Le réseau 1 : Etats d'âme

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 Gibraltar avait vécu une semaine fantastique. En fait il n'avait rien fait d'extraordinaire, seulement avait beaucoup parlé. Max qui semblait très intéressé par l'histoire de sa vie, plus particulièrement le récit sur l'assassinat de ses parents par les sbires du Duc et sur la manière dont le Chef de la sécurité s'était sacrifé pour lui permettre de s'enfuir, avait posé des questions précises et était devenu tout pensif. Le jeune homme ne comprenait pas un tel intérêt pour ce chapitre de son existence mais ne se posait pas de question à ce sujet. Son hôte avait sans doute ses raisons et il ne voyait pas la nécessité de les connaître.

 Il avait passé le reste du temps avec Matéo et apprécié les randonnées en roues qui lui rappelaient leur course échevelée jusqu'au labyrinthe. Les deux jeunes gens étaient tout émoustillés aux souvenirs de leur exploit, ce qui les rapprocha un peu plus. Cependant, passer des heures entières dans la chambre à discuter renforçait davantage l'amitié et la complicité qui les liaient. Max se demandait parfois ce qu'ils pouvaient bien se raconter à longueur de journée mais il n'en saurait jamais rien. C'étaient des discussions et des blagues que seuls des jeunes tout juste sortis de l'adolescence pouvaient débiter. Cela n'avait aucun intérêt à part le plaisir d'être ensemble.

 Oui ! Gibraltar se sentait bien avec Matéo. Il ressentait d'autant plus l'absence de son ami maintenant qu'il se retrouvait à nouveau seul, dans le labyrinthe. Bien entendu il bénéficiait de la bienveillance formelle du conseil. Il reconnaissait des atomes crochus avec certains mais ne trouvait avec personne la complicité qu'il éprouvait avec Matéo.

 Il sombra peu à peu dans la mélancolie. Pour le sortir de son marasme, Montparnasse lui conseilla de trouver une occupation qui lui convenait : les villages avaient besoin d'un coursier, ce qui lui permettait d'utiliser sa roue. Ce service n'existait pas à la création du Réseau. Avec le temps, les conseils avaient de plus en plus besoin d'échanger des missives les uns aux autres. Rapidement, on se mit à apprécier le sérieux et la rapidité de son service. Gibraltar se fit ainsi connaître des villages alentour : Bad Cannstatt, Stadtmitte, Feuersee et Neckarpark. Il se rendit compte par la suite que sa réputation atteignait même Universität ou Osterfeld qui se situaient pourtant à plusieurs stations de Hauptbahnhof.

 Ses activités postales occupaient son esprit et lui permettaient de nouer quelques fidèles amitiés qui ne manquaient jamais l'occasion de l'inviter à manger. Cependant, entre deux courses, une profonde tristesse le gagnait. Il se demandait si Matéo éprouvait les mêmes sentiments.

 Quand il se sentait trop seul, il ne manquait pas de revenir à la falaise. Il imaginait son ami à côté de lui en train de contempler béatement le canyon et les ruines en face. Il poussait de longs soupirs et se demandait pourquoi Matéo lui manquait autant. Il finit par prendre conscience que jusqu'à présent il subissait le poids de la solitude, se sentait abandonné au milieu de ce vaste monde, ne pouvant compter que sur lui-même. En présence de Matéo tout était différent.

 Même s'il était capable de se défendre, son jeune ami semblait si vulnérable, si innocent, et inconscient des dangers de ce monde qu'il était porté tout naturellement à vouloir le protéger. Il avait connu tant d'enfants isolés exploités par les proxénètes ou les marchands d'esclave et abusés par les pédophiles. Il n'était jamais intervenu, trop occupé à se sauvegarder lui-même. Parvenu à l'âge adulte, cette question le tracassait à nouveau. Il ne voulait pas que son compagnon wheeler connaisse un sort similaire. Gibraltar l'aimait comme un frère.

 Pour sortir de sa torpeur, il rendait visite à la mamie et prit aussi l'habitude de passer au marché aux esclaves afin de repérer les enfants mis en vente ainsi que leurs éventuels acquéreurs. Au moins, il passerait le temps et se rendrait utile ! Si un proxénète ou un pédophile participait aux enchères, il interviendrait afin de soustraire ces innocentes victimes à leurs appétits de gain ou de sexe. Les juges ordonnaient un châtiment exemplaire aux redresseurs de tort comme lui qui se permettaient de contester la toute puissance des propriétaires sur leurs esclaves. Seule l'aristocratie avait les moyens d'en acquérir et la loi punissait avec sévérité les fauteurs de troubles qui les empêcheraient de jouir de leurs acquisitions. Personne n'était trop regardant sur la manière dont les esclaves étaient traités par ces riches acquéreurs, souvent amis ou proches du pouvoir en place.

 Le marché se trouvait dans la ville haute. Pour y aller, il passait sous le domicile de Matéo à Pohr et ressortait par la station Goldberg. De là, il accédait à la porte de la Sérénité. Les gardes le laissèrent passer sans trop discuter, le considérant comme un membre de l'aristocratie car aucun résident de la ville basse n'avait les facultés pour acquérir une roue. Gibraltar prenait donc l'air hautain qu'affichait l'aristocratie et qui décourageait toute velléité de le questionner.

 A force d'emprunter le chemin du marché, il finit par frapper au domicile d'un Matéo ravi, ne résistant plus à l'envie de le revoir. Comme l'avis de recherche les concernant avait été annulé, Max consentit à leurs escapades dans la ville haute. Esprit matérialisa toute une garde robe adoptée par les jeunes aristocrates. Ils devinrent connus des commissaires du marché des esclaves qui trouvaient curieuses leurs présences réitérées mais considéraient que c'était sans doute la nouvelle lubie d'une jeunesse fortunée et oisive qui venait faire du lèche-vitrine.

 Ainsi, les deux amis passèrent beaucoup de temps ensemble, ce qui leur convenait sans l'ombre d'un doute. Les passants se demandaient à quelles grandes familles appartenaient ces deux jeunes hommes qui prenaient bien du plaisir à arpenter les vastes avenues de la citée ducale sur leur drôle d'engin. Aussi, on vit de plus en plus de jeunes adopter ce moyen de locomotion. Les employés du marché des esclaves appréciaient leur gentillesse et leur simplicité qu'ils comparaient à l'habituelle arrogance des enfants de l'aristocratie. Ils ne manquaient pas de leur adresser un bonjour fort peu protocolaire que les deux amis leur retournaient avec chaleur. Il n'oubliait pas pour autant la mamie. Il demanda à Matéo de matérialiser une somme conséquente qu'il remit à la vieille dame pour combler tous ses besoins et au-delà pour le restant de ses jours.

 Les absences de Gibraltar étonnaient les responsables de quartier au Labyrinthe, mais comme ce dernier s'acquittait avec rigueur des missives qui lui étaient confiées et que son caractère devenait plus enjoué, ils ne s'en formalisèrent pas plus qu'il n'en fallait. À vrai dire, l'équilibre entre sa vie professionnelle et privée commençait même à le rendre heureux pour la première fois de sa vie.

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