Les festivités d'anniversaire 3 : L'exécution

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 La braise ! Le supplice le plus sadique et le plus douloureux mis au point par les laboratoires du Messager maintenait l'ordre et la soumission avec davantage d'efficacité que toute la police du duc. Les gens en éprouvaient une peur viscérale et préféraient les pires indignités à cette mort lente pour l'avoir vue à l'œuvre lors des exécutions de rebelles. Ceux-ci préféraient se transformer en bombe ambulante plutôt que risquer d'être pris, ce qui les menait inéluctablement au pilori.

 Ce dernier se dressait au milieu de l'esplanade aménagée dans la ban-lieue, un espace d'une lieue soit quatre kilomètres de large qui suivait les méandres des remparts extérieurs. Le condamné, les deux mains entravées et reliées à un petit remorqueur par une longe de trois mètres, devait traverser la ville basse sous les huées des passants qui levaient le poing et vociféraient à qui mieux mieux. Ses vêtements étaient en lambeaux. Manifestement, il avait été interrogé sans ménagement, peut-être même torturé.

 À bout de force pour son dernier voyage, le jeune homme tenait à peine sur ses jambes, les cheveux hirsutes, les yeux hagards. C'était encore un enfant, dix-sept ou dix-huit ans. Il fit sa première chute. Le remorqueur le traîna sur quelques mètres avant de s'arrêter. Le vigile lui donna un coup de fouet pour l'obliger à se relever, mais le pauvre garçon resta sur le sol. Son bourreau allait recommencer quand quelqu'un sortit de la foule et s'interposa. Il reçut le fouet mais ne renonça pas pour autant à apporter son aide au supplicié. Une poigne ferme stoppa le second coup.

Laisse, ordonna le capitaine. Il fait le travail à notre place.

La foule se tut. Il n'y avait pas un souffle de vent. Chacun s'immobilisa dans l'attente d'une chose extraordinaire, un peu honteux de manquer de courage. Le temps semblait s'être arrêté. Le jeune homme vêtu d'une braie et d'une tunique à capuche serrée à la taille par un ceinturon, fit asseoir le supplicié et lui ouvrit sa gourde. Il but goulûment et lança à son sauveur un regard désespéré. Celui-ci l'aida à se relever et la terrible marche reprit pendant que le vigile poussait sans ménagement l'apprenti philanthrope sur le bas côté.

 Après avoir franchi la porte sud, l'instrument de son supplice fut en vue. Il avançait en titubant, traîné par le remorqueur, et jetait de temps à autre un coup d'œil à l'arrière, cherchant son bienfaiteur comme un noyé une bouée de sauvetage. Le carrosse ducal accompagné des véhicules richement sculptés de l'aristocratie passaient au dessus de sa tête. Devant lui s'étendait une zone découverte sans végétation ni habitation car les municipes avaient déjà évacué ceux qui, étant mis au ban de la société, vivaient dans cet espace.

 Caché sur le chemin de ronde de la muraille extérieure, Gibraltar regardait la scène qui se déroulait en contrebas. Toute la sécurité était affectée à la protection du duc et de sa cour car une partie non négligeable des gardes était venue en renfort pour mater l'insurrection qui avait pris naissance dans la ville haute. Personne ne viendrait le déranger.

 Egoïstement, il était soulagé et préférait que ce soit Elliott que lui. Par un heureux hasard, il avait découvert la supercherie le matin même. Pour occuper le temps puisqu'il refusait la mission, il avait vérifié une dernière fois le mécanisme de la bombe. Il s'était aperçu qu'il manquait le système de détonation. Une conclusion unique s'imposait : quelqu'un avait délibérément trafiqué l'engin pour empêcher son fonctionnement. Une seule personne avait été en possession de la bombe le matin même et avait pu la désactiver : le commandant Spartans lui-même. S'il voulait sa mort, pourquoi ne pas la laisser exploser comme prévu ?

A moins qu'il n'ait manigancé pour saboter l'attentat et me faire condamner à la braise !

 Son mépris pour Spartans n'avait d'égal que l'admiration qu'il éprouvait pour le geste de l'homme qui osa apporter à boire à son co-équipier. Tout en se demandant qui il pouvait être, il s'empara de ses jumelles.

 Elliott était à présent attaché au pilori, deux pieux de trente centimètres de diamètre plantés en terre à un mètre cinquante de distance. Un plancher avait été aménagé à environ un mètre du sol afin que le supplicié soit bien visible, que chacun puisse se délecter de ses souffrances et pour servir d'avertissement à ceux qui voudrait rejoindre la rébellion. Les municipes l'aidèrent à monter les quelques marches et enlevèrent ses vêtements. Le bourreau lui mit le collier et les entraves aux mains et aux pieds, toutes reliées au pieu de bois par une chaîne. Elliott, les jambes et les bras écartés, comme dans un rêve, vit le duc prendre ses aises dans sa loge pour profiter du spectacle et à côté de lui, un peu en avant, le Messager, dans une impassibilité absolue.

 Slau avait l'aspect d'un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans. Des cheveux blond foncé accentuaient son visage juvénile. Ses yeux bleu outre-mer attiraient et participaient à son charme. Il incarnait, tant dans sa mise que dans sa façon de s'exprimer, la prestance et l'autorité. Son maintien et ses manières étaient aristocratiques. Soudain il leva la tête et huma l'air. Le Messager reconnut une présence familière, diffuse et inquiétante, une sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis une vingtaine d'années. Son regard se détacha du pilori et se concentra sur les remparts. Puis la menace s'estompa sans disparaître pour autant. Il fixa à nouveau son attention sur le supplice qui se déroulait plus loin.

 Quand le bourreau sortit la seringue, Elliott prit enfin conscience de sa situation. Il se mit à gesticuler dans tous les sens et à supplier qu'on le tue, tirant avec l'énergie du désespoir sur ses chaînes. Mais ses cris déchirants ne rencontraient d'écho nulle part. Sauf sur les remparts où des yeux observaient la scène avec attention.

 Gibraltar connaissait le supplice de la braise. Toutes les bombes avaient vu les terribles holographies à ce sujet, l'effet que cela produisait sur le corps et les tourments que cela provoquait. Spartans prenait soin d'expliquer aux nouvelles recrues le principe : le bourreau injectait un acide corrosif qui rongeait lentement, très lentement les chairs et il pouvait faire durer le plaisir des spectateurs en diluant plus ou moins le produit. Au début, le supplicié ressentait une douce sensation de chaleur, mais quand l’acide traversait les veines et s’infiltrait dans tout l'organisme, la douleur devenue vive, se transformait en millions d'aiguilles incandescentes. Puis au fil des minutes et des heures elle allait crescendo et devenait souffrance intolérable. Le pire était qu'à la fin le malheureux n'avait même plus de voix pour hurler les brûlures qui le dévoraient de l'intérieur.

 Pendant que les municipes immobilisaient Elliott pour la piqûre, le jeune homme à la capuche observait lui aussi la scène depuis les heutes murailles, positionné à une demie encablure de la porte sud. Gibraltar remarqua son fusil et attira d'une pierre discrète son attention. Il pointa son index en direction du pilori et mima le geste de tirer. L'autre refusa. Il rampa jusqu'à lui et expliqua la situation.

— On vient de lui injecter la braise.

— Quoi la braise ?, répondit l'autre qui pâlit quand il comprit enfin en quoi elle consistait.

 Il était venu pour mettre un peu de pagaille dans cette belle ordonnance, en aucune façon pour tuer qui que ce soit. Le condamné commençait à ressentir les premiers effets de l'injection.

Tue-le, supplia le jeune rebelle. Ça ne devait pas finir comme ça pour lui. Il ne mérite pas ça.

Ok, consentit l'homme qui enleva sa capuche et prit appui sur le parapet pour mieux viser.

 Il avait un visage fin, une tignasse châtain clair et des yeux marrons. Sa peau paraissait pâle à côté du teint basané de Gibraltar. Si son oncle apprenait ce qu'il s'apprêtait à faire, il aurait droit à un discours au sujet de son insouciance, comme quoi il devait rester discret pour sa propre sécurité, ne connaissait pas son importance et comprendrait le moment venu.

Tu as un plan de repli ? Quand j'aurai tiré, on aura toute la clique sur le dos.

T'inquiète, je connais une planque.

 Il prit appui, visa, tira. La balle atteignit la tête.

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