Plates formes

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 Cinq heures du matin. Lucio avait du mal à garder les yeux ouverts sur Hanz et Mathilda, qui, eux, les avaient bien fermés. Hormis rares exceptions, les civils dormaient tous à présent, la fatigue prenant le dessus sur le choc produit par les récents événements. Pablo, lui, semblait toujours d'aplomb, envahi par une énergie mystérieuse. Marlowe tenta de comprendre ce qui lui prenait. À un moment, Pablo se décida enfin à proposer à Magalie les restes de la première boîte de sa nourriture.

 — Oh et puis, après tout, pourquoi pas, accepta-t-elle.

 Au moment où elle allait croquer, Marlowe se jeta sur l'omelette et l'empêcha d'être avalée en la claquant contre le sol.

 — Mais, enfin ! soupira le cuisinier. Je ne l'ai forcée en rien !

 Marlowe écrasa l'œuf battu avec le talon de sa botte.

 — Ah tiens, tu vois qu'elles peuvent être encore plus plates ?

 — Voyons Marlowe, j'en voulais moi !

 — T'en es si sûre ? Regarde ce type au teint rouge là-bas. Allongé sur le dos comme il est et avec un tel coffre, il devrait ronfler. Mais il n'émet aucun son.

 — Oh non, tu ne veux pas dire que...

 — Ce type est le seul à avoir pris trois parts. Sa gourmandise l'aura tuée en premier, et les complices de sa gourmandise ne sont autres que ce cuisto du dimanche et ses omelettes aplaties. Toute cette histoire de tradition culinaire, c'est du pipeau. Si tes omelettes sont si plates, c'est à cause d'un assaisonnement particulier...

 — Enfin, c'est ridicule ! s'exclama Pablo. Mes mets ne peuvent en rien ôter la vie d'un homme si costaud ; ils sont parfaitement équilibrés !

 — Exact, confirma Marlowe. Équilibrés. Tous les ingrédients y sont en proportions égales : œuf, pomme de terre, oignon, sel, huile d'olive, et poison mortel.

 — Vous déconnez ! s'offusqua Pablo. Ne vous moquez pas ainsi de ma recette filliale ! Vous n'avez qu'à aller vérifier, je suis sûr qu'il respire encore.

 — Très bien, faisons cela.

 Magalie s'approcha avec appréhension de Jean-Gabin tandis que Marlowe restait attentif aux mouvements du maître queux. Elle positionna son oreille au dessus de sa bouche. Rien. Pas d'air. Elle constata avec effroi qu'il ne vivait effectivement plus en prenant son pouls inexistant.

 — Oh merde ! souffla-t-elle. T'as raison, il... Il est... mort.

 — C'est pas vrai, refusa Pablo. Vous déconnez !

 — Arrête tes magouilles ordure, on t'a percé à jour. Tu as intoxiqué ces innocents avec ta bouffe.

 — C'est pas ma faute, persista Pablo. J'en ai bien mangé, moi !

 — En effet. Parce que tu as soigneusement prévu d'ingérer de l'anti-poison avant de goûter. J'aurais dû me douter qu'un homme sain ne peut pas porter de crocs. Mais ce qui m'a mis sur la voie, ce qui m'a permis de sauver ma collègue au dernier instant, c'est surtout votre chemise fleurie. Mais quel genre de personne porterait un vêtement si léger pour partir en Russie ? Tous ont embarqués des habits d'hiver. La réalité, c'est que vous comptiez sur l'explosion du Kremlin pour vous réchauffer une fois sur place !

 — Eh ben ! s'étonna Lucio, réveillé par l'agitation derrière lui. Encore un coup de théâtre on dirait.

 — Du théâtre, c'est ça, oui, dit Hanz.

 Le nazi lui flanqua un violent coup de poing sur l'arrière du crâne.

 — Et voici le coup de bâton !

 Mathilda profita du fait qu'il soit destabilisé pour lui prendre le fusil qu'il conservait précieusement. De son côté, Pablo tenta de se saisir de l'arme de fonction de Marlowe, mais ce dernier l'attrapa avant.

 — Merci bien pour votre diversion malgré-vous, inspecteur, le railla Lafritzkriel. C'est bien votre problème à vous, les détectives. Vous vous sentez toujours obligé d'expliquer vos déductions, mais vous en oubliez que, pendant ce temps, le monde continue de tourner !

 "Eh merde !" s'en voulu Marlowe. "Quel abruti je fais ! Je me suis fait avoir par les codes stupides des histoires policières !"

 — Et vous comptez faire quoi ? demanda Magalie.

 — On va se barrer d'ici, reprendre notre liberté et diriger le IVème Reich vers la conquête de l'Univers !

 — Cliché. On ne vous laissera pas faire, bande de... démocrates !

 — Mollo sur les insultes ! grogna Hanz. Si vous tentez de nous en empêcher, notre petit otage n'aura pas le temps de dire "Abracadabra" que sa cervelle éclatera !

 Marlowe désactiva le cran de sécurité.

 — On a aussi un des vôtres en joue.

 — Je m'en fous de lui, assura Lafritzkriel, faites-en ce que vous voulez ! Vous pourrez même lui apprendre à danser la Javanaise.

 — Hey c'est vraiment pas cool ça, soupira Pablo. C'est grâce à moi tout ça !

 — Et on t'en remercie.

 Marlowe, agacé de tous ces dialogues sans queue ni tête, haussa le ton :

 — Arrêtez vos conneries, tout de suite ! Votre otage n'est rien d'autre qu'un mafieux. Son sacrifice pour empêcher deux criminels majeurs tels que vous de vous en sortir ne serait qu'une moindre perte. Et vous n'avez nulle part où aller, hormis au milieu du tourbillon glacé qui ne s'arrêtera que dans plusieurs heures.

 Hanz resta immobile et silencieux un instant, puis posa son arme.

 — Merde, il a raison.

 — Bah oui j'ai raison, réfléchissez un peu avant d'agir !! Enfin bon, je ne peux pas vous en vouloir, vous n'êtes que des prisonniers de cet ouvrage débile. Dernière chance de vous en sortir vivants : Mettez-vous face contre ce mur là-bas et ne bougez plus ! (Marlowe se tourna vers Pablo.) Toi aussi enfoiré.

 Les trois terroristes abdiquèrent. Magalie tenta de soutirer un remède pour sauver les victimes de sa nourriture, mais ils n'en possédaient pas. Pablo affirmait toujours que sa recette était succulente et injustement traitée. Lucio, encore légèrement sonné, s'approcha de Marlowe.

 — Merci de l'aide, partenaire, siffla-t-il, la gorge emplit de sarcasme. Comme ça tu t'en fous de ma mort... 'Une moindre perte', hein ?

 — Écoute, c'était simplement pour convaincre le vieillard, je ne le pensais pas.

 — Bien sûr. T'aurais pas hésité à tirer dans le tas, parce que t'es qu'un blasé qui en a plus rien à foutre de rien depuis qu'il a tiré son coup avec l'autre bonnasse. Prend le relais, je te laisse les fils d'Hitler. Je vais en profiter pour piquer un petit somme. Et au fait, ne compte plus sur moi pour vous aider à partir de maintenant, bastardo.

 Marlowe ne réagit pas plus, dépité et irrité.

 "Je commence vraiment à en avoir ras-le-bol de ce merdier."

 Magalie observait avec affliction les dépouilles des empoisonnés, indistinguables au milieu du tas des endormis. Elle n'avait pas le courage de séparer les morts des vivants. Ce travail se ferait tout seul lors du réveil. Elle regardait également Marlowe, ses yeux vides et son expression déprimée. Elle ne savait pas dire pourquoi elle ressentait de la tristesse en le voyant ainsi alors qu'il s'était comporté comme le parfait connard avec elle depuis le début. Quand elle essayait de comprendre ce qui l'avait soudain enfermé de ce cocon mélancolique, il ne répondait que par des discours incohérents dont elle ne définissait pas l'essence. Un élément commun était cependant revenu à chaque fois qu'il avait tenté de lui exprimer la raison de son mal-être : Il parlait de révélations qui lui avaient été faites. Mais pourquoi seulement à lui ? En fait, depuis leur sortie du commissariat, Marlowe disait déjà être en possession d'un savoir ultime. Pourtant, cela le poussait à se donner à fond. Il n'en était plus rien depuis plusieurs heures. Quelles nouvelles informations avait-il donc acquis entre temps pour le métamophoser à ce point ?

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