J-30

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Erin faisait souvent le même type de rêve. Elle se retrouvait la nuit, des herbes hautes frôlant ses cuisses, le vent qui soufflait si fort qu'elle avait du mal à rester sur place ou à avancer, la pluie si violente que ses vêtements lui collaient à la peau et glaçaient ses os. Elle ne comprenait pas comment elle était arrivée là et pourquoi, mais elle était sûre d'une chose : elle devait entrer dans la vieille maison qui lui faisait face. Celle-ci semblait tirée d'un film d'horreur avec son aspect sinistre, le bois qui craquait, le côté délabré, la peur qu'elle lui suscitait. Elle tentait alors de puiser dans ses forces pour rejoindre la bâtisse, malgré la peur et le vent. Mais à chaque fois qu'elle y parvenait, elle apercevait une silhouette sombre et elle se réveillait en sursaut.

Elle ressemblait à celle du jeune homme présent dans son bureau, avec un dossier sous le bras.

Il faisait chaud dans la salle de consultation, un peu trop. Le chauffage était sans doute allumé. Il fallait dire que Erin avait souvent froid, on la voyait souvent habillée avec un gros pull, quand elle n'était pas en blouse. Heureusement, la chaleur permettait de créer une sorte de confiance entre le patient et la psychologue. Cette dernière pouvait ainsi être considérée comme étant douce, tout comme l'intérieur, pourtant basique. Un fauteuil faisait face à un canapé, le bureau dans un coin était parfaitement rangé, les étagères avec quelques dossiers également. Tout était dans un marron uniforme assez ennuyeux. Il ne manque plus qu'une cheminée, songea Zach. Le jeune homme examinait les murs clairs, puis les dossiers enfoncés dans les étagères. Le tout avec un calme impassible.

Erin fixait le nouveau venu de son bureau. Elle était déjà suffisamment agacée qu'il ait osé entré sans même en avoir l'autorisation, et voilà qu'il se mêlait d'affaires privées. Assez petit, le dos droit, les cheveux impeccablement coiffés en arrière en costard cravate, il représentait le parfait stéréotype du fils à papa riche et sûr de lui. Les mains croisées dans son dos et ses yeux clairs ne lui inspiraient aucune confiance.

- Il me semble que je ne vous ai pas demandé d'entrer.

- Je sais, je me suis de le faire tout seul. Votre secrétaire m'a dit que votre dernier client était parti il y quelques temps déjà.

Sur ces paroles, Zach se tourna vers la psychologue. Un sourire calme, poli et hypocrite se dessinait sur ses lèvres, qui ne donnait qu'une envie à Erin : lui faire ravaler.

- Ne lui en voulez pas trop, poursuivit-il. Elle n'a pas vraiment eu le temps de m'empêcher de rentrer. Et il faut dire que j'ai déjà appelé plusieurs fois, mais elle me disait à chaque fois que vous n'étiez pas disponible. Je me suis donc directement déplacé.

- Et je le suis toujours pas. Je vous prie de partir.

- Déjà ? Alors que je ne vous ai même pas donné l'objet de ma venue ?

- Oh, je n'ai pas besoin de vous écouter pour ça. La réponse est non.

Zach marqua une pause, laissa le silence envahir la pièce. Beaucoup sous-estimaient son pouvoir, qui était pourtant une arme tout aussi redoutable qu'un couteau. Bien utilisée, elle pouvait faire révéler n'importe quoi à la personne en face. Il l'accompagna de son mouvement de doigt qui traînait lentement, très lentement, sur le dos des dossiers.

- Vous vous êtes installée ici il y a quelques mois, mais vous n'avez pas beaucoup de clients. Etonnant, d'ailleurs, que vous soyez partie alors que étiez dans une assez grande ville avec une notoriété suffisante.

- Vous comptez montrer votre domination en montrant les informations que vous avez récolté sur Google ? Je n'ai jamais rien vu de plus pathétique.

- Ce n'est nullement mon intention, au contraire. J'ignore si j'aurais pu le faire, à votre place.

- Arrêtez de tourner autour du pot et dîtes-moi ce que vous foutez dans mon bureau.

- Vous avez eu une longue journée, on dirait.

- Et elle n'est pas finie, visiblement.

Erin n'avait pas l'intention de se lever ou de se montrer plus polie qu'elle ne l'était déjà. Ce type débarquait chez elle, malgré les excuses que sa secrétaire avait trouvées pour le faire partir. Mais il avait insisté, pendant des jours. Après tout, c'était peut-être de sa faute. Elle aurait dû le rappeler elle-même pour lui dire clairement qu'elle voulait qu'on lui fiche la paix. Et à présent, elle devait attendre qu'il s'en aille avant de pouvoir enfin rentrer à la maison.

Zach, de son côté, avait déjà eu le temps de l'analyser, bien avant de mettre les pieds ici, d'ailleurs. Elle était à la limite d'avoir sa page Wikipédia. Elle avait toujours été discrète, même sur les réseaux. Surtout sur les réseaux. Elle ne possédait qu'un compte Facebook et un de Twitter... Enfin de X, mais ce dernier semblait inactif depuis qu'elle avait déménagé. Pourquoi tout plaquer pour venir dans une petite ville ? Mais il avait une petite idée du pourquoi et du comment. Néanmoins, il s'obligea à revenir dans la réalité, remarquant l'impatience de la psy dans ses yeux. Alors, il décida de cesser son petit jeu pour brandir le dossier qu'il avait calé sous son bras. Ce petit temps lui avait permis de réfléchir pour choisir la meilleure façon de lui exposer la raison de sa venue.

- Quand j'avais dix ans, ma mère a commencé à aller mal. Elle dormait beaucoup, ne mangeait plus, ne sortait plus. On a fini par découvrir qu'elle souffrait de dépression.

- Vous m'en voyez désolé, répliqua Erin d'un ton qui suggérait le contraire.

- Il faut savoir qu'elle était très arrogante, poursuivit-il comme s'il n'y avait eu aucune interruption, et son changement m'a toujours laissé perplexe. Comment une personne, qui semblait avoir toute la confiance de soi au monde, a pu finir par devenir dépressive. Il faut dire que c'est un sujet qui me passionne.

Une lueur d'avidité s'alluma dans ses yeux, mais elle disparut aussitôt après. Erin l'avait-elle imaginé, ou était-elle vraiment là ? Elle ne savait pas quoi en penser. Pourtant, le visage du jeune homme qui se tenait dans le lieu de consultation était redevenu totalement lisse. Elle tenta de se reprendre.

- Je ne vois pas bien en quoi ça me concerne. Je suis psychologue. Je soigne, je n'étudie pas. Maintenant, si vous vouliez bien...

- J'ai besoin de vous. J'aimerais monter une expérience psychologique pour comprendre. Vous n'êtes pas curieuse ? Vous ne voulez pas savoir comment c'est possible ? En combien de temps un être humain totalement sain peut devenir son pire cauchemar ?

- Encore une fois, je soigne, je n'étudie pas. Si c'était pour ça, je vous demande de partir.

- Laissez-moi au moins vous montrer le dossier, insista Zach en déposant ce dernier sur le bureau, devant elle. Il est complet, vous y trouverez toutes les infos nécessaires. Cette expérience pourrait faire avancer la science. Elle pourrait prévenir pour guérir. De plus, les volontaires sont des détenus de prison, qui ont causé la pire horreur sans le moindre remord. Vous détestez ça, n'est-ce pas ?

- Vous essayez vraiment de me convaincre en me faisant détester par avance les détenus ?

- Vous avez besoin d'argent, doc. En plus de vous permettre de subvenir à vos besoins, vous pourriez être à mes côtés sur une avancée. N'est-ce pas génial ?

Il marqua une pause mesurée, avant de sourire.

- J'ai besoin de vous, répéta-t-il. Vous trouverez toutes les infos là-dedans. Il y a toute l'intitulé de l'expérience, le but, ce que ça engendrerait, le déroulé, les dates, le montant de la somme, et les détenus. J'aimerais que vous choisissiez, selon les commentaires des psys des prisons. Bien sûr, vous pourrez les voir, vos trajets seront remboursés.

Erin était presque estomaquée par son toupet. Elle le fixa en se demandant sérieusement si elle devait le jeter dehors par la force ou lui balancer son stupide dossier à la figure.

- Je n'en veux pas, de votre expérience. J'ai tout ce qu'il me faut ici.

- Oui, oui. C'est pour ça que votre secrétaire finit assez tôt tous les jours.

Voulant couper court à la conversation qui s'éternisait bien trop à son goût, la psychologue se leva et attrapa le document. C'est qu'il était lourd, en plus ! D'un pas lent mais furieux, elle se dirigea vers le jeune.

- Fichez le camp d'ici. Je ne veux plus vous voir, ni même entendre parler de vous. Sinon, je n'hésiterai pas à porter plainte pour harcèlement.

Vous connaissez la procédure, au moins, manqua de lâcher Zach, mais il ravala sa réplique tout en gardant un air neutre et imperturbable. La psy se posta en face et lui planta le gros dossier contre son torse. Il ne le prit pas, le laissant tomber au sol avec un bruit sourd. Sans même lui jeter un regard, Erin marcha d'un pas lent mais assuré jusqu'à la sortie. Le plus jeune se contenta de l'observer avec le même air tranquille et nonchalant. Néanmoins, il revêtit son masque sérieux. Il savait que c'était sa seule chance, et qu'à force de jouer, il perdrait définitivement. Il façonna son visage pour qu'un air désolé et - il l'espérait - convainquant se peignent dessus.

- D'accord, d'accord. Je n'aurais pas dû insister autant. Pour être tout à fait honnête, il m'a fallu du temps pour vous trouver. Votre profil correspond à ce que je cherche. Votre travail est remarquable, et j'ai vraiment besoin de vous. Je ne vous demande pas une réponse d'ici demain, mais j'aimerais au moins que vous y réfléchissiez. S'il vous plaît.

Erin se retourna vers lui et songea que, décidément, il faisait tache dans son environnement. Elle parut un peu moins agacée que tout à l'heure, simplement exaspérée. Elle attendit quelques instants, le temps de réfléchir, mais quand elle reprit la parole, ce fut pour réitirer sa demande de partir. Cette fois, il obtempéra, salua la psychologue, la secrétaire qui était restée sans doute pour connaître la raison de sa venue, et quitta le cabinet. La femme jeta un regard noir à la secrétaire, et cette dernière baissa la tête.

- Qu'est-ce qui vous a pris de l'autoriser à entrer ?

- J-je suis désolée, je pensais que c'était un client...

- Un "client" qui n'a pas hésité à venir en dehors des horaires d'ouverture. Vous auriez dû le congédier.

- Désolée...

- Enfin bon, j'imagine que j'ai une part de responsabilité là-dedans... J'aurais dû le rappeler moi-même directement. D'ailleurs, puis-je vous demander ce que vous faîtes encore là ? Votre travail est fini, non ?

- O-oui... P-pardonnez-moi...

La secrétaire attrapa le manteau et le sac posés sur la chaise à côté d'elle, contourna l'accueil et quitta la pièce. Erin s'apprêta à fermer à clé, quand elle se rappela du dossier. Elle ne pouvait pas le laisser là jusqu'au lendemain. Avec un soupir, elle retourna dans son bureau et l'attrapa, mais une enveloppe et plusieurs feuilles tombèrent. Étouffant un juron, elle posa le tout sur son bureau, éteignit les lumières, ferma le tout à clé et put enfin rentrer chez elle.

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