Baby 3 : Seul

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Seul ! Baby se sentait très seul. Il occupait la cellule où sa mère avait passé une nuit terrible. Heureusement, il l'ignorait. Il lava ses mains couvertes de sang mais refusa de se changer. Le garçon ramena les genoux à la poitrine et dans cette position pensa longuement à sa mère.

 Il se sentait seul également parce qu'il n'avait plus aucun repère, perdu dans ce vaste monde, sans personne à qui donner la main.

 Le lieutenant vint lui porter un plateau repas mais il n'y toucha pas, encore trop effarouché pour accepter de s'alimenter, tel un jeune animal qu'on venait de capturer. Il essaya de se raisonner et de voir le côté positif des pires situations, comme le lui avait enseigné sa mère dans les moments difficiles. Avec vaillance, le petit orphelin s'efforçait de faire le deuil de sa maman, le deuil de sa vie d'avant. Quant à son avenir, son âge ne lui permettait pas de voir plus loin que le prochain pas qu'il allait placer devant lui. Il ne réalisait pas encore tout ce qui lui arrivait, comme anesthésié. Sa jeune conscience lui indiquait que plus jamais il ne reverrait sa mère. Assister à sa sanglante exécution avait provoqué un traumatisme terrible qui le marquerait au plus profond de son être.

 Le Directeur général le laissait vivre non par pitié mais afin qu'il connaisse une vie de souffrances et de frustrations. Aucun malheur que connaîtrait Baby n'étancherait sa soif de vengeance, n'atteindrait les limites de sa volonté de provoquer la souffrance. Il perdait toute mesure. La haine le contrôlait, lui ôtait toute pitié, toute compassion, toute empathie, le manipulait jusqu'à en perdre la raison : elle était en train de le déshumaniser.

 Felipé Phasma ne s'expliquait pas l'acharnement de Mahoré contre ce garçon sans défense. Comme promis, le capitaine revint en tout début d'après-midi avec une malette et demanda qu'on lui amène Baby, mais le lieutenant s'interposa.

— Qu'est-ce que tu lui veux encore ? Tu ne lui as pas fait assez de mal comme ça ?

— Ce ne sont pas tes affaires, déclara Mahoré. J'ai mes raisons.

— Quelles raisons ? rétorqua Felipe. J'ai bien reconnu la femme que tu voulais. Elle a refusé tes avances et tu n'as pas supporté, c'est ça ?

— Attention ! Tu es sur un terrain glissant.

 Elyas sortit son pistolet.

— Je ne le répéterai pas. Dégage de mon chemin... Très bien !... Tant pis pour toi !

 Il tira et le lieutenant s'écroula, tétanisé par le jet électromagnétique.

— Mettez-le aux arrêts de rigueur, ordonna le capitaine. Sortez le sauvageon. Vous deux, prenez une table d'inquisition, celle avec des sangles pour la tête et suivez-moi.

 Il sortit, contourna la bâtisse par la gauche, grimpa le talus et accéda au toit végétalisé. Il choisit un emplacement stable où poser la table. Le soleil au zénith dardait ses rayons avec vivacité. Il s'assura qu'aucun nuage ne viendrait perturber ses projets.

—Installez le gosse sur la table, ordonna-t-il.

 Baby, sentant qu'on ne lui voulait pas que du bien, se débattit en se tordant dans tous les sens. Les deux gardes l'immobilisèrent avec peine. Mahoré glissa sa tête dans le casque fixé à la table, serra la sangle sur le front pendant que les soldats lui attachaient les bras et les jambes. L'enfant se cambra, tirant avec l'énergie du désespoir sur ses liens. Le soleil l'éblouissait : il cligna des yeux. Il vit la tête à l'envers du capitaine lui cacher l'astre du jour. Celui-ci ouvrit la malette et sortit un écarteur de paupière, puis un second. Il les fixèrent sur les yeux de l'enfant, l'empêchant de cligner des paupières et l'obligeant à regarder l'intense rayonnement solaire.

 Après avoir renvoyé les deux gardes, Elyas Mahoré se pencha sur le visage gracieux et, comme il avait fait avec sa mère, lui murmura à l'oreille :

— Mon petit biquet, toi, tu aimes bien lancer des pierres sur les gens avec ta fronde. Je te promets que tu ne le feras plus jamais. Tu vas comprendre, sale gosse.

 Baby se tordit dans tous les sens et voulut le griffer mais les sangles l'en empêchèrent.

— Tu es le digne fils de ta mère, une vraie harpie.

 Il se retira d'un mouvement brusque et la lumière vint frapper brutalement les globes oculaires du garçon.

 Le disque incandescent du soleil s'imposa à ses yeux. L'enfant les bougea, mais ne parvint pas à se dérober à la puissance lumineuse de l'astre. Il commença à éprouver l'inconfort de ne pouvoir cligner des paupières : un picotement agaçant dû à l'échauffement et au dessèchement de la cornée ainsi que de tout l'intérieur de l'œil. La chaleur peu à peu se transforma en brûlure. La douleur se fit plus intense, ce qui le fit gémir puis hurler. Bientôt tout le camp se remplit du hurlement désespéré d'un louveteau pris au piège des hommes.

 Il tenta encore une fois d'échapper à ses liens, sans succès. Il ne vit plus qu'un éblouissement, la cornée et le cristallin brûlés par l'ardente luminosité. La souffrance devint encore plus intense quand la rétine fut atteinte. Le feu détruisit le nerf optique. Ses yeux devinrent des chaudières incandescentes. Son épouvantable supplice cessa seulement quand il perdit connaissance.

 Lorsqu'il reprit conscience, un soldat étalait de la crème pour apaiser les rougeurs de son visage. Il ne voyait rien à l'exception d'une grande tâche lumineuse, résurgence du disque igné du soleil. Il tâta le matelas et le trouva confortable. Il tendit le bras pour décrouvrir son environnement.

— Bonjour Baby, je m'appelle Arthur. Je suis infirmier. Tu es à l'hôpital du camp Ouest. Le Directeur m'a demandé de te soigner. Je mets de la crème hydratante sur ton visage. Tu as attrappé un sacré coup de soleil.

 Son supplice l'avait épuisé. Il ferma les yeux et se contenta d'apprécier les soins que le soldat lui prodiguait. Il se remémora le visage bienveillant de sa mère. Cette image familière le rassura. Il s'endormit et vécut des rêves paisibles comme si sa mère, au-delà de la mort, continuait de veiller sur lui et de le câliner.

 Le soldat disposa des gazes impégnées de tromaline quand une voix feutrée interrompit ses soins.

— Bonjour soldat, murmura Mahoré. Comment va-t-il ?

— Mal. Ses yeux sont totalement brûlés. Il ne recouvrera pas la vue.

— Ça, je le sais. Je parle de son visage. Dans combien de temps, il retrouvera son aspect d'avant ?

— Dans une petite semaine tout au plus. Il a une solide constitution et il réagit bien au traitement.

— Parfait, conclut Elyas. Prenez bien soin de lui.

— À vos ordres, s'étonna le soldat qui le regarda partir d'un pas assuré.

 En effet, Arthur ne comprenait pas son détachement sur l'état des yeux du malade et son intérêt sur une affection somme toute mineure qu'était le coup de soleil sur le visage. Décidément, le monde dans lequel évoluaient les chefs ne se réglait pas sur les mêmes valeurs que celui d'un simple soldat. Il haussa les épaules et retourna à son jeune malade.

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