Paname 3 : Le village de pêcheurs

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 Après la première attaque des drones, Slau avait rappelé Judicaret. Il envoya un transport de troupe pour le ramener, lui et ses hommes. Il le convoqua dans les jardins du palais. Tous deux marchaient dans les allées du parc, suivis à distance par une dizaine de prétoriens pour assurer la sécurité du monarque. Les oiseaux célébraient la fin du printemps. Les bruissements de la rangée de tilleuils répondaient aux clapotements du grand bassin. La douceur des lieux atténua les inquiétudes de l'amiral. Le Messager le chargea de coordonner la création des quatre légions, de s'assurer que la mobilisation générale et la formation des soldats s'effectueraient dans les délais, que les tenues, les transports des troupes, l'armement sortent rapidement des usines.

— Je mets sous vos ordres Mahoré pour organiser la fabrication du matériel et Val Oris pour la mobilisation et la formation. Je vois à votre visage que vous n'approuvez pas ces nominations ?

— Monseigneur, puis-je vous parler franchement ?

— Dites-moi le fond de votre pensée.

— Je sais ce que Mahoré a fait à un petit garçon. Il n'a aucun état d'âme et tuera les ouvriers au travail, ce qui affectera la productivité. Quant à Val Oris, Il tire avant de discuter. Il est brutal et fera régner la terreur, cela ne me semble pas idéal pour gagner le respect des recrues.

— Ces deux hommes ont toutes les qualités pour effectuer efficacement le travail demandé. Il est plus important de produire dans les temps le matériel de guerre que de préserver la vie des ouvriers. Ils sont remplaçables rapidement, pas le matériel. Pour ce qui est des soldats, ils sont enrôlés de force et un système de terreur est de nature à les maintenir dans les rangs. Vous devriez le savoir, on ne dirige pas une armée avec de l'empathie et des sentiments altruistes, mais avec de la fermeté, de la détermination et de la discipline. Puis-je compter sur votre coopération ?

Judicaret laissa planer un moment d'hésitation.

— Vous pouvez compter sur moi, Monseigneur.

— Je vous en remercie. Votre sens de la diplomatie, votre force de persuasion et votre autorité naturelle vous gagneront la confiance des hommes. Votre côté humaniste compensera la brutalité et les excès de Mahoré et de Val Oris.

 Matéo avait envoyé Esprit scanner toute la région.

 Il examinait la table holographique qui détaillait tout le territoire entre le village suspendu et l'archipel composé de six îles déchiquetées et de quelques autres plus petites. La barge miniature qui se déplaçait sur la carte fascinait Gibraltar. Que Esprit parvienne à situer en temps réel leur position sur un hologramme l'impressionnait. Il pointa l'île la plus au nord.

— Je pense que le visionnaire Sôto doit habiter là.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

Il zooma sur un point situé au fond d'un large bras de mer.

— C'est très verdoyant, ce qui doit lui rappeler les bois de son village. De plus, c'est la seule île avec des habitations.

— Bien observé, complimenta Matéo. On est pratiquement au-dessus. Il faut se préparer à atterrir.

— À vos ordres mon capitaine.

 La barge se posa près des constructions. Contrairement à leurs attentes, personne ne vint les accueillir. Un mur végétal entourait le village. Une large entrée munie de torchères accueillait avec ostentation les rares visiteurs. Matéo et ses compagnons n'entendaient pas les bruits habituels d'un village rempli d'activités. L'air lourd s'associait à la chaleur estivale pour créer une atmosphère étrange. Ils prirent l'allée qui serpentait entre les maisons de torchis au toit de chaume envahi par la mousse et les herbes. Seul, le vent du large apportait un peu d'animation dans ce qui semblait être un assemblage de maisons abandonnées.

 Baby tira sur le bras de Matéo et désigna une habitation.

— Attends, on dirait que Baby a entendu quelque chose.

Il frappa à la porte entr'ouverte. Un jeune garçon ouvrit.

— Ya quelqu'un de vivant dans le pays, s'exclama Gibraltar à la cantonade.

— Bonjour. N'aie pas peur.

— Je n'ai pas peur, répondit l'enfant qui fixait Baby de curieuse façon.

— Tu es tout seul ? Où sont tes parents ? demanda Matéo.

— Où est tout le monde ?

— Ils sont tous à la pêche.

Gibraltar trouvait curieux de délaisser ainsi le village.

— Tu peux nous montrer ?

 Quelques centaines de mètres plus loin, le garçon désigna un groupe de femmes, les pieds dans l'eau. Gibraltar prit Baby sur ses épaules et descendit le chemin qui menait à la plage où régnait une grande animation. De la rive, quelques unes tendaient le filet tandis que d'autres le maintenaient en place sur tout le périmètre. Les poissons affolés frétillaient et provoquaient des remous dans l'espace délimité par la senne tendue. Certaines récoltaient les poissons à l'aide d'épuisette et remplissaient les hottes en osier que d'autres portaient. Lorsqu'une hotte était pleine, la porteuse la déposait dans un trou d'eau aménagée à cet effet et en prenait une autre.

 Le travail s'effectuait dans la bonne humeur au rythme d'un chant lancinant. Après un après-midi de chants et de rire, lorsque tous les paniers furent pleins, elles relâchèrent le fillet pour libérer le reste de leur pêche. Les porteuses montèrent vers le village, les paniers sur les épaules. Les autres les suivaient dans un désordre turbulent. Certaines envoyèrent un petit signe de bienvenue. Une matrone aux joues rouges, celle qui avait dirigé la pêche, s'approcha des trois visiteurs.

— Venez ! Suivez-moi !

 Les deux garçons se regardèrent un court instant, surpris, et lui emboîtèrent le pas, gagnés par l'humeur guillerette ambiante. Gibraltar se réjouissait de se retrouver entouré par de magnifiques sirènes encore humides de leur bain. Il se promettait de ne pas laisser passer sa chance cette fois. Au moins ce n'était pas des vestales qui ne pensaient qu'à leur virginité. Il espérait que celles-là accepteraient d'entrer dans des relations sociales normales avec les beaux spécimens d'humanité à son image.

— Veuillez excuser ma curiosité, s'enhardit Matéo. Je ne vois que des femmes. Il n'y a pas d'hommes avec vous ?

— Les hommes sont partis à la pêche plus loin en mer. Ils sont en train de vider leur filet dans les sauvoirs.

 Elle les mena vers un espace couvert, un peu à l'écart des habitations. Des viviers d'eau de mer dont la plupart étaient vides attendaient leurs locataires. Les porteuses y vidèrent le contenu de leur hotte.

— Cette pêche sert à la consommation du village. Nous réalimentons les viviers tous les mois. Le reste du temps, nous entretenons les jardins qui nous fournissent des légumes. Chaque famille se sert selon ses besoins.

— Et les tonneaux, c'est pour les poissons aussi ? Au fait, moi, c'est Gibraltar, mon compagnon s'appelle Matéo et le jeune homme sur mes épaules, c'est Baby.

— Enchantée. Appelez-moi Bégonja.

— Comme la fleur ?!

— En effet, mais ça s'écrit avec un J. Ah oui ! Les tonneaux... Ils vont être rincés et servent à livrer les poissons au village dans les arbres et les légumes au village suspendu. En fait, ils viennent en bateau jusqu'à la rive sud où ils embarquent la marchandise.

 Bégonja les toisa avec un sérieux qui contrastait avec sa bonne bouille toujours souriante, mais la sévérité de son visage ne dura qu'un bref instant.

— J'imagine que vous n'êtes pas venus par hasard ni pour vous ravitailler en poissons.

— En effet, expliqua Matéo. Nous cherchons à joindre le visionnaire Sôto.

— Il est peut-être parti pêcher lui aussi, se hasarda Gibraltar.

— Non, pas du tout ! Il a une maison à l'écart du village. D'habitude, il est avec nous, mais les jours de pêche il préfère se recueillir dans les bois. Il a des relations spéciales avec les arbres et la végétation vous savez. Grâce à ses conseils, nous avons amélioré nos productions. C'est un honneur d'avoir un visionnaire au milieu de nous. Ah ! Voilà mon mari !

Elle fit de grands signes à l'homme qui approchait.

— Erick, cria-t-elle. On a besoin de toi.

 Le marin, un colosse aux larges épaules, bâti pour affronter la mer, s'approchait d'un pas mesuré.

— Que veux-tu, femme ? A-t-on idée de crier comme ça !

— Ces jeunes gens ont besoin de toi. Tu peux les conduire au visionnaire ?

— Suivez-moi !

 À la sortie du village il bifurqua vers le bois. Matéo accéléra l'allure pour se mettre à son niveau afin d'entamer la conversation.

— Heu ! Erick,... la pêche a été bonne ?

— Comme d'habitude.

 Le ton bourru ne découragea le jeune homme.

— Hum... Vous connaissez le visionnaire depuis longtemps ?

— Oui.

 Il s'arrêta à un noyer, mit ses mains en porte-voix et cria d'une voix de stentor.

— Maître Sôto... Tu as de la visite !

 Il se retourna et quitta les visiteurs sur un bonsoir laconique.

— Montez mes amis ! Je vous en prie. Soyez les bienvenus !

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