Instrospection addictive

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Un horrible mal de tête s'étendit sous son crâne et la fit grimacer. Ses paupières peinèrent à s'ouvrir, la suppliant de les laisser encore un peu fermés, juste un peu, mais Alice lutta et la lumière du matin l'aveugla. Elle se trouvait dans un lit. Un lit inconnu.

Putain de bordel de merde.

Elle voulut se relever brusquement mais une nausée lui souleva le cœur et lui fit regretter son geste. Petit à petit. Chaque chose en son temps. Alice inspira et expira lentement, laissant passer quelques secondes avant de répéter son geste. Cette fois-ci, elle y arriva sans grand mal.

Et alors elle se rendit compte qu'elle était nue.

Toute couleur s'envola de son visage. Elle ouvrit la bouche pour laisser échapper un cri mais se retint lorsque quelque chose bougea à côté d'elle.

Un autre corps.

Sasha.

Bien sûr, il fallait toujours qu'il soit là au moment où elle ne s'y attendait pas. Un désastre. Tout n'était que désastre. Elle se retourna maladroitement sur elle-même, fit en sorte de cacher son corps avec ses draps et l'observa dans ses moindres de détails. Jamais elle n'avait vu un corps de garçon nu. Son épiderme reluisait sous les rayons du soleil matinal. Ses cheveux bruns bouclés étaient éparpillés sur l'oreiller, la bouche légèrement entrouverte et les yeux fermés. Seigneur. Heureusement qu'il dormait sur le ventre et que les couvertures lui couvraient le bas. Alice ne voulait pas imaginer ce qu'il y avait là-dessous.

Soudain, ses yeux s'entrouvrirent légèrement, ses sourcils se froncèrent et sa bouche se referma. Il resta un moment immobile, puis ses pupilles balayèrent le décors avant de se poser sur elle. Un sourire malicieux fit plisser ses yeux.

-Salut beauté, fit-il, la voix rauque.

« Beauté... ». C'était la première fois que ce surnom lui était dirigé à elle. La première fois qu'un garçon la regardait avec autant de tendresse dans les yeux. Son cœur palpita plus fort. C'était un peu la première fois pour tout, ces-temps ci, et cela l'excitait plus que tout.

-Hey...

Il la vit, les yeux écarquillés, le visage blême et lâcha un petit rire. À l'évidence, il allait devoir lui expliquer certaines choses.

-On... on l'a fait ? Demanda-t-elle, la voix tremblante.

Sasha se redressa sur ses coudes, ses boucles tombant négligemment sur son front. Alice avait une allure à réveiller un mort de son tombeau, mais elle restait merveilleusement belle malgré elle. Son maquillage noir avait coulé sur ses joues et quelques ondulations recommençaient à se former, libérés par l'emprise du lissage.

-Tu es nue, je suis nu. C'est facile à deviner non ?

Doucement, il s'assit pour se situer à sa hauteur. Avec son doigt, il releva tendrement son menton et planta ses yeux dans les siens.

-Tout le monde fais ça, tu sais. C'est normal.

Elle ne semblait pas convaincue. Alice paraissait si vulnérable, si fragile lorsqu'elle ne portait pas son masque protecteur. C'était comme si cette nuit avait brisé ses remparts à coups de masse et l'avait découverte petite, recroquevillée sur elle-même, terrifiée par ce monde et ses cruautés.

-Je... je vais prendre une douche, dit-elle brusquement.

Il la laissa partir, amusé. Traînant dans ses bras les draps froissés, Alice se dirigea vers la salle de bain intégrée à la chambre. Elle ferma la porte et regarda le reflet que lui renvoyait le miroir. Elle sursauta. Qu'avait-elle fait ? Dans quoi avait-elle plongé ? Il y avait encore quelques semaines, elle ne se préoccupait même pas des formes de son corps. Et aujourd'hui, elle se réveillait avec un garçon allongé dans le même lit. Tout était allé si vite, et elle n'avait pas eu le temps de faire une pause. Ses yeux injectés de sang témoignèrent de l'addiction qui s'était emparé d'elle sans même qu'elle ne s'en rende compte. Tout à coup, l'horreur de la situation lui coupa le souffle. Elle s'était laissée entraînée là-dedans sans rien connaître de ce monde. Est-ce qu'elle aimait ça ?

Elle mordit sa lèvre inférieure.

Peut-être moins, maintenant.

Un sanglot lui obstrua la gorge. Elle se laissa glisser contre le mur. Tout en elle tremblait. Son âme était sale, abîmée, écorchée. Ses yeux lui brûlaient, son cœur se serrait jusqu'à lui faire mal. Et tout ce à quoi elle pensait, c'était emplir le vide qui étouffait son intérieur. Tout ce qu'elle voulait, tout de suite, maintenant, c'était boire et oublier tout ce qui venait de se passer.

Plusieurs larmes dévalèrent ses joues noircies par le maquillage.

Putain de cercle vicieux.

-Alice ? Alice, qu'est-ce que...

Sasha s'engouffra dans la pièce, le regard alarmé. Tout était sa faute, pensa-t-elle. Si elle se trouvait là, à pleurer misérablement sur son sort, c'était à cause de lui. Et pourtant... elle avait l'impression de faire partie intégrante de son corps. Dépendante de son odeur, de sa manière d'agir, de parler, dépendante de lui pour le simple fait qu'il était son seul rocher dans un océan enragé. Rien que pour cela, Alice était incapable de se détacher de lui.

-Ça va ? Demanda-t-il en s'asseyant à côté d'elle.

De par cette question, on aurait dit que le monde entier lui hurlait de dire « oui ». Mais comme Alice aimait faire la rebelle, comme le monde lui importait peu, elle dit, entre deux sanglots :

-Non... pas du tout même...

Il soupira et l'attira contre lui. Il sentait la cannelle, mêlée à un reste d'effluves d'alcool. Alice se réfugia dans son odeur et laissa son corps se briser dans ses bras. Il ne dit rien, la laissant pleurer comme on regarderait la pluie tomber. L'âme d'Alice était déjà condamnée. Déjà placée dans l'engrenage impitoyable de la drogue, déjà meurtrie par cette poudre blanche, condamnée à errer dans les méandres de l'oubli. Le meilleur, c'était que la raison qui poussait son âme à plonger devenait la raison de son addiction. Oublier. Toujours oublier. Mais oublier quoi ? La vie ? La mort ? Le monde entier et l'injustice de la société ? Sasha connaissait ce monde par cœur, et savait que c'était un peu tout ça que les âmes condamnées tentaient d'oublier. Qu'il y avait tellement de cas, de situations différentes. Mais ce qui était sûr, c'était que l'addiction n'était ni le tabac, ni l'alcool, ni la drogue. Non.

L'addiction, c'était l'oubli.

Alice se redressa et se leva, silencieuse. Sasha fit de même, sans savoir pourquoi, écoutant son intuition. Elle se retourna, lui, planta ses yeux dans ses iris sombres. Elle lâcha le drap qui tomba gracieusement à ses pieds, lui, se noya dans les ténèbres de son regard. Son cœur bourra sa cage thoracique de coups douloureux.

-J'en ai assez de faire semblant. De regretter mes choix, dit-elle d'une voix posée et calme. Flotter à la surface comme si je ne savais pas où était ma place.

-Tu sais où est ta place.

Elle pencha la tête sur le côté, un sourire malicieux se dessinant entre le reste de ses larmes.

-Où ?

-Avec moi.

Ce fut la bombe qui déclara la guerre. Leurs corps se mêlèrent l'un dans l'autre comme si leur destin avait été d'être unis pour toujours. L'eau de la douche les aveuglèrent, aveuglèrent leur corps, leur esprit, leur âme, mais rien ne pouvait plus les arrêter. Alice donna à Sasha tout ce qui lui restait, et Sasha l'accueillit en lui sous le chuchotements de milles promesses.

Deux âmes unies par l'addiction de l'oubli.

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