste des conséquences pour Adam et Eve.

Non, Eve ne parvint jamais à rattraper Adam... Il était bien trop agile pour elle.
Non, la vraie catastrophe, c'est que Schirak, le vicieux serpent, avait profité de l’algarade pour se faire la tangente...

En effet, alors que les légumes commençaient à frémir dans la marmite, Schirak entendit les cris et les insultes, les pas de course. Sans perdre une seconde, il sauta sur l'occasion et rampa vers la liberté.
Et il retrouva avec plaisir un air moins chaud. Dans la marmite, l'eau commençait à devenir vraiment trop chaude pour lui et il se sentait tout bizarre. Presque trop cuit.

D'ailleurs, la première chose qu'il fit après s'être enfui et planqué sous une pierre froide fut de se délester de son épiderme. Il mua, laissant une couche de lui-même sur le sol. Translucide et fine comme la conscience d'un homme politique (une race qui apparaitra un peu plus tard dans la longue descendance d'Adam et Eve...) elle avait tout conservé de la silhouette de Schirak. Sauf que celui-ci se planquait un peu plus loin, à poil lui aussi, maintenant.
Les grésillements de sa peau ne se faisaient plus beaucoup entendre quand Eve revint bredouille du bois. Essoufflée et le teint rouge comme une ivrogne (qu'elle deviendra bientôt) elle pestait comme un batelier.

- L'espèce de petit enfoiré, rageait-elle, comment a-t-il osé ? Bon, c'est vrai qu'il a l'air d'avoir une grosse bite et que c'est pas fait pour me déplaire, mais depuis quand les mecs auraient-ils le droit de me miser sans me demander mon avis ? Bordel de merde, c'est qui le chef, ici ?

Un peu ironique, Raymond fit tonner le ciel à plusieurs reprises... Histoire de remettre un peu les choses à leur place. Eve, vite terrorisée par le ciel qui virait déjà au gris sombre, baissa la tête en signe de soumission.

Et c'est ce moment précis que Schirak choisit pour revenir à la charge. Prudent, il restait invisible à la donzelle, sachant ce qui pourrait lui arriver. La chose était dangereuse et non dénuée de risques létales mais, était-ce inscrit dans ses gênes, le serpent voulait absolument se prouver qu'il saurait séduire Eve. Et puis, il avait aussi envie de se venger un peu, c'est vrai.

- Re-ssssssalut, gente dâââme, roucoula-t-il sans se faire voir. Ne fûtes-vous pas l'objet d'un malandrin qui prétendait placer en vous son mandrin ? Mais où va le monde, ma pauvre dame, je vous le demande !?

Excédée comme un jour de règles douloureuses, Eve se retourna de tous côtés, cherchant la provenance de la voix aux curieux zozotements. En vain, l'autre était enroulé sur les hautes branches d'un arbre voisin. Malin comme planque, hein ?

Enfin, toujours fut-il qu'Eve ne le débusqua pas. Ce qui marqua le début de la catastrophe. Les seins rebondissants au rythme de ses pas saccadés, elle en était encore à chercher l'intrus quand commença la conversation de la mort...



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