Eve

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Faire chauffer la colle ?
Certes... mais où était passée Eve ? Que devenait la petite bougresse ?

Raymond la chercha pendant des semaines... des mois. Il la retrouva par hasard, couchée dans la luzerne, en train de chanter des conneries à quelques papillons qui tentaient désespérément de se faire la belle mais qu'elle retenait prisonniers entre ses mains fines et délicates.

Quelle beauté ! s'extasiait le vieux libidineux... Pour un peu, il aurait bien repris le cours de ses recherches pour se faire un petit braquemart, vite fait bien fait, pour se charger personnellement de lui mettre un coup de sabre. Mais bon, pas le temps. En plus, il devait lui faire comprendre la mission qu'il lui avait secrètement affectée.

En l'occurrence baiser avec Adam.

S'il avait pris cette étrange résolution, c'était parce qu'il avait compris qu'Adam n'en avait pas assez dans la tête pour séduire Eve (sans parler des doutes qu'il pouvait raisonnablement émettre concernant ce qu'il avait dans le calbut). Pas au point de lui donner l'envie de se faire poinçonner le ticket reproducteur, en tout cas...

En effet, Adam, rendu à sa liberté et à sa bêtise masculine, ne pensait toujours qu'à jouer, prendre des risques inutiles, se fraiser la poire sur tous les obstacles contondants possibles. Quand il tombait du haut d'une falaise, il se relevait quelques secondes plus tard, sans prendre la peine de s'épousseter, ou s'ébrouait fortement à la manière d'un chien tout frais sorti de l'eau et reprenait ses activités stupides quelques instants plus tard.
Dieu avait bien essayé de l'instruire, de lui faire comprendre qu'il ne pourrait pas passer tout le reste de l'éternité à faire ce genre d'idioties mais Adam, sourd à ces précieux conseils, continuait de rebondir, et le terme n'était pas trop fort parfois, d'expériences douloureuses en tentatives ratées. Tout cela ne menait à rien.

Sauf à une conclusion que Dieu se fit à contrecœur : il avait trop abaissé le niveau intellectuel de son jouet masculin.

Aussi se promit-il de remédier au problème en accordant bien plus d'intelligence et de logique à Eve, qui allait en avoir fortement besoin pour se coltiner un tel benêt pour un bon bout de temps.

Un bel esprit... c'était le moins qu'il pouvait faire. Juste pour embellir encore sa belle enfant. Il avait du mal à cerner les efforts à consentir pour la parfaite parce qu'il restait quand même stupéfait d'admiration. Tel un vieux pédophile sur le retour, il admirait sans vergogne les lignes parfaites de la première femme du monde. Jouer avec la lumière d'un soleil voisin ne faisait qu'augmenter son adoration.

C'est vrai qu'elle était belle avec sa jambe de bois, ses seins placés sur le buste, l'un à gauche, l'un à droite. Qu'ils n'aient ni la même taille ni la même forme ne gênait pas. Qu'ils ne soient pas à la même hauteur, non plus. Ses épaules, frêles et légères étaient un peu de guingois, certes, mais elle dégageait quand même beaucoup de charme et si les rondeurs exagérées de ses hanches pouvaient surprendre aux premiers regards (et aux suivants aussi) Dieu se fit la réflexion que cela ne pourrait que faciliter les nombreux enfantements auxquels elle était promise.

A bien y regarder, Raymond avait un goût un peu particulier pour la beauté féminine. S’il devait être question de canons en la matière, il faudrait absolument convenir qu’Eve serait le résultat d’un obus tiré avec trop de force… Ou, encore, qu’il s’agissait d’un obus chimique, ce qui pourrait expliquer le penchant naturel des descendantes féminines de cette Grâce pour les produits cosmétiques les plus étranges.

Pourtant, si Raymond avait veillé avec tant de scrupules aux formes nouvelles d’Eve, ce fut par pur souci d'originalité.

En effet, il ne voulait pas reproduire le même être qu’Adam. Il voulait le rendre différent parce qu’Adam, pour imbécile qu'il était, avec ses traits parfaits, symétriques et réguliers, taillés dans le marbre, c’était un bel homme. Juste un peu con sur les bords.
Et aussi un peu au centre, c’est vrai.

Eve devait donc être…originale. Ce qui fut parfaitement réussi, à n’en pas douter. Mais celle-ci n'était pas seulement faite de chair et de bois (la jambe gauche), elle louchait aussi avec candeur, ses cheveux filasses et déjà grisonnants malgré son jeune âge, ses sourcils épais et puis, enfin et surtout, ses dents largement écartées, rondes et déjà jaunies complétaient l'admirable tableau vivant.

Sa voix, douce comme un morceau de craie sur un tableau noir, charmait les oiseaux de Paradis qui s'envolaient avec grâce vers d'autres contrées, certes moins hospitalières mais plus silencieuses. Ses grosses mains barbares, aux ongles incarnés et salis de boue, se perdaient dans les frondaisons épaisses de ses aisselles velues qui la démangeaient sans cesse. Une tendance naturelle à toujours vouloir accueillir plus de monde que nécessaire, probablement. En tout cas, les poux ne s'en plaignaient guère.
En résumé, Eve était parfaite…pour labourer les champs.

Raymond considérait sa créature avec fierté. Mais cela ne dura pas très longtemps. Eve, si elle était belle comme le jour (au moins à ses yeux) était d’un caractère un peu à l’image de son corps.

Particulier…




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