Le Réseau 5 : Dératisation

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 Pendant que Matéo et ses compagnons se dirigeaient vers leur lieu de détention, un officier vint chercher Slau. La garde prétorienne lui fit une haie d'honneur. Il ordonna de commencer la dératisation. Les lance-flammes entrèrent en action à la stupéfaction des prisonniers.

— Vous avez dit que vous ne dératiserez pas notre village, s'insurgea Montparnasse.

 Le Messager s'approcha du Conseiller.

— Vous trouvez que je suis injuste à votre égard ? répondit-il sur un ton menaçant.

 Il préféra ne pas répondre et baissa la tête afin d'éviter d'autres malheurs à ce village.

 Les gardes commencèrent à sélectionner les jeunes hommes de vingt à trente ans et les enfermèrent dans la salle de délibération. Cette opération terminée, ils les firent sortir et embarquer dans les transports de troupe sous la surveillance des soldats.

 Les vieillards et les enfants furent ensuite mis à part. On mit les chaînes au cou de ceux qui restaient, ce qui prit deux heures. Ils formèrent des colonnes de cent sur deux rangées qui quittèrent le labyrinthe par la sortie principale de la station Hauptbahnhof. Commençait alors la longue marche vers les unités de fabrication où des baraquements avaient été aménagés à leur intention.

 Pendant ce temps, les soldats parcouraient les trois niveaux du village et commençaient à brûler les bangas au lance-flammes. Le feu prenait avec d'autant plus de facilité que la plupart était en bois. Ils ne s'assuraient pas que les habitations étaient vides et ceux qui en sortaient pour échapper à l'incendie qui ravageait leur demeure étaient accueillis avec des jets de feu.

 Au niveau supérieur, les prisonniers commençaient à entendre les crépitements des flammes et les cris des brûlés. Ce fut encore pire quand ils dératisaient le niveau suivant. Ils commençaient à sentir la chaleur qui envahissait tout l'espace. La fumée roulait sur les plafonds, ruisseau se précipitant vers les bouches d'aération. Des cendres chaudes retombaient sur les survivants, transformant chaque corps en sombres silhouettes.

 Puis ce fut le tour du dernier niveau. La place du village ne tarda pas à se peupler d'ombres dansantes que l'incendie manipulait. La chaleur devint intense et chacun assista, impuissant, à la destruction de ses biens.

 Bientôt, l'électricité manqua. Les brasiers provoquaient de lugubres clairs-obscurs dansants qui agressaient les yeux et détruisaient tout espoir.

 Les systèmes de sécurité enclenchés par la fumée hurlaient au milieu de l'agitation générale. Les gardes finissaient la dernière chaîne de prisonniers. La silhouette élancée de Slau se détacha sur l'incandescence de la fournaise pendant que les dernières chaînes de prisonniers étaient évacuées. Il resta pour assister à la mise à mort des enfants et des vieillards dont les cadavres furent jetés dans les flammes. Le Messager venait de transformer un lieu paisible en enfer.

 Montparnasse jeta un dernier regard au village méconnaissable. Les reflets de l'incendie se répercutaient dans les couloirs centenaires. Il reçut un léger coup de cravache.

— Avance au lieu de regarder derrière, ordonna un grand gaillard.

Au loin, le soleil couchant jetait ses derniers feux comme s'il voulait participer aux drames qui se jouaient sous terre. La nuit recouvrit le ciel d'un noir manteau pour éteindre les flammes qui ravageaient l'horizon. Les drones allumèrent leurs projecteurs tandis qu'une pluie fine pénétrait les vêtements et les chairs avec la ferme volonté de noyer l'incendie qui persistait dans les esprits.

 Les gardes criaient des ordres pour accélérer l'allure. Ils longèrent le rempart sur plusieurs kilomètres par le secteur ouest. Un vaste camp illuminé apparut après plus d'une heure de marche. Montparnasse reconnut les baraquements alignés sur l'un des grands côté d'une place centrale. A droite de l'entrée, des maisons pour les gardes et plus au fond les habitations des contremaîtres. Sur le côté gauche les résidences des officiers et des ingénieurs avec leur jardinet. Tout au fond, les ateliers de fabrication. Des bâtisses à l'architectures plus modernes servaient aux loisirs du personnel.

 L'ensemble était clôturé par un double grillage de dix mètres de haut bardé de barbelé séparé par un chemin de ronde de six mètres de large. Des drones y circulaient tandis que d'autres effectuaient leurs farandoles incessantes à l'intérieur du camp. Enfin, en matière de sécurité et de punition, un chenil abritait des dizaines de serpents à plumes attenant aux salles prévues pour les interrogatoires ou la mise à l'isolement.

 Chaque colonne s'arrêta devant un baraquement. Deux officiers les attendaient sur les marches. Sur leur ordre, les gardes retirèrent les entraves des cous endoloris. Après quoi, les prisonniers purent entrer dans leur lieu de vie. Des lits doubles s'alignaient sur trois murs, cinquante au total. Des tables garnies de leurs bancs étaient disposées au centre. Des chauffages électriques s'intercalaient entre certains lits.

 L'ensemble présentait bien et offrait un confort que beaucoup des résidents de la ville basse ne bénéficiaient pas. Montparnasse choisit un lit du fond où l'attendaient une couverture, un oreiller et des vêtements de travail.

 Un officier entra et demanda le silence.

— Messieurs, Mesdames. Je vous souhaite la bienvenue dans le camp OUEST. Lorqu'un officier pénètre dans votre lieu de vie, vous devrez cesser toute activité et vous tenir debout au pied de votre lit. C'est la première et la dernière fois que je vous rappelle cette règle. Tout manquement sera sanctionné par dix coups de fouets. Demain, l'officier responsable de votre bâtiment vous expliquera le règlement intérieur qui est afffiché sur le tableau derrière moi.

 Vous recevrez une formation pour travailler aux ateliers. Vous avez la chance et l'honneur de participer ainsi aux efforts de guerre décidés par notre Suprême Leader qui veut pacifier l'ensemble des terres habitées afin d'instaurer un monde de paix et de justice. Dès que cette œuvre sera achevée, vous retrouverez votre liberté. Je vous souhaite une bonne nuit. Que le Messager vous accorde sa bénédiction.

 Malgré l'épuisement, Montparnasse ne parvint pas à trouver le sommeil. Il repensa aux bouleversements dramatiques de cette terrible journée : la destruction du village, l'enrôlement de force des jeunes dans l'armée, la mise aux travaux forcés et ce camp épouvantable, symbole de leur aliénation. L'avenir s'annonçait sombre. Ses pensées se tournaient vers les enfants et les vieillards. Le conseiller pensait aussi à Gibraltar qu'il avait trahi sans en tirer le moindre bénéfice pour la communauté. Il revoyait encore l'immense déception dans ses yeux quand il lui avait lançé : "Je t'aimais". Ce regard plus que tout le reste lui laissa les plus grands regrets parce qu'elle touchait au plus profond de sa conscience.

 Montparnasse se demanda si le garçon lui pardonnerait un jour.

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