L'épopée glaciaire (1)

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 La jeep Ultra Hiver surfait dans un quasi-silence assez étonnant sur les étendues de neige fraîchement tombées. Seul le grondement du très puissant moteur et de légères frictions de contact constituaient le monotone paysage sonore.

 À travers les vitres peu teintées, ils contemplaient les magnifiques et terrifiants champs gelés. Ils traversèrent de longues plaines blanches, puis des collines, des vallées, et bientôt passèrent entre des chaînes montagneuses.

 Ce fut Magalie qui brisa la monotonie :

 — Au fait, vous savez où on doit aller ?

 — Absolument pas ! répondit Thierry du tac-au-tac, un brin de fierté incompréhensible dans la voix.

 — Mais y'a pas de quoi en être ravi !

 — Ah bah moi on me dit de tracer, alors je trace, je trace !

 — J'y crois pas ! Je suis entourée d'incapables..

 Magalie frappa l'épaule de Marlowe, les yeux mis clos. Il sortir de sa rêverie brusquement.

 — Hey ! Où est-ce qu'on va ?

 — Ben sauver Mardo, répondit le détective. Tu suis toi, des fois ?

 Elle poussa un soupir d'exaspération.

 — Non mais, où est-ce qu'il est, exactement ?

 — Ah ça, je sais pas par contre.

 — Sérieusement ?

 — Bien sûr. Pas besoin de le savoir. Je te l'ai déjà expliqué, nous sommes dans une histoire, par conséquent, nous finirons bien par tomber sur notre objectif à un moment. L'important c'est de continuer à avancer pour déclencher les péripéties, et chacune d'elles nous fournira des indices supplémentaires qui nous rapprocheront du but. Tibex m'a dit de continuer par là, c'est donc ce qu'on fait.

 — Mais c'est bien trop vague comme indication !

 — Certes, mais c'est toujours ça. C'est comme quand nous sommes allés au Tibet. On savait qu'on devait se rendre dans ce pays, mais pas où exactement. Il fallait juste y aller et on découvre au fur et à mesure... C'est comme dans les films, les personnages arrivent toujours au bon moment au bon endroit, et cela peu importe la quantité d'informations dont ils disposent. Du genre "va sur Mars et trouve mon pote Louis", et le gars arrive sur Mars et il trouve directement Louis.

 — Et allez ! s'en mêla Lucio. Il est reparti dans ses délires.

 — Ce ne sont pas des délires ! Je sais bien que vous ne pouvez pas en avoir conscience comme moi, c'est bien triste, je vous demande juste de me faire confiance là-dessus.

 — On va se perdre et mourir en plein désert, voilà ce que tes divagations vont nous faire.

 — Hey, tu déconnes ? Et tes histoires de cavaliers de la fin du monde, c'est pas du délire aussi ?

 — Je te permets pas ! Les démons de l'Apocalypse existent !

 — Mais bien sûr !

 — Vous pouvez faire moins de bruits à l'arrière ? demanda Thierry. J'ai du mal à me concentrer sur la route.

 — Tu sais très bien que les gouvernements nous mentent, continua Lucio, ignorant la remarque du chauffeur. Ils nous cachent des choses, dont leur existence.

 — C'est des conneries de conspirationniste tout ça...

 — Répètes ça pour voir !

 — C'est du grand n'importe quoi !

  Lucio se détacha et se leva brusquement.

 — T'as pas le droit de dire ça, figlio de puta ! cingla Lucio en saisissant Marlowe par le col. T'y connais rien, c'est du sérieux, montre un minimum de respect, cabrón !

 — Bon eh bien je vois que je n'ai aucune autorité... soupira Thierry.

 — Dommage, encore raté mon pauvre Lucio ! fit Marlowe, un rictus au coin de la bouche, nullement intimidé. C'est pas italien non plus, "cabrón". Arrête de te faire passer pour quelqu'un que tu n'es pas, tu veux.

 Curieusement, Lucio se calma immédiatement à l'entente de cette remarque. Ses sourcils froncés et ses dents serrés laissèrent place à un visage décomposé. Il se rassit et s'affaissa sur son siège. Après un soupir, il s'exprima en ces termes :

 — T'as raison, je fais semblant d'être quelqu'un d'autre. Je suis pas vraiment italien. Mes parents, eux, m'ont bien conçu en Italie par contre. Ils sont morts d'un accident quand j'étais encore tout gosse, et c'est une famille française de merdeux qui m'a recueilli. Des enfoirés sans nom, à se demander pourquoi ils adoptent des marmots s'ils les détestent tant. La vérité, c'est que je me souviens même plus de mon pays natal. Je n'ai pas réappris la langue et j'arrive même pas à sortir une phrase correcte en italien, ça m'enrage.

 — Merde, poussa Marlowe, désolé.

 — T'inquiètes.

 — Nan vraiment, je savais pas, je suis désolé.

 — T'inquiètes.

 — J'insiste, je ne voulais pas te blesser, j'ignorais, je ne comprenais pas...

 — T'inquiètes, je te dis.

 Le silence se fit à nouveau dans la voiture, ne laissant plus que le vrombissement du moteur bercer l'atmosphère gênante qui alourdissait le voyage. Morose et gêné, Marlowe se tenait les mains fermement, comme pour se réconforter. Lucio, le visage désormais constemment tourné vers la fenêtre, contemplait les collines blanches toutes identiques. Dessus, des images d'antant s'animaient et se mélangeaient à la neige. Magalie ne savait pas où se mettre. Plus personne ne pipait mot.


 — Ahah ! s'exclama soudain Thierry. Eh ben, quelle ambiance de merde !

 Pablo le regarda fixement, hochant négativement la tête de désaccord.

 — Ben quoi, qu'est-ce que j'ai encore dit ?

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