Le voyage 1 : Les dômes du tonnerre

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La barge filait plein sud en mode automatique. Baby s'étirait sur le canapé en velours bleu roi, la tête sur les genoux de Lina. Gibraltar s'était accoudé au bastingage tandis que Matéo se perdait dans ses pensées.

Il éprouvait une certaine inquiétude à s'enfuir en laissant tout le village aux mains des soldats. Mais la raison lui dictait que rester avec ses amis ne changerait pas leur sort et qu'il devait avant tout retrouver son père. En tant que le Shiloh annoncé, il pouvait aider tous ces gens et ne s'éloignait que pour mieux préparer son retour.

Les cartes laissaient présager la traversée de terres désolées ou désertiques. Une grande partie de ce qui fut la France se trouvait immergée. Seules les montagnes à l'intérieur des terres sortaient la tête de l'eau : le plateau de Langres, le Massif central, les Vosges et le jura. Les anciens villages de Châteauroux, d'Angoulême, de Toulouse, de Carcassonne, Montpellier, Nîmes, Avignon, Marseille avaient été submergés. L'Espagne et les Monts Atanary formaient une île séparée du reste du continent par un étroit chenal.

Matéo soupira bruyamment. Il ne s'expliquait pas la tristesse qui l'assaillait. Il quittait des territoires connus, les amis et une vie parfois mouvementée mais paisible dans l'ensemble pour foncer droit vers des contrées inexplorées. Il ne pouvait compter que sur lui-même avec des soldats à ses trousses. C'était une course contre le temps. Si ses poursuivants le rattrapaient, une fin terrible leur était réservée, à lui et à ses compagnons et c'en serait fait du Shiloh, l'espoir de ceux qui aspiraient à un monde meilleur. S'il parvenait à atteindre le sanctuaire, son retour signifierait la fin de l'oppression.

La barge survolait à présent une 'île tout en longueur, les sommets des collines séparant les anciens villages de Sens, Troyes et Saint Florentin. Il rejoignit Gibraltar.

— Qu'est-ce que tu regardes ?

— Je regarde si je peux apercevoir des villages sous la surface de l'eau.

Le silence s'installa à nouveau entre eux. Piqué par la curiosité, Matéo chercha des silhouettes dans l'étendue marine mais ne vit rien qui en valait la peine. Aucune trace de vie non plus sur la bande de terre qu'il laissait derrière lui. Devant se dressait une côte déchiquetée composée de fjords qui pénétraient loin dans les terres.

Le déplacement de l'engin agitait les chevelures, frappait les vêtements, mais apportait une fraîcheur bienvenue. Juillet traînait dans son sillage la canicule redoutée. Les activités humaines avaient provoqué la fonte des pôles, perturbé les courants marins qui réglaient le climat et installé pour des siècles dans les zones autrefois tempérées des étés torrides et des hivers rigoureux.

Le paysage qui s'étalait sous leurs pieds ne souffrait pas encore du manque d'eau. Le réseau hydraulique du plateau de Langres qu'ils survolaient arrosait avec générosité la végétation dont le vert éclatant se mêlait aux corniches érodées des cuestas. Gibraltar appréciait la douceur qui s'en dégageait.

— Regarde ! s'exclama-t-il. Tout est en rondeur. Il n'y a rien d'agressif. Le regard porte loin. On ne peut détacher les yeux de cette force tranquille.

— Tu deviens lyrique on dirait.

— Tu sais, dans le labyrinthe, l'espace est réduit. On a toujours un mur à quelques mètres. En surface, il y a les murailles qui limitent la vue et les choses sont faites de telle manière qu'on est obligé de se cacher dans des trous à rats si on veut survivre et échapper aux gardes.

— Tu as raison. Avec tout ce que j'ai vu au cours de notre voyage, Je constate que la nature nous offre tout ce qu'il faut pour vivre heureux.

— Superbe la région ! On pourrait s'y implanter.

— Nous le ferons, Gibraltar. Nous le ferons, mais pas maintenant. Quand nous atteindrons le sanctuaire et que j'aurai vu mon père, nous reviendrons et nous réaliserons de grandes choses.

— Je ne veux pas de grandes choses. Je veux juste être heureux.

— Le bonheur n'est-il pas une grande chose en soi ?

Gibraltar fixa longuement son ami. Il le reconnaissait à peine. Il prenait conscience que sa métamorphose ne fut si rapide que parce qu'elle ne faisait que dévoiler ce qui existait déjà en lui, sa nature profonde qui se révélait avec plus d'évidence chaque jour.

Loin derrière, les dix drones suivaient les fugitifs par bonds successifs de cuesta en cuesta, invisibles et hors de portée de leur scanneur. Un bip résonna dans l'habitacle et Mahoré alluma l'intercom.

— Dites-moi qu'ils ont quitté le village de Paname.

— En effet, Monseigneur ! Nous les suivons avec toute la discrétion voulue.

— Parfait ! Où êtes-vous !

— Nous sommes au-dessus d'un plateau qui précède les Dômes du Tonnerre. Le soir tombe. Ils vont certainement bivouaquer pour la nuit.

Slau s'inquiéta de la bonne progression de Matéo. L'empêcher d'atteindre le sanctuaire devenait une priorité. L'urgence de la situation imposait une action rapide et déterminée.

— Bon travail Mahoré ! Dans deux jours, il atteindra les Monts Atanary. Je vous rejoins. Voici ce que vous allez faire !

Lorsque le jour baissa, la barge atteignit le champ de lave des Dômes du Tonnerre. Les ancêtres appelaient cette région Massif Central. Le Grand Chaos avait réveillé les volcans endormis depuis des millénaires. Des millions de kilomètres cubes de magma recouvrirent le paysage autrefois verdoyant d'un manteau noirâtre. Des cônes s'élevèrent jusqu'à trois mille mètres et formèrent une chaîne qui s'étendait jusqu'aux dunes de Takamaka au sud.

Matéo repéra un tunnel de lave et Gibraltar y dissimula le véhicule. Lina prenait soin de Baby et l'aidait dans ses déplacements sous le regard attendri des deux jeunes hommes. Elle avait gagné leur confiance et porté son affection sur l'enfant. Sa mission ne lui importerait plus si le sort de son père ne cessait de hanter son esprit. Ce dilemme la tourmentait à chaque instant. Même lorsque Matéo matérialisa un braséro, elle ne put se résoudre à l'abandonner. Non seulement, la jeune fille devait trahir ceux qui s'étaient montrés bons pour elle mais... le Shiloh en personne. Un frisson la parcourut à cette pensée.

Gibraltar constatait la tristesse qui marquait son visage, mais il avait mis cela sur le compte des sévices qu'elle avait endurés et il ne l'interrogea pas à ce sujet.

Une alarme retentit. Le scanneur indiquait dix drones en approche. Les deux hommes se précipitèrent à l'extérieur et se positionnèrent à l'entrée du tunnel. Les drones s'immobilisèrent loin. L'un d'eux s'approcha et atterrit à une centaine de mètres. Mahoré se dirigea vers eux, agitant un drapeau blanc.

— Ce n'est pas après vous que j'en ai. Livrez-moi la jeune fille et on en restera là.

— Que lui voulez-vous ? répliqua Gibraltar.

Mahoré éleva la voix.

— Lina, écoute-moi ! Je ne te veux aucun mal. Tiens tes promesses et tout ira bien. C'est ta dernière chance. Sinon, tu peux te cacher jusque dans le centre de la terre, je saurai t'atteindre d'une manière ou d'une autre.

Après le départ de Mahoré, la jeune fille restait toute tremblante et sous les questions de ses deux compagnons, ne put qu'éclater en sanglots.

— C'est bizarre qu'il n'ait pas demandé après Baby, remarqua Gibraltar.

— Je me demande pourquoi il s'en prend à Lina. La pauvre ! Elle est encore sous le choc. Quand elle ira mieux, elle nous expliquera.

Le lendemain, ils traversèrent un paysage de désolation qui contrastait avec la beauté champêtre du plateau de Langres. Des champs de lave s'étiraient à perte de vue où une maigre végétation parvenait avec peine à trouver sa place même après trois cents années de calme. Cependant, cette désolation dévoilait avec panache des lacs au bleu profond, des champs colorés de soufre par où les entrailles de la terre éjectaient ses gaz toxiques. Les geysers projetaient à intervalles réguliers, comme une expiration, le trop plein de ses vapeurs sous pression. Les Dômes du Tonnerre, peintres talentueux, respiraient tel un monstre endormi.

Pendant toute la journée, Lina resta prostrée. Baby tenta de la consoler comme il put, mais rien ne réussit à la sortir de sa torpeur. En réalité, elle avait pris sa décision et en éprouvait de la honte et un profond dégoût. Même si son sort demeurait problématique, au moins, son père serait sauf. Après ce qu'elle s'apprêtait à faire, elle ne méritait pas de vivre. Ce n'était pas la meilleure décision, mais la moins mauvaise.

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