Le sanctuaire 2 : Le messager

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Les rayons de soleil n'avaient pas encore absorbé la rosée qui perlaient sur l'ensemble du jardin. Les trois garçons avaient dormi à la belle étoile, bercés par le doux bruissement de l'eau. Gibraltar commençait à s'agiter dans son sommeil, prêt à émerger. Il sentit une masse qui l'écrasait et essaya en vain de s'en dégager.

— Baby, pousse-toi, tu m'écrases.

Il ouvrit les yeux et poussa un cri de stupéfaction, ce qui réveilla Matéo.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Il y a un lion, là !

— Il est gentil, il ne te fera pas de mal.

— Baby a raison. Que veux-tu qu'il t'arrive ? On est dans le sanctuaire.

— On est dans le sanctuaire, le singea Gibraltar. Je n'ai pas envie de lui servir de petit déjeuner.

— S'il avait voulu te manger, ce serait fait depuis longtemps. Dans le sanctuaire, rien de mauvais ne peut t'arriver.

— D'abord, qu'est-ce qui me prouve qu'on est dans le sanctuaire et pas seulement dans une belle région ?

Cette réflexion rappela à Matéo une conversation qu'il eut jadis.

— Au village sur pilotis, j'ai bavardé avec une vieille femme dans son sampan. Elle avait pris le visage de Baby entre ses mains. Elle avait dit... Attends que je m'en souvienne. Elle avait dit : "Quand vous atteindrez le sanctuaire, alors il le verra". Je n'avais pas fait attention sur le coup, mais maintenant tout est clair. Nous sommes bien au sanctuaire puisque Baby a recouvré la vue.

— Touche le Gibraltar, il ne te fera aucun mal.

Il passa de longues minutes à s'amuser avec le lion, à se rouler dans l'herbe et à courir, l'invitant à le suivre. A un moment, le félin le fit tomber en posant ses deux grosses pattes sur ses épaules, debout sur ses pattes arrière. Il eut un doute vite dissipé et s'aperçut de l'intention amicale de l'animal. Bientôt, toute une troupe de femelles accompagnées d'adorables lionceaux vint partager leurs jeux.

Gibraltar ne pensait pas qu'il soit aussi épuisant de jouer avec ces grosses bêtes. À sa décharge, c'était la première fois qu'il s'adonnait à ce genre de divertissement. Le bruit d'une chute d'eau lui suggéra de prendre un bon bain. Avec ses compagnons, il longea la rivière sur une centaine de mètres et découvrit que l'eau se déversait dans une gigantesque marmite de géant qui, en l'occurrence, portait bien son nom. Il sautèrent avec des cris de joie dans le bassin quelques mètres plus bas. Une famille de tigres vint partager leurs ablutions matinales au milieu de leurs vociférations, éclats de voix et stridulations de contentement. À n'en pas douter, le sanctuaire n'avait pas connu depuis longtemps pareille animation.

Après ces moments de détente, le calme revint. Les tigres, après s'être ébroués à la sortie de l'eau, accompagnèrent les humains un bout de chemin et se couchèrent pour profiter de la chaleur du soleil. Les trois humains se délectèrent de quelques fruits et de la quiétude retrouvée.

— Quel beau pays ! s'exclama Gibraltar. Mais ce n'est pas que la beauté. On se sent si bien, tellement en sécurité. Ce pays dispense le bien-être et le bonheur.

— Il génère en nous des pensées positives. On en oublie même les choses mauvaises qu'on a subies. Regarde Baby, il semble que le sanctuaire a guéri toutes ses blessures et je ne parle pas de sa cécité.

— Et toi ? Je veux dire tes cauchemars.

— À l'extérieur, j'étais parvenu sans peine à contrer les attaques de Slau. Ici, il ne peut m'atteindre. J'ai reçu plein de bonnes choses de mon père. Il m'a demandé de venir le voir. Mais je ne sais pas où aller. Au fait, tu as vu Baby ?

— T'inquiète ! Il ne risque rien. Il joue avec les tigrons.

— J'oublie parfois qu'il n'est plus aveugle. On l'a toujours connu ainsi. Il faudrait qu'il nous raconte un jour ce qui s'est passé exactement avec Mahoré.

— Je ne suis pas sûr de vouloir l'entendre.

Ils se mirent sur le dos, le regard tourné vers le ciel. Deux écureuils se poursuivaient d'arbre en arbre sous le piaillement d'innombrables espèces d'oiseaux. Un guépard se prélassait sur une branche, les pattes pendantes. La rosée s'évaporait, emportant des senteurs d'herbes humides.

— Tu te rappelles nos escapades dans le labyrinthe ? Et ce tunnel effondré où on a passé des heures, allongés à contempler les falaises en face ? J'ai l'impression que c'était dans une autre vie.

Matéo s'en souvenait. Comment pouvait-il oublier ces bons moments ?

— Tu crois qu'on peut être heureux dans le monde à l'extérieur ? Je veux dire tous les humains.

— Ce n'est pas une chose que le Shiloh doit nous apprendre ?

Cette question laissa Matéo tout pensif. Il écoutait les rires cristallins de Baby et les petits grognements que tigrons et lionceaux poussaient dans leurs ébats. Il comprit que le bonheur consistait à apprécier les petites joies simples de chaque jour, à vivre en paix avec son environnement et les créatures qui le peuplaient, avec ses semblables et, en fin de compte, avec soi-même. Une évidence s'imposait à lui : la coopération, l'amitié et des relations fraternelles devraient animer chaque habitant de la terre. Le bonheur était individuel mais avait une dimension collective. Il ne pouvait s'apprécier seul mais en compagnie harmonieuse des autres.

Il se surprit du sérieux de ses pensées, mais c'était l'enseignement qu'il tirait du sanctuaire. Il réfléchissait au moyen de le transmettre à ses semblables, comme le suggérait Gibraltar, sans dogmatisme ni leur dicter leur conduite.

Des battements d'ailes mêlés à des hennissements parvinrent à ses oreilles. Deux aigles royaux atterrirent avec grâce tandis qu'une zébrelle et son petit s'approchèrent d'une allure élégante. Tous quatre se dirigèrent vers la rivière. Baby, curieux, accourut tout joyeux.

— Je pourrais monter le petit cheval ?

Matéo admirait l'élégance de ces magnifiques créatures qui, de temps en temps, étiraient leurs ailes sous le regard admiratif des spectateurs.

— Je pense que c'est à eux de le décider, répondit le jeune homme sans les quitter des yeux.

Baby s'approcha du zébreau qui se laissa monter et caressa sa crinière soyeuse pour le remercier.

— Matéo, Gibraltar, regardez ! Youpi !

Son enthousiasme finit dans un cri et il se retrouva à terre.

L'animal se dirigea vers son petit cavalier et frotta la tête contre sa joue, comme pour s'excuser de sa chute. Baby grimpa à nouveau sur le petit zèbre qui poussa un juvénile hennissement. Puis, la mère rappela son petit.

— Regardez, s'écria Baby.

Des lumières perçaient à travers la cime des arbres. Elles envelopèrent les trois garçons dans une bulle bleutée. À l'intérieur, les parois avaient la même consistance que le dôme qui les avait protégés de l'incendie dans la forêt. Le sol avait l'aspect de nuages. La pesanteur y avait disparu car les corps flottaient librement. Baby s'amusait à exécuter des galipettes sous le regard atendri de ses compagnons.

Vu de haut, le magnifique jardin continuait à combler les yeux. L'eau omniprésente paressait dans les lacs tranquilles, plongeait en cascades aux pieds vaporeux ou chantait la douceur de vivre entre les rochers moussus. Là-bas, des créatures quittaient leur falaise et planaient vers eux. Des aigles, curieux, déployant leurs ailes monumentales, décidèrent de les accompagner. Gibraltar s'émerveillait de leur maîtrise de l'air, luer manière d'utiliser les courants ascendants, de procéader aux infimes ajustements pour profiter d'un maximum de portance pour bénéficier d'un vol sans fatigue.

Puis les bulles entamèrent la descente vers une forêt de séquoias. Après avoir déposé leurs passagers, elles disparurent à la manière d'un bulle de savon irisée qui éclate, laissant quelques étincelles vite dissipées. Un mélange d’odeurs flattait leurs narines, subtile association de sève, d'effluves de terres humides et de senteurs florales. Tous ces parfums étaient un enchantement qui incitaient à remplir ses poumons. Les mousses épaisses maintenaient la terre humide et favorisaient une luxuriance aux verts éclatants. La végétation parsemait le sol d'une mitraille de fleurs multicolores.

Seul le bruissement de la brise dans les feuillages, l'élégant tintamarre d'une cascade lointaine et le pépiement des oiseaux participaient harmonieusement à la sérénité du lieu. C'était un enchantement pour les sens. Toutes ces magnificences, dans leur simplicité, touchaient les trois voyageurs et semblaient faire remonter ce qu'il y avait de meilleur en eux.

Les titans aux troncs gigantesques qui les dominaient de toute leur masse et leur hauteur inspiraient le respect. Les trois visiteurs se sentaient tout petits à côté de la puissance qu'ils dégageaient. Le sanctuaire leur apprenait l'humilité pour les préparer à la rencontre sur le point de se produire. Une lumière intense s'approcha du petit groupe et les enveloppa. Gibraltar et Baby reconnurent le messager. Il dégageait une telle énergie que la luminosité ne leur permit de discerner que le contour de la puissante créature. La même puissance émanait de Matéo qui devint comme l'astre du jour.

Cette scène lui rappela une autre, celle où Esprit reconnut son ami comme son propriétaire légitime et que ce dernier commençait à luire comme le soleil. Saisi de crainte face à cette manifestation extraordinaire, il s'agenouilla, imité par Baby. Le messager, présent en personne s'adressait à eux d'une voix douce et bienveillante.

— Je vous remercie, Gibraltar et Baby d'avoir accompagné mon fils pendant sa quête et partagé ses vicissitudes. Soyez bénis. je vous accorderai une grande autorité ainsi qu'une longue vie. Je comblerai les désirs de votre cœur et même au-delà.

L'énergie venant du messager s'intensifia en des explosions d'étoiles. Une tempête de feu tourbillonna autour d'eux, accompagnée de hurlements de cataclysme. Ils se baissèrent, la tête entre les bras, se soumettant à la puissance qui se déchaînait. Quelques secondes plus tard, le messager disparut : le calme régna à nouveau.

Gibraltar sentit une main se poser sur son épaule. Il se redressa et aperçut Matéo. Encore sous l'effet de l'émotion, il se prosterna devant son compagnon.

— C'est terminé. Ne te prosterne pas devant moi s'il te plaît. Je ne suis qu'un être humain comme toi. Baby, relève-toi !

Il fit ce qu'il put pour réconforter son ami, l'assurer de son amitié et lui faire comprendre que rien n'avait changé entre eux. Baby, pour sa part, ne semblait nullement perturbé dans sa relation avec Matéo.

— Je vous ai vu comme...

— T'ai vu.

— Je... t'ai vu comme le messager, avec ce qui ressemblait à des ailes dans ton dos.

— C'était juste une manière de dire que je suis le fils du messager.

— Si tu es le fils du messager, alors tu es toi-même un messager ?

— C'est exact.

— Comment se fait-il que tu sois né d'une mère humaine et que tu n'aies pas matérialisé un corps de chair pour y habiter dedans comme l'a fait Slau et comme tu l'as fait sur la montagne ?

— Je ne sais pas. Mon père veut me parler en privé. Je dois le rejoindre. Il m'expliquera certainement tout cela et bien d'autres choses me concernant.

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