Baby 4 : Sur le marché

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— Ce pantalon rouge lui va à ravir, nota le vendeur.

— Je suis de votre avis, reconnut Mahoré. Je le prends et le bleu aussi.

— Puis-je vous proposer un haut pour compléter la tenue ?

— Proposez, fit Elyas, bon prince !

 Parmi la panoplie présentée par le vendeur, le capitaine choisit un sweat bleu chiné à capuche à large col croisé. Il jeta son dévolu sur une tunique et sa ceinture.

 Il paya et s'engouffra avec Baby dans la limousine. Les valets rangèrent les paquets dans le coffre et montèrent sur les marche-pieds.

— Le marché, ordonna l'intendant au chauffeur.

 Le véhicule empruntait les larges avenues, mais Baby ne profita guère du spectacle. Depuis qu'il avait perdu la vue, son odorat devenait plus précis, plus sensible. Des effluves florales et d'herbes mouillées parvinrent à ses narines, senteurs typiques de la Ville Haute. Il percevait le doux ronronnement des moteurs, des pas sur le pavé, des conversations plus ou moins lointaines.

 Mahoré le contemplait sans dire un mot. Il admira son beau visage encadré par une magnifique chevelure blond cendré. Le coiffeur-visagiste avait choisi la coupe qui convenait. Une fausse raie permit d'arranger de longues mèches qui descendaient jusque sur le front. L'artisan prit garde de bien dégager les oreilles. L'ensemble formait une heureuse harmonie. Des lunettes noires cachaient sa cécité. Il voulait qu'il soit présentable afin d'en tirer le meilleur prix.

 Le marché se divisait en deux secteurs. Le bas quartier où les enchères concernaient les esclaves de basse condition. Tenue crasseuse, cheveux hirsutes et défauts physiques ne leur permettaient pas d'atteindre des prix élevés. Dans l'attente de leur présentation, ils étaient entassés dans des cellules miteuses où la classe supérieure ne mettait jamais les pieds, préférant envoyer leurs intendants qui préféraient déléguer pour cette tâche ingrate.

 La limousine pénétra dans le quartier supérieur où on procédait à la vente des plus beaux spécimens. Comme vendeurs et acheteurs présentaient des garanties de solvabilité, les propriétaires n'avaient pas à avancer la location d'une chaise à porteur ni d'un groupe de parade dont le but était de créer l'événement et d'attirer l'attention des acheteurs fortunés.

 Pour Baby, Mahoré en attendait le maximum. Il devait négocier le montant de la première enchère. Dans ce but, il prit une parade supérieure. La vente aurait lieu à onze heures. Il jeta un œil sur sa montre.

— Il nous reste deux heures pour valoriser ma marchandise. Alors on se dépêche.

 Le vendeur devait respecter tout un procole très précis. Après avoir habillé Baby des vêtements achetés plus tôt, Mahoré le remit officiellement au commissaire priseur. Celui-ci examina le garçon et montra, d'un pincement des lèvres, son admiration pour la qualité et la beauté du jeune mâle.

— Combien en voulez-vous ? demanda-t-il à Mahoré.

— J'en demande au moins cinquante mille.

— Il les vaut. Cette beauté est rare, sans compter sa jeunesse. Il n'a aucun défaut. Je peux commencer les enchères à dix mille, par tranche de cinq mille. Je ne peux pas aller au-delà du fait de sa cécité.

— Ça me convient.

 Avec beaucoup de précaution, il fit monter le jeune esclave sur la chaise à porteur, l'aida à s'installer dans le fauteuil de velours rouge et l'enveloppa d'un fin lin qui montrait sans trop dévoiler. Les porteurs le soulevèrent. Des danseuses débutèrent au son des tambourins. Les suivantes exécutèrent des figures compliquées avec des foulards jaunes et rouges. Un orchestre joua une musique tonitruante juste devant la chaise à porteur. À l'arrière, des acrobates et des équilibristes précédèrent des majorettes. Enfin la parade de Baby se termina par des tambours et des djembés.

 De leurs loges réparties sur le parcours entre le hangar et la salle de présentation, de riches propriétaires, des commerçants fortunés ou des membres de l'aristocratie observaient et repéraient les lots qui les intéressaient.

 Arrivé sur la place, un commissaire auxiliaire prit Baby en charge avec beaucoup de précaution du fait de sa cécité, pénétra dans le hall de présentation et le dirigea vers la vitrine 4 à la place qui lui revenait sur l'estrade. Immobile dans un coin et prêt à l'aider à satisfaire les désirs des futurs acheteurs, il lui demanda avec beaucoup de doigté de se tenir bien droit et de regarder devant lui sans bouger.

 Un gros homme avec un manteau richement orné d'or et de fils d'argent, s'approcha. Il s'assit sur les fauteuils disposés face à Baby.

— Tu peux enlever tes lunette ?

— Enlève tes lunettes, murmura le commissaire auxiliaire.

 Baby s'exécuta.

— Mais il est aveugle ! s'exclama le client.

— Oui, Monseigneur, confirma le commissaire.

— Choquant ! C'est bien la première fois que je vois de la marchandise avariée sur ce marché, marmonna le gros homme qui ne demanda pas son reste et passa à la vitrine suivante.

— Oh comme il est mignon ! s'exclama une femme vêtue d'une robe près du corps qui accentuait ses bourrelets. Il te plaît mon chéri ?

 Le petit garçon rondouillard acquiesça. Il imagina déjà dans sa tête toutes les misères qu'il allait lui faire subir.

— Je veux bien en parler à ton père mais tu ne l'abimes pas comme la dernière fois. Mon amour, tu peux prendre une option sur le lot numéro quatre ?

 Puis vint un homme assez maigre, d'un âge incertain, portant un sari blanc crème à large col brodé sur un pantalon bleu marine. Il demanda à toucher le visage.

— Sa peau est douce. Montre-moi tes dents. Très bien. Maintenant, tourne-toi.

 Le commissaire aida Baby à tourner sur place. Le chaland l'examina des pieds à la tête. Il admira son corps harmonieux, l'œil avide.

— Il peut enlever ses lunettes ? Il est aveugle ? Très bien ! Ce n'est pas un problème pour moi. Quel est le montant de l'enchère pour ce spécimen ?

— Dix mille ducats, Monseigneur, répondit l'employé des ventes.

— Je peux avoir les coordonnées du propriétaire ?

 Le commissaire lui remit une carte.

— Tu vois ce type près du lot quatre ? commenta Gibraltar.

 Matéo se mit sur la pointe des pieds pour mieux le voir.

— C'est un pédophile connu. Il a violé plusieurs enfants isolés. Il a une sale réputation. Je suis certain qu'il veut acheter le garçon et ce n'est pas pour l'adopter ni pour son bien, crois-moi.

— Que veux-tu qu'on fasse ? On est trop jeunes par participer aux enchères et ils vont se poser des questions, constata Matéo.

— J'en sais rien, mais il faut le sortir de là. Avec lui, il va en baver. J'en connais qui se sont suicidés à cause de tout ce qu'il leur a fait subir. Je ne veux pas qu'il arrive la même chose à ce garçon.

— Si on l'enlevait ?

— Le pédophile ? Pas question, je n'ai pas envie de toucher ce mec.

— Mais non le garçon, rectifia Matéo

— Dans le bas marché, ça peut se faire. Dans le quartier supérieur, n'y pense même pas. Les lots sont super surveillés. Ils représentent beaucoup d'argent. C'est pas sûr que c'est lui qui remportera les enchères. Attendons pour voir. On le lâche pas jusqu'à la vente.

— Je ne le vois plus. Il est parti où ?

— T'inquiète pas ! Tu as remarqué ? Le commissaire lui a remis une carte. Il veut négocier avec le vendeur sans passer par les enchères. L'enfoiré ! Viens avec moi !

 Tous deux se dirigèrent vers la vitrine quatre.

— Ma mère a besoin de compagnie. Tu crois que ce garçon ferait l'affaire ? Pourquoi il porte des lunettes ? Il a les yeux sensibles ?

— Il est aveugle, mes jeunes seigneurs.

— Comment tu t'appelles ? demanda Matéo.

— Il s'appelle Baby, répondit le commissaire.

— Il n'est pas muet au moins ? s'enquit Gibraltar. Aveugle, ça passe, mais un muet comme personne de compagnie...

 Le commissaire demanda à Baby de donner son nom, ce qu'il fit dans un murmure.

— Ah Baby, s'exclama Matéo, j'aime bien ce nom.

 Gibraltar se renseigna sur les enchères et demanda à son tour les coordonnées du propriétaire.

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