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Les jours passaient, et Luce était toujours dans le même état, elle se transformait peu à peu en larve humaine, elle savait qu'elle devait se bouger, mais elle n'avait envie de rien. Elle réussissait juste à donner le change auprès de son copain, de ses amis. Elle faisait le minimum pour leur faire croire qu'elle allait bien, qu'elle était juste un peu fatiguée ces derniers temps, mais que lorsque le soleil reviendrait, elle irait forcément mieux. Et ils semblaient tous entrer dans son manège, puisque personne ne lui avait fait remarquer qu'elle était différente.

Un soir, allongée seule dans son lit, parce que son copain était sorti avec des amis, elle eut soudain envie de vin. La nouvelle salve de souvenirs désastreux de sa vie l'avait plongé dans un état catastrophique. Elle avait vraiment besoin de boire un coup, peut-être plus même. Alors elle enfila les premiers vêtements qui trainaient sur la chaise de son bureau, se chaussa, prit son manteau et son écharpe pour affronter le froid glacial de l'hiver et sortit.

Elle fut alors émerveiller de constater qu'il avait neigé, en cinq ans à Paris, jamais elle n'avait vu la ville plongée dans un tel silence. Ce manteau blanc semblait avoir totalement endormi la cité, la rendant terriblement apaisante. Elle avait l'impression d'être seule, le calme qui régnait était irréel tant il y avait de bruit habituellement dans cette rue. Et elle se surprit à sourire. Cela ne lui était pas arrivé depuis des semaines.

Luce marcha d'un pas décidé jusqu'à la supérette. Elle allait acheter deux bouteilles de vin blanc, mais elle se ravisa et se décida plutôt pour une petite flasque de vodka bon marché. A peine sortie du magasin, elle la déboucha et but une première gorgée du liquide transparent qui lui brûla la gorge. Elle toussota pour se remettre, puis but une seconde lampée.

Elle allait tourner dans sa rue, prête à rentrer chez elle, quand elle aperçut son copain à quelques mètres. Il allait entrer dans leur immeuble. Elle décida alors de faire demi-tour. Elle n'avait pas envie de lui parler. Elle avait juste envie de boire, beaucoup, et d'oublier, l'espace d'un instant, son mal-être grandissant.

La jeune femme marchait dans les rues de Paris, les trottoirs couverts de neige glissaient et l'alcool aidant, elle manqua de tomber à maintes reprises. Elle errait, seule dans la rue, elle repensait à toute sa vie, ces dernières semaines qui avaient été si difficiles à supporter. Tout serait tellement plus simple si tout s'arrêtait là. Elle s'engagea sur le pont Neuf et se pencha sur la pierre pour mieux voir les flots. Il y avait beaucoup de courant. L'eau devait être glaciale. Elle regarda autour d'elle. Il n'y avait personne, pas âme qui vive. Elle regarda de nouveau le fleuve.

Alors elle s'assit sur le garde-fou, chercha son téléphone dans sa poche et quand elle le trouva enfin, elle but la dernière gorgée d'alcool qu'il restait au fond de la petite bouteille en verre. Elle tapa rapidement un message qui expliquait tout. Elle y disait tout ce qu'elle n'avait jamais dit auparavant, tout ce qui lui faisait mal, tous ses regrets, toutes ses peurs, tout. Elle n'avait plus rien à craindre de toute façon, parce que quand son amie verrait ce message, il serait déjà trop tard. Mais elle lui devait une explication, c'était la seule qui la comprenait à peu près, elle comprendrait pourquoi elle en était arrivée là. Elle serait triste, mais elle ne lui en voudrait pas.

Elle mit enfin le point final à sa longue lettre numérique. Le pouce au-dessus du petit triangle bleu, elle hésita. Devait-elle vraiment faire cela ? Est-ce qu'il ne valait mieux pas partir sans rien dire, sans donner la moindre explication ? Ainsi, ses proches pourraient penser à un éventuel accident. Oui, c'était mieux ainsi. Alors elle verrouilla son téléphone et le rangea dans la poche de son manteau.

Elle ôta ses chaussures, sa veste, son écharpe, son pull, ne gardant sur elle que le strict minimum. Il faisait atrocement froid. Le sol gelé lui brûlait les pieds, chaque bourrasque de vent était une véritable torture, elle avait l'impression que des centaines d'aiguilles entraient dans sa peau et sa chair. Alors elle prit une profonde inspiration, regarda de nouveau autour d'elle pour s'assurer que personne ne l'empêcherait de faire ce qu'elle avait prévu, et enjamba la barrière.

Cramponnée au pont, elle regardait les flots défiler à toute vitesse quelques mètres plus bas. Elle lâcha le pont d'une main. Elle avait peur. Mais la détresse dans laquelle elle se trouvait n'était rien en regard de celle qu'elle vivrait si elle abandonnait. Elle voulut lâcher sa deuxième main, se laisser tomber dans les profondeurs de la Seine, mais par réflexe de survie, elle n'y arrivait pas. Alors elle ferma les yeux, pris une profonde inspiration et desserra un à un ses doigts, jusqu'à ne plus se tenir à rien et tomber dans un silence effroyable.

Le froid était intense, c'était encore pire que lorsqu'elle avait ôté ses vêtements, elle remonta d'instinct à la surface mais le courant la portait déjà loin, la replongeait sous l'eau glaciale. Elle voulait crier, supplier qu'on vienne la chercher. Mais il était trop tard. Il n'y avait personne pour l'aider. Elle avala une première gorgée d'eau en voulant respirer. Puis une seconde. C'était la pire des douleurs jamais endurée. Elle aurait dû faire cela différemment. Elle ne pensait pas souffrir autant. Mais c'était trop tard. Et sa seule pensée fut la même que d'ordinaire.

Si seulement elle avait parlé, alors la fin de cette histoire aurait été bien différente.

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