Chapitre 8 - L'auberge (1/2)

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 Aelis venait de surgir de sa cachette. Aussitôt, celui qui venait de prononcer son nom lâcha sa perche lumineuse et dégaina une lame effilée. Le bâton tomba lourdement au sol et la lanterne se brisa, éclatant en des dizaines de morceaux de verre. Tout était sombre désormais. L'adolescente restait plantée là, au milieu de la route, coupée dans son élan. Elle ne savait plus que penser, troublée par cet homme qui avait cité son identité factice quelques secondes auparavant. Le plan de Glenn et d'Elric avait-il été découvert ?

 - Qui est là ? tonna l'homme du haut de sa charrette.

Son arme était toujours brandie devant lui, scintillant sous la faible lueur des étoiles. Il était aux aguets, prêt à s'en servir. Ébétée, Aelis, ne put que tenter le tout pour le tout. Cet inconnu venait de prononcer son nom, il n'était peut-être pas aussi méchant qu'il le laissait paraître.

 - Je suis Lutz Pintassèra.

Du haut de son perchoir, l'homme ne répondit pas tout de suite, la jaugeant dans l'obscurité. Doucement, toujours sa lame en avant, il mit pied à terre et s'approcha. La jeune fille constata qu'il transpirait abondamment et un regard déterminé luisait sous ses épais sourcils.

 - Et que fais-tu là, si proche des limites de Sérasia ? reprit-il.

Elle n'hésita pas un instant à répondre. Si cet homme était méfiant, peut-être faisait-il partie des gens qui la poursuivaient, il fallait qu'elle se montre convaincante.

 - Je suis la cousine d'Elric Pintassèra, l'aubergiste de Sérasia. Je suis en route pour le rejoindre.

Dès qu'Aelis prononça ces mots, l'homme rengaina sa lame, tout sourire, et l'enlaça un instant, à sa grande surprise.

 - Merci, tu es en vie...

Puis, lorsqu'il desserra son étreinte, il ramassa son bâton et sa lanterne cassée pour les ranger dans sa charrette.

 - Monte, lui dit-il. En route pour Sérasia, cousine !

 Après que l'adolescente l'eut rejoint et ce soit installée à côté de lui, l'homme s'excusa de son comportement menaçant qui n'était en réalité qu'un test pour s'assurer qu'il n'avait pas un imposteur en face de lui. Puis, il se présenta :

 - Bon, tu l'auras sans doute deviné mais, c'est bien moi, Elric Pintassèra, l'aubergiste. J'aurais normalement dû te récupérer demain aux abords de la forêt de la vie mais rien ne s'est passé comme prévu... En voyant la rapidité avec laquelle les sbires de Scur se sont préparés, j'ai été contraint de partir plus tôt à ta recherche, au cas où... Quelle chance de t'avoir trouvée là ! Si j'étais rentré sans une Lutz à bord, les gardes auraient trouvé cela suspect et ne m'auraient jamais laissé sortir de la ville de nouveau... Déjà qu'il m'a fallu me montrer convaincant pour pouvoir partir à ta recherche...

L'homme sembla se perdre un long moment dans ses pensées avant de reprendre :

 - Comment va Glenn ?

Cette question donna l'impression à Aelis de se prendre un coup de poing dans le ventre. Elle n'osait rien dire, de peur que son interlocuteur ne se mette en colère et ne finisse par l'abandonner là, sur le bord de la route. Cependant, elle lui devait la vérité. Après tout, cet homme s'était battu pour mettre un plan au point dans le but de la sauver elle, une pure inconnue.

 - Je... Désolée, je ne sais pas... Tout ne s'est pas passé comme prévu. On ne s'attendait pas à avoir des visiteurs si tôt. Ils sont arrivés il y a deux nuits, j'étais censée partir le lendemain... J'ai fui, Glenn est resté pour les ralentir et... Je ne peux pas vous dire ce qui lui est arrivé.

 - Je vois... répondit Elric. Il fallait s'y attendre... Je ne sais pas comment ces gars se sont préparés aussi vite. Cela fait des années que tous ces traîtres étaient convaincus que tous les arbres de vie avaient été détruits. Ils ne passaient plus que leurs journées à boire à l'auberge ou à s'entraîner au maniement de l'arme, dans l'attente de se voir muter ailleurs. Ils avaient bien caché leur élevage de bayards avant leur départ... Je me demande comment ils se sont débrouillés... Enfin, ils ne t'ont pas attrapée, c'est le principal. Heureusement que j'ai vu cette confiture que tu as glissé là, je ne t'aurais jamais retrouvée sinon.

 - J'espère que ce pot ne sera pas le dernier que vous recevrez de la part de votre ami, ajouta Aelis maussadement.

 - Je l'espère aussi...

 Alors que le silence régnait alentours, les poneys continuaient leur avancée. Le bruit des roues de la charrette et des sabots des équidés berçaient la jeune fille. Après qu'Elric lui ait signifié qu'elle pouvait dormir car la chevauchée durerait encore un moment, elle glissa dans un sommeil réparateur malgré une position inconfortable.

 Lorsqu'elle se réveilla, Aelis constata qu'autour d'elle, la forêt avait laissé place à de vastes étendues d'herbe. Le soleil commençait de refaire surface, réchauffant l'atmosphère et scintillant sur les gouttes de rosée disséminées dans la verdure. Force était de constater, qu'à quelques différences près, le monde de Sérasia et la planète Terre étaient semblables. Toutes deux n'avaient qu'un soleil et une lune, ainsi qu'un ciel étoilé. La faune et la flore étaient également très proches à quelques exceptions près. Seules les populations étaient apparemment différentes mais, pour l'instant, la jeune fille n'avait pu le constater d'elle-même, n'ayant rencontré que des humains.

 - Ah, enfin réveillée ! s'exclama joyeusement Elric. Nous arriverons d'ici une heure, alors il va falloir qu'on discute un peu tous les deux. Si tu as faim ou soif, tu as tout ce qu'il te faut dans ma besace, derrière, dans la charrette. Sers-toi.

L'adolescente, réellement affamée, attrapa son propre sac de voyage duquel elle tira son saborós. Puis, elle fouilla dans les affaires de l'aubergiste pour en sortir une gourde pleine d'eau, la sienne étant presque vide. La bouche pleine, elle oublia les bonnes manières et demanda :

 - Une heure ? Comment fonctionne votre système temporel ici ?

 - Hein ? demanda l'homme visiblement surpris.

 - Je veux dire, vous avez des minutes et des secondes aussi ? Combien il y a d'heures dans une journée ?

 - Tu as des questions bien étranges... Une journée est constituée de vingt-quatre heures et une heure de soixante minutes. Pour les secondes, c'est pareil, il y en a soixante dans une seule minute. Pourquoi demandes-tu ça ?

 - Parce que visiblement, nos deux planètes, celle d'où je viens et Sérasia, sont tout à fait comparables, ça m'étonne. Nos jours, nos heures et nos minutes sont identiques, les paysages semblables...

 - C'est normal. Cela ne m'étonne pas plus que cela.

 - Pourquoi ça ? fit Aelis en croquant une nouvelle fois dans son saborós, curieuse.

 - Eh bien, Sérasia est le monde originel. Tous les autres existant sont une sorte de copie de cette planète si tu préfères. C'est ainsi qu'en a voulu Granòs, le créateur de notre bien-aimé monde.

La Terre ne serait donc pas le fruit de nombreux évènements succédés dans l'espace ? Si un chercheur se trouvait à la place de l'adolescente, il mourrait certainement de tachycardie en entendant cela. Elle était perdue, ne savait trop que penser, elle qui pourtant ne croyait en aucune divinité mais à des faits scientifiques pour ce qui concernait la création de la Terre. Elle ne sut quoi ajouter. Elric, quant à lui, semblait ne pas comprendre les interrogations de la jeune fille. Il continua donc sur un tout autre sujet :

 - Bon, il va falloir qu'on revoie un peu ton... "personnage", d'accord ? Il faudra être crédible lorsqu'on croisera les gardes de Sérasia, ils sont très méfiants envers les voyageurs. Surtout en ce moment.

 - Euh... D'accord, répondit Aelis qui comprit que sa "renaissance" avait chamboulé le cours normal des choses.

 - Très bien. Il est temps que je t'explique un peu qui est réellement Lutz Pintassèra afin d'éviter les bourdes mais, d'abord, je vais te parler de moi. Tu es ma cousine après tout, tu es censée me connaître mieux que ces foutus gardes.

L'adolescente acquiesça, les dires de l'aubergiste tombaient sous le sens. Surtout que les gardes s'assureraient certainement qu'elle n'était pas une intruse en la questionnant au sujet de son "passeur".

 -Donc, tu as certainement remarqué ma petite taille. Je me situe en fait entre le nain et l'homme car je suis l'unique fils d'un nain et d'une femme, Embaish et Esmeth Pintassèra. Ils étaient tous deux aubergistes en la grande ville de Haron. Ma mère avait une soeur, Zina, qui vivait en compagnie de son forgeron d'homme, Hanz. De leur union, naquit Lutz, donc toi-même. Malheureusement, mon oncle et ma tante moururent alors que Lutz n'avait que huit ans. Elle fut l'une des rares rescapés du massacre de brigands qui vinrent piller et cramer leur petit village désormais rayé de la carte. Mes parents la recueillirent chez eux, s'occupant de son éducation. Moi, j'étais déjà bien plus vieux qu'elle à l'époque et je vivais avec ma femme à Sérasia. Elle se débrouilla très vite seule et, souhaitant ne pas devenir un fardeau pour ma famille, elle partit à l'âge de seize ans vivre avec l'héritier d'une petite ferme dans le village de Pagés.


 - Seize ans ! s'exclama Aelis.


C'était son âge et elle ne se voyait pas du tout suivre quelqu'un pour toute une vie à l'heure actuelle. Certes, Sérasia était bien semblable à la Terre mais les mentalités demeuraient quand même bien différentes.


 - Oui, c'est un peu jeune peut-être ? Elle voulait partir et mes parents l'ont laissée faire car ils savaient que l'homme qu'elle rejoindrait était digne de confiance. Preuve en est, car leur couple tient toujours vu qu'ils vivent encore ensemble ! Bref... Après cela, elle garda contact avec mes parents et moi-même.


 L'aubergiste fit une petite pause, en profitant pour respirer un grand coup. Il avait l'air d'aimer raconter des choses. Enfin, il reprit :


 - Ici, vient une partie mensongère car ce n'est pas la réalité mais, toi, Lutz Pintassèra, tu es ici avec moi, dans le but d'ouvrir ta propre auberge. Tu m'accompagnes en quête de renseignements sur la gestion et l'organisation d'un tel commerce. Bien entendu, la vraie Lutz est également au courant et elle est partie vivre quelques temps chez des amis afin de ne pas éveiller de soupçon. On ne sait jamais.

 - Mais quel âge a t-elle aujourd'hui ?

 - Vingt ans, pourquoi?

 - Je n'ai que seize ans ! Comment voulez-vous que votre histoire fonctionne si les gardes sont au courant de ça ? commença à s'énerver Aelis qui ne voulait surtout pas se faire remarquer par les gardes.

 - La différence d'âge est minime, ne t'inquiète pas pour ça.


La dernière fois que quelqu'un lui avait dit de ne pas s'inquiéter, tout avait tourné au cauchemar... Aelis ne fit pas part de ses appréhensions à Elric mais la peur d'échouer à se faire passer pour quelqu'un qui lui était totalement étranger et qui avait grandi dans ce monde-ci était bien présente. Le reste du trajet, Elric fit répéter plusieurs fois l'histoire à Aelis en prenant soin de vérifier qu'elle n'oubliait aucun nom. Il lui apprit même que sa femme se dénommait Lasèria et qu'avec elle, il avait eu un fils, Màrius. Ce dernier avait neuf ans et les aidait à tenir l'auberge. Il n'avait pas son pareil pour soigner les bêtes.


 Leur conversation s'acheva en même temps que leur trajet. En effet, les deux compagnons arrivèrent enfin aux portes de Sérasia. Aelis, de loin, voyait des vestiges de tours et de murailles, cet ancien royaume devait être immense et impressionnant au moment de son apogée. Aujourd'hui, la nature reprenait le dessus sur ces ruines, recouvrant de plantes grimpantes les plus hautes pierres du domaine. En bas des anciennes murailles, quelques champs étaient disséminés ici et là. La jeune fille pouvait voir des cultures pousser dont du saborós, facilement reconnaissable de par ses feuilles aussi rougeâtres que le tubercule. Au fur et à mesure de leur approche, l'entrée de Sérasia se laissait entrevoir. La muraille, en partie détruite par un trou béant, était renforcée par de grandes barricades de bois, élevées en hauteur et taillées en pointe. Au centre, se trouvait une large porte dans laquelle en étaient découpées d'autres, plus petites.


 - Bienvenue à Sérasia, claironna Elric. Je pense que tu es prête pour affronter les gardes derrière la porte. Bon courage, petite.

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