Narcis Parker (9)

16 minutes de lecture

Mardi 23 février, 20h passées.

J'ai dormi jusqu'à dix-huit heures, et comme à la police, je me fais toujours pas à ces horaires de nuit. Après une nuit longue et assez intense émotionnellement, je sais même plus comment j'ai réussi à me traîner jusqu'à mon lit. Il est vingt heures, je viens de manger, je pars bientôt au boulot.

Pour l'instant, je suis juste en caleçon, devant ma télé, téléphone en main. Je parle avec Lucie qui a dû repartir plus tôt que prévu du week-end chez moi, et on prévoit déjà le prochain rendez-vous.

Narcis : Ouais ? Le week-end prochain alors. Tu seras là à quelle heure ?
Lucie : vers 14h ça te va ? Comme ça on se fait la journée ensemble ;)

Je réponds positivement puis j'attrape ma tasse de café. Ça réchauffe mes mains, c'est exactement ce qu'il me faut.

Par dessus moi, une couverture. J'adore me balader à poil quand il fait froid, juste pour le plaisir de me blottir entre les plaids.

L'heure passe vite et bientôt il est temps d'aller bosser. J'appréhende un peu. Les nuits, c'est vraiment pas comme les demi-journées. J'ai peut-être commencé trop fort hier, et le trop-d'un-coup m'a fait peur. J'ai choisi de changer d'option aujourd'hui.

Bien sûr, je vais pas faire comme fait probablement Martin, à dormir dans la loge toute la nuit. Je vais plutôt adopter la technique de Julien. Soit faire des rondes toutes les demi-heures, juste pour voir si quelqu'un nous appelle, et me reposer entre temps.

Quand j'arrive, j'apprends qu'une bagarre a eu lieu, impliquant Boï - évidemment - et Twist. Les deux sont à l'infirmerie et il semble qu'ils aillent bien, les autres les ont vite séparés.

Je soupire en entendant la nouvelle. Même si Boï est dans l'unité d'un autre garde que je connais peu, Twist est encore et toujours dans la mienne. Du coup je mets ma doudoune noire - il fait froid dans le secteur infirmier - et je commence à parcourir les couloirs. Tout a l'air plutôt calme, excepté les détenus qui se lèvent tout de suite quand ils nous entendent passer, pour les ragots. Finalement, je réussis à franchir l'allée sans aucun appel, et je me rends directement aux soins.

Une infirmière d'une quarantaine d'années m'indique un box et me dit qu'ils allaient justement nous appeler ; on peut le récupérer. Je la remercie rapidement puis marche jusqu'à passer entre les rideaux écrus qui cachent son lit.

Il est là de l'autre côté, avec un énorme coquard à l'œil gauche et la lèvre tuméfiée. Il a les bras croisés - tous deux bandés jusqu'aux doigts - et quand il me voit il se met à rougir et à bouder en même temps. Je soupire et secoue la tête en le regardant, les mains sur la barre inférieure du lit.

  • Quoi ? il grogne. C'est pas comme si je m'étais pris UN COUP DE BROSSE À DENTS.

Il crie fort pour Boï qui commence à s'exciter dans son lit, apparemment menotté si on en croit les cliquetis - on comprend pourquoi.

  • Est-ce qu'il est en pire état que toi ? je soupire.
  • Il a intérêt.

Il serre les dents avant de couiner, la lèvre blessée.

Moi, je m'en vais voir le deuxième bagarreur, après être passé à travers deux autres rideaux. Il est dans le même type de lit que Twist, les mains et les pieds menottés.
Il me fusille littéralement des yeux et s'énerve encore plus quand il me voit, me traitant de pute, de chienne et d'autres petits surnoms sympas. Il a la figure griffée et plutôt méconnaissable, vu les nombreux bleus qui ornent son visage. Sa jambe est dans le plâtre.

Je prends même pas la peine de lui dire de se taire, autant ne pas lui montrer qu'il est le plus fort lorsqu'il n'obéira pas à mon ordre. Non, à la place, je retourne voir mon blessé et lui intime de se lever pendant que j'écarte les tissus qui pendent de la tringle pour lui laisser un passage vers la sortie.

Il se déplace plus lentement qu'une personne âgée, grimaçant à chaque geste. Lorsqu'il est finalement debout, il a l'air d'être sur le point de perdre l'équilibre alors je tends mon bras, histoire qu'il s'y appuie, et il s'y tient aussitôt, soulagé. Il me sourit faiblement.

Le temps du trajet - qui met un moment - je dis rien de plus. Je le conduis seulement à sa cellule d'un bras pour l'aider, et lui il dit rien non plus, les yeux baissés sur ses pieds.

On croise un garde en arrivant, il nous regarde avec des grands yeux, puis il disparaît. Moi, je referme la porte de sa cellule derrière nous. Il s'assoit douloureusement sur son lit, jouant avec ses pieds.

  • Est-ce que je dois avoir peur de finir comme Boï en restant ici ? je commence en croisant les bras, appuyé à la porte, et il me fusille des yeux en pinçant les lèvres, couinant de nouveau de douleur. Ils t'ont pas soigné, là-bas ?
  • Ils ont soigné quelqu'un qu'ils ont envie de tuer, alors ils ont pas fait leur maximum, il siffle.

Je soupire.

  • Où ?

Il hausse les épaules.

  • C'est pas comme si on pouvait guérir des trucs comme ça, et puis je m'en fiche, il a eu ce qu'il méritait. Ça vaut bien quelques bleus.

Il croise les bras, s’amenant de nouvelles grimaces de douleur.

Moi, je lève les yeux au ciel. Qu'est-ce que je dois faire dans ces moments-là ?

Il dit rien, me regardant en coin parfois, retournant ses yeux sur ses mains quand il sait que je le surprends.

  • Bon. Dors. Ça apaisera les douleurs, je finis par trancher en me redressant de mon appui.
  • Vous allez où ? il demande en me regardant vraiment cette fois, aux aguets.
  • Faire mon travail. Où tu veux que j'aille ? je hausse un sourcil, et il baisse les yeux.
  • Faites attention. C'est un job dangereux, il marmonne d'une voix faible en me tournant le dos.
  • Ouais ? Pourquoi ? Il s'est passé quoi ?
  • C'est juste dangereux, il dit d'une voix énervée.

Ses poings se serrent dans ses bandages, rouvrant un peu les plaies. Il s'allonge en chien de fusil, dos à moi.

Ce gosse est insupportable. Faut s'accrocher. Alors je m'approche de son lit.

  • Pourquoi ?

Il respire lentement, de façon un peu sifflante. Il a peut-être une côte cassée.

  • Y en a qui pensent que t'es une proie facile, chef, il murmure sans se retourner.
  • Boï ?

Il hausse les épaules.

  • Oui ou non ?
  • C'est parce que t'es un agent sympa. Il dit qu'il peut faire n'importe quoi de toi.
  • Il me sous-estime alors.
  • J'en doute pas. Mais le sous-estimez pas non plus.
  • Ouais ? Il est capable de quoi ?

Je regarde son dos. C'est la seule chose que je peux apercevoir.

  • Mieux vaut que tu le saches pas. Sois sur tes gardes.
  • Mieux vaut que je le sache, pour être sur mes gardes, je réplique.
  • Il sait jouer avec les gens. Boï c'est ce genre de type qui trouve ta faille pour te manipuler comme il veut après.

Je hoche la tête, mais il le voit pas.

  • Montre aucune faille.

Le coin de ma lèvre remonte.

  • J'en ai aucune, ça tombe bien.
  • Okay. Tant mieux. Fais quand même attention, il souffle.

J'acquiesce derrière lui. Il dit plus rien. Son corps est tendu.

  • Je pars ? je finis par dire.
  • Il parait que t'as du boulot, il siffle.

Il a l'air vexé. Je soupire encore.

  • Ok. J'y vais alors.

Il se redresse d'un coup et grimace évidemment au passage, se tenant le ventre.

  • Pourquoi ? Si je te demandais, tu resterais peut-être ?!

Le ton monte mais on dirait un gamin énervé.

  • Peut-être.

Ça me fait sourire. Il se tait un moment, le temps de mesurer le pour et le contre.

  • Reste alors, il croise les bras.
  • Tu me dessines ?
  • Je peux pas…

Il regarde ses mains, déçu.

  • Ah. C'est vrai.
  • J'ai mal. Tu refais mes bandages ?

Il montre le sang qui a traversé le tissu.

  • Je suis pas médecin.

Je lui souris en approchant déjà pour l'aider.

  • Flic, psy, gardien, tu peux bien être infirmier...

Je me marre et commence à défaire la bande. Il me laisse faire docilement, la main tendue. Rapidement, je vois sa peau rougie de sang, la bandelette dans ma main.

  • Il faut nettoyer, non ? Et ensuite remettre des compresses et des bandes. Y en a dans le bureau je crois, il me dit.

Je confirme, puis le fixe.

  • Je te fais confiance pour être dans la même position quand je reviens, je dis seulement avant de m'échapper, sa bande posée sur son lit.

Une fois la porte de la cellule fermée, je marche dans le couloir en direction de la loge. Je fais un sourire à Julien au détour du tournant lorsque je le croise.

  • Ça va ? il me demande au passage.

Je lui souris et lui explique rapidement ce que je vais faire. Il hausse un sourcil.

  • Tu vas t'occuper de Twist ? il demande, dubitatif. Sois prudent avec lui.
  • Pourquoi ? je soupire en continuant d'avancer à sa suite.
  • C'est un détenu. Tu devrais même pas jouer les infirmiers avec lui. Et ce type est imprévisible. T'as vu la gueule de Boï ? Boï le colosse ? Imagine ce qu'il pourrait te faire. Il cache bien son jeu. Tu devrais pas rester seul en cellule avec.

On passe la porte du bureau.

  • Et je fais comment, si je reste pas seul en cellule ?
  • Tu restes pas avec lui, répond Julien comme si c'était évident.
  • Mais il m'appelle. Je reste bien avec les autres.

Je fronce les sourcils en ouvrant les tiroirs.

  • Walter est pas un assassin Narcis.
  • Tu veux dire que tu seras pas là pour me protéger si je crie ? je lui envoie un sourire en coin.
  • Je veux dire qu'avec ce mec il sera peut-être trop tard quand je t'entendrai crier. Fais attention, tu veux ? Il est complètement bipolaire.
  • Ok papa. Je fais attention.

Je roule des yeux. J'ai envie de pas y croire.

Il a pas l'air de trouver ça drôle et me prévient d'un dernier regard avant de continuer dans les couloirs. Je soupire. Je sais pas quoi en penser. Une petite partie de moi a envie de croire qu'il me fera rien, parce que même si on veut pas se l'admettre, on s'attache assez facilement aux gens. Même s'ils nous sont sympathiques qu'une fois sur deux.

Quand je retourne dans la chambre, je constate qu'il a pas bougé d'une oreille. Même ses mains sont toujours tendues. Ça me fait sourire, je peux pas m'en empêcher, et il a un air surpris devant mon expression avant de sourire aussi légèrement.

  • Ok. J'ai de quoi tout soigner, je dis en amenant la chaise devant son lit.

Je m'y assois et pose la bande, le désinfectant et les compresses entre mes jambes. Il me regarde faire, toujours sans bouger, un poil curieux.

  • Il s'est passé quoi ? je demande en attrapant son poignet pour y poser la compresse imbibée.

Je me rends bien compte que je deviens de plus en plus laxiste avec lui.

  • À quel sujet ? il demande en me regardant toujours faire.
  • Avec Boï. Pourquoi vous avez fini à l'infirmerie, pleins de sang ?

Je tapote la peau pour désinfecter encore. Il hausse les épaules, la mine boudeuse.

  • C'est un connard qui le méritait.
  • Pourquoi ?
  • Parce qu'il dit de la merde et qu'il violente assez de gens comme ça. Il le méritait, il gronde.
  • Je t'ai rien fait moi, ma voix claque dans la pièce et je lui lance un regard sévère.

Il a pas à me parler sur ce ton. Aussitôt il baisse les yeux et s'excuse.

  • Il a dit qu'il t'aurait, il t'a insulté.

Je hoche la tête sans rien dire de plus.

  • Je voulais pas crier, il ajoute doucement.
  • Ouais. C'est ok.

Le sang est presque totalement parti sur son bras, alors je pose une nouvelle compresse et je déroule la bande.

  • Tu vois que tu fais un bon infirmier, il sourit un peu en relevant les yeux sur moi.
  • Je sais bander, tout au plus, je souris à mon tour.

La bandelette fait le tour de son poignet sous mes gestes.

  • J'en doute pas, il rit un peu.

Moi je me concentre juste un peu plus sur ce que je suis en train de faire.

  • Ça fait mal.
  • Les poignets ?

Je relève les yeux une seconde sur lui, puis je repose sa première main terminée. Je prends la deuxième pour continuer mon manège.

  • Ouais. Et le ventre.
  • T'as quoi, au ventre ?

Ma deuxième main va pour relever son tee-shirt. Il se recule un peu instinctivement avant de finalement se laisser faire.

  • C'est là où ça se voit pas qu'ils tapent le plus fort. J'aurais dû le faire aussi, tiens... J'ai pas l'habitude comme eux.

Je hoche la tête et retourne m'occuper de son deuxième poignet, déjà lavé.

  • Tu mettras la crème que je t'ai donnée.
  • Oui, chef, il répond les yeux dans le vague.
  • Tu l'as encore, n'est-ce pas ?

Je lève un sourcil et un œil vers lui. Sa main est terminée.

  • Ouais. Personne a vu que j'en avais alors je risque pas grand chose.
  • Ok. C'est terminé.

Je lui montre ses bandages, désormais totalement blancs, et je me relève.

  • Merci chef.

Il relève les yeux sur moi. Je hoche la tête professionnellement et pars jeter les papiers usagés dans sa poubelle.

  • Vous allez faire quoi maintenant ? Il est vingt-trois heures.
  • Des rondes.

C'est pas la peine qu'il sache exactement ce que je fais. Les infos sur où sont les gardes et à quel moment, c'est quand même sensible à transmettre.

  • Vous allez vous ennuyer non ?

Je hausse les épaules.

  • En tous cas si c'est le cas... Passez me voir. Je dormirai pas.

Je lui souris.

  • J'y penserai.
  • Cool.

Il est debout et shoote dans un caillou imaginaire.

  • Okay. Merci encore chef. Pour mes mains, il dit en secouant ses doigts devant moi.

Je hoche la tête, les lèvres toujours retroussées, puis je sors de la cellule avec un dernier regard pour son habitant. Je retourne au bureau pour voir où en sont les autres et je croise Guillaume qui me fait coucou de la main. Je lui retourne rapidement.

  • Alors tes premières semaines ? T'aimes ce job ?

Je confirme, il est sympa Guillaume, alors on parle encore un moment, si bien que l'heure passe sans que je parte faire ma ronde entre temps. On regarde quand même les caméras de surveillance de temps en temps ; Julien lui revient enfin de sa ronde. Il était passé jusqu'aux fermes, au cas où.

Du coup on se retrouve tous les trois, et on entame une nouvelle discussion.

  • Kuchner au deuxième a encore pété un plomb aujourd'hui, commence Guillaume. Il s'est tailladé les veines ce con, mais il s'est de nouveau foiré. Il doit pas y mettre beaucoup de bonne volonté.

Il se marre en croquant dans sa pomme.

Moi je grimace. Je suis bien content de pas traiter ce genre de problèmes, et leurs commentaires me font un peu froid dans le dos. Julien sourit aussi.

  • Ça fait un moment que Clinton se tient tranquille là-dessus.
  • Clinton ? Celui dont faut se méfier ? j'interviens.

J'en apprends tous les jours.

  • Ouais. Ce type est un malade. Il a déjà avalé des lames de rasoir.

Mes yeux s'agrandissent. Comment un mec peut faire ça ?

  • Et il est toujours là, soupire Guillaume. Il irait mieux en unité psy.
  • Ouais ? Où ?

Personne m'a informé, apparemment. Voilà l'organisation.

  • C'est pas ici ; c'est dans le quartier des libellules, explique Julien. On envoie parfois un détenu là bas quand le cas devient complètement psychiatrique.

J'acquiesce. J'étais absolument pas au courant.

  • C'est pas souvent ; généralement ils passent en préventive et dès que le jugement tombe ils partent en unité psy, explique Julien qui voit bien mon malaise.
  • Et c'est déjà beaucoup arrivé, ici ?
  • S'ils sont ici c'est qu'ils sont déclarés capables de discernement. Donc de là, il en faut beaucoup pour qu'on se dise finalement que ce sont plutôt des cas psy.
  • Ouais. Vrai, j'acquiesce. Y en a d'autres, comme Clinton ?
  • Plein ! rit Guillaume.

Je grimace. C'est pas vraiment drôle. Quand je tourne la tête vers l'écran de surveillance, tout est encore calme. Dans le coin en haut à droite, une heure du matin est affiché en digital.

  • Disons que c'est des gens plutôt dérangés qui viennent en taule en général, explique encore Julien. Et la prison aide pas, avec toutes les merdes qui arrivent. Y en a beaucoup qui préfèrent crever.
  • Ouais. Ouais, je sais, je soupire. On va faire un tour, Julien ? Ou Guillaume. Comme vous voulez, je dis, déjà debout.

Julien m'accompagne et Guillaume nous fait signe qu'il va rester dormir un peu.

  • J'ai dormi toute la journée, aujourd'hui, je commente quand on a fait quelques pas. Je pensais pas dormir autant, pour la première fois.
  • T'avais pas l'habitude quand t'étais flic ?
  • Y a longtemps. Surtout au début. Je veux dire, ça allait, mais je pensais pas être si fatigué pour un lundi.
  • Ouais, je vois. Ça a été alors ? t'es pas trop crevé là ? C'est fatigant comme job hein ? Surtout quand y a rien à faire.
  • Là ça va. J'ai bu un café et j'ai mangé une orange avant de venir, je me vante avec un grand sourire. Ça va. Je fais le psy moi, monsieur.

Je tape mon torse.

  • T'attache pas trop aux détenus, grogne quand même Julien.

Trop tard, je pense.

  • Ok, je dis.

Il plisse les yeux en m'observant avant de hocher la tête.

  • Y a eu une nana, Stéphanie.
  • Quoi ? Ici ?
  • Oui. Elle était gardienne.
  • Ouais ? Et alors ?

On tourne au coin, je me rends compte qu'on marche super lentement.

  • Elle s'est attachée à un détenu.

Je hoche la tête pour qu'il continue.

  • Elle est tombée amoureuse de lui.

Il a un air... Énervé, quand il dit ça.

  • Et t'en étais aussi amoureux ? je hausse un sourcil.
  • Non. Mais c'était une amie très proche. Elle était juste conne d'avoir fait ça.
  • Ça a mal tourné alors ?

On passe devant la cellule de Twist, mais Julien s'arrête pas, alors je suis.

  • Il l'a violée. Il a essayé de la tuer un jour où il était de mauvaise. On a failli pas arriver à temps.
  • C'était quand ?

En passant devant la cage de Walter, on entend des bruits à l'intérieur. Je m'approche.

  • Y a quatre ans.

On s'arrête.

Je toque à la porte, la déverrouille et demande si tout va bien. Après encore un brouhaha, Walter, trapu à la peau foncée, probablement métissé indien, finit par ouvrir à son tour.

  • Oui chef ? il demande timidement.
  • Un problème ?

Je zieute dans sa cellule.

  • N-non Monsieur, il murmure en jouant avec ses doigts.

J'ai remarqué que c'est un tic chez lui. J'insiste.

  • Y avait du bruit, non ?
  • J'ai fait tomber un truc… il marmonne.
  • T'as pas recommencé ces histoires de sciage de barreaux hein ? soupire Julien, et le détenu prend la mouche.
  • Rien à voir ! Ça marche pas toute façon !

Il sciait les barreaux ? Ça me ferait presque rire, vu son air.

  • Alors c'était quoi, ces bruits ?
  • J'essayais pas de les scier… il répète en grommelant.

Quand on regarde vers la fenêtre, on constate que cette fois il essayait de les écarter avec un truc probablement piqué en mécanique. Ça me fait lâcher un petit rire, cette fois. Le mec écartait les barreaux de sa cellule. Il s'en serait jamais sorti, une fois dehors.

Je jette un regard à Julien pour savoir quoi faire. Il secoue légèrement la tête.

  • Rends-moi ça, Walter.

Il tend la main. L'autre grommelle et donne l'objet, déçu.

  • Tu sais que je vais devoir référer ton vol à mes supérieurs.

Il hoche la tête.

  • Bien, il soupire encore. Dors maintenant.

J'observe la scène, le détenu repart vers son lit en ronchonnant. Lorsqu'on est dehors, je demande ce qu'il va se passer pour lui à mon collègue.

  • Il ira en isolement et il aura un interrogatoire pour comprendre comment il a réussi à le sortir de l'établi.

Je lui fais un signe de la tête et on repart. Une fois que notre aller est fini, on fait demi-tour. On se retrouve à nouveau devant la cellule de Walter, qui s'est calmé, puis devant la cage de Twist ; y a aucun bruit. Je m'arrête et Julien fait de même, perplexe, puis je déverrouille et toque avec le bout de mes doigts.

S'il dort, ça le réveillera pas, et s'il dort pas, il pourra m'entendre. Il doit être une heure et demi maintenant, si il attend que je revienne il faut bien que je l'avertisse que ce sera plus possible.

Alors qu'on allait se décider à partir, il ouvre, plissant les yeux à cause de la lumière. Il sourit d'abord un quart de seconde avant de se glacer en voyant que Julien est avec moi.

  • Retourne dormir, je lui intime en montrant l'intérieur de sa cellule.
  • Je dormais pas, il dit de sa voix rauque.

Mon sourcil se relève.

  • Tu sciais tes barreaux, toi aussi ? je murmure pour que Julien entende pas, à quelques pas derrière moi. Faut dormir maintenant.
  • J'ai pas envie de quitter cet endroit, il me répond avec un demi-sourire. Je dors jamais vraiment ici.
  • Tu devrais. On surveille. Allez va.
  • Donc tu viens pas me voir ? souffle l'autre, presque inaudible pour éviter l'oreille traînante de Julien.
  • Non. Demain.
  • On est demain.

Il me fait marrer.

  • Allez, va te coucher. On est demain jusqu'à minuit.
  • Ouais.

Il pince les lèvres avant de toucher la croûte qui se forme dans le coin où il a été frappé.

  • Tu reviens quand ?
  • Ce soir.

Il boude encore.

  • Ok. Ce soir.

Il se recule en refermant la porte. Je verrouille à nouveau, puis me tourne vers Julien en secouant la tête.

  • On va dormir un peu ? je lui lance.

Il a un air réprobateur. Il se détourne et se dirige vers le bureau.

  • Allez, souris. Je fais attention, je dis en le bousculant, avec un sourire.

On arrive à la loge, puis on s'assoit l'un à côté de l'autre sur les fauteuils du fond.

  • Ouais. Tu me rappelles vachement Stéph. Je gère, je fais gaffe.

Je roule des yeux et ma main vient caresser énergiquement sa cuisse.

  • Te fais pas de bile. On dort.
  • Mh, il fait pour toute réponse en se calant dans le fauteuil.
  • Souris.

Il me sourit faussement avant de me fusiller du regard.

  • Je suis sérieux Narcis. Fais pas le con okay ?

Mon pouce parcourt sa jambe.

  • Okay, je l'imite.

Il a l'air de se détendre un peu à mon toucher et s'autorise un petit sourire.

  • Allez. Plus que ça, je l'encourage encore.

Il rit plus franchement cette fois.

  • Ferme-la et dors.

Il tape ma main.

Moi je hoche vivement la tête et ferme les yeux, plus avachi dans mon fauteuil. Il pose ses jambes sur les miennes, étendues sur un bureau, et on s'endort comme ça, tout entremêlés.

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