Pour que tu sois plus fort

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Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt…

Julien était assis, seul, au milieu de sa chambre. Des larmes coulaient le long de ses joues, rougies par le froid. L’obscurité l’enveloppait, comme les bras de sa mère dans son enfance. Elle lui manquait. Beaucoup trop, d’ailleurs. Les autres enfants n’avaient pas ce problème : ils semblaient même plutôt heureux et dormaient paisiblement chaque nuit. Julien était certain qu’on le prenait pour un faible, un lâche qui n’avait pas sa place ici. Il essayait de se montrer fort, mais pourtant, c’était ses sanglots qu’on entendait chaque nuit déchirer le dortoir.

Une jeune fille remonta les rangées de lits qui meublaient la pièce. Tous identiques, gris et métalliques. Julien la vit à peine frôler les cloisons et s'asseoir près de lui : il était trop occupé à fixer les murs vides, simples pans de béton nus. Toutes sortes de décorations étaient interdites. Mais de toute manière, songea Julien, qu’aurait-il pu accrocher ? Tout s’était passé si vite…

La fille passa une main sur le visage de Julien, qui tressaillit. Elle avait été rendue rêche par les entraînements en plein air, et calleuse par le maniement des armes. Julien leva les yeux vers un visage souriant, mais aux yeux éteints. C’était souvent le cas, ici.

— Tu as peur ? murmura t-elle d’une voix aussi douce que de la soie.

Julien préféra ne pas répondre et détourna le regard. Comment pouvait-il la regarder en face après ça ? Ce n’était pas elle qui pleurait sur un plancher pourri.

— Ce n’est pas grave, continua-t-elle sur le même ton. Ça m’arrive, moi-aussi, tu sais. Parfois, je repense à ma vie d’avant, et je suis très triste. Mais je finis toujours par me dire que si je suis ici, c’est que l’on m’a choisi, et que j’ai ma place dans ce programme.

— Peut-être qu’ils se sont trompés sur mon compte, rétorqua Julien, un peu penaud.

— Pourquoi tu dis ça ? Je suis sûre que non.

— J’ai peur de l’eau, s’exclama le garçon. Et je ne sais pas nager. Que vient faire une poule mouillée comme moi dans une armée ?

Pour toute réponse, la fille se leva et traversa le baraquement endormi. Julien la suivit, tâchant de faire le moins de bruit possible- ce qui n’était pas évident étant donné qu’une planche sur deux grinçait. Ils ne tardèrent pas à sentir le sable sous leurs pieds nus, éclairés par les doux rayons de la lune. Le garçon courait aussi vite que ses jambes lui permettaient, à travers les dunes vierges de toute végétation, mais peinait à maintenir le rythme. Bientôt, les deux enfants passèrent- non sans mal- sous le grillage, haut de plusieurs mètres et symbole de la frontière. Julien s’arrêta un moment, incertain. Si passer de l’autre côté était interdit, c’était qu’il y avait une raison, un danger.

— Eh ! l’apostropha-t-il, on va où ?

— Ne t’inquiète pas, répondit la jeune fille. Il y a une rivière pas très loin. Tu dis que tu as peur, et bien je vais t’aider.

— Pourquoi tu ferais ça pour moi ? demanda Julien,  suspicieux.

— Mais enfin, parce que je suis ton amie ! Ce sont des choses qui sont font entre amis, non ?

Elle semblait si convaincante, si sûre d’elle, que Julien accepta de la suivre sans aucune autre hésitation.

Quelques minutes plus tard, le bruit d’un flot impétueux arriva à leurs oreilles. L’astre céleste se reflétait dans l’onde glacée et la revêtait de parures argentées. Les feuillages bruissaient doucement dans le vent, qui caressait les bras nus de Julien. Ce dernier frissonna, et s’arrêta sur le rivage. Le sable était froid sous ses pieds et des effluves marins lui emplissaient les narines. Julien se retourna vers la fille et sursauta lorsqu’il se rendit compte qu’elle était accompagnée de deux autres gaillards, bien plus grands que lui. Un rictus mauvais était peint sur leur visage, et leurs uniformes ne trompaient pas : ils appartenaient au camp adverse.

Les deux garçons attrapèrent Julien par les épaules, et malgré ses protestations, le plongèrent dans le fleuve gelé. La température de l’eau lui coupa la respiration, et il tenta désespéramment de sortir la tête à l’air libre, mais elle était maintenue par un des inconnus. La panique s’empara de Julien, qui se débattait comme un beau diable. Peu à peu, il sentait l’eau remplir ses poumons, boucher ses oreilles et sa vision s’obscurcir.

Il sentit que la fin était là, inévitable. Etrangement, Julien repensait à sa mère lui enseignant à vaincre sa peur. Compte, lui disait-elle. Compte jusqu’à vingt, et après, tu seras fort.

Alors Julien compta. 

1... 2... 3...

Ainsi, la fille l’avait trahie.

4... 5... 6...

Elle semblait pourtant si gentille.

7... 8... 9...

Julien l’entendit rire à s’en tordre les côtes, pendant que lui agonisait sous l’eau.

10... 11... 12...

Elle criait maintenant que, au moins, Julien serait un candidat de moins dans le classement.

13... 14... 15...

Toujours ce rire démoniaque. Et les forces qui disparaissent peu à peu, comme les dernières volutes de fumée d’un feu mourant.

16... 17... 18...

19… 20.

Oui, Julien était en train de mourir. Peut-être l’était-il déjà, d’ailleurs. Son esprit était embrouillé, et il ferma les yeux, las de lutter.

Il avait perdu, il n’était pas fort.

Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt… 

meutre
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Table des matières

En réponse au défi

Et puis quoi encore ?

Lancé par Jonas
Serez-vous assez déraisonnable pour relever ce défi ? Oui ? Alors, à vos claviers !
1) Votre texte doit commencer par la phrase suivante : « Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt… »
2) Les mots suivants doivent y être insérés : « dortoir, planche, lune, grillage, sable, enfance, danger ».
3) On devra y trouver la description d’un intérieur, quel qu’il soit, et d’un paysage nocturne.
4) L’un de vos personnages cache ses véritables motivations.
Bon courage !

Commentaires & Discussions

Pour que tu sois plus fortChapitre6 messages | 8 ans

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