À quoi bon crier lorsque personne ne vous entend ?

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 Les portes du dernier métro se referment presque sur ma cheville. Un soupir de soulagement s'échappe d’entre mes lèvres alors que je m'assieds. Mes fesses se tortillent sur la banquette glaciale tandis que je rabats mon bonnet sur mes oreilles gelées.

Brrr… Un peu plus et j'étais bonne pour rentrer à pied.

Un coup d'œil à ma montre, il sera bientôt une heure du matin. Marre de bosser si tard à la bibliothèque de l'école, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même d'avoir pris du retard en début d'année. Les examens de janvier seront déterminants pour la suite de mes études, pas le droit à l'erreur.

Allez, encore une semaine à tenir. Je passe les partiels et je pourrai retrouver une vie normale.

Un sifflement me tire de mes pensées. Relevant la tête, je remarque l'unique autre passager de la rame. Un grand mec drappé dans un large imper noir qui ne se prive pas de me fixer de ses yeux verts. Il me met aussitôt mal à l'aise. Je détourne le regard en lissant le bas de ma robe sur mes épais collants de laine.

Malgré le vacarme du métro, j'entends bientôt des pas qui se rapprochent, jusqu'à ce que l'inconnu prenne place juste devant moi.

  • Bonsoir, jeune fille.

Je ne peux m'empêcher de le fixer du coin de l'œil, de trouver son regard beau malgré la nausée qui me gagne à mesure qu’une sourde peur s’insinue dans mon esprit. Il m'impressionne, si tant que je baragouine une réponse qui s'apparente davantage à un miaulement qu'à un son proféré par un humain.

Le métro commence à ralentir, nous approchons du prochain arrêt. L'autre est légèrement déséquilibré par l’action des freins. J'utilise cette aide imprévue pour me redresser et me faufile entre les portes à moitié ouvertes pour changer de rame avec l’espoir d'y trouver d'autres voyageurs nocturnes.

Ouf ! Il y a deux personnes ici, un homme et une femme. Mes jambes tremblent légèrement du fait de l’adrénaline, je serre fort la barre de métro pour me calmer en espérant que le reste du trajet se passe sans heurt.

Les portes se referment, une ombre se glisse entre les battants.

Il m'a suivi.

Lorsque nous reprenons notre trajet, les deux autres se lèvent à l'unisson et se dirigent vers moi.

Oh non…

 Je dois faire appel à toute ma volonté pour ne pas me liquéfier sur place. Surveillant les deux hommes, je ne vois pas la femme se placer derrière moi et m’asséner une violentec claque sur les fesses.

Je pousse un cri de surprise qui déclenche des rires.

  • Mouais, pas mal les jambes, tu avais raison, Corbeau.
  • Ais-je déjà déçu par mes goûts, Héron ?
  • Pour ma part, je reste dubitative, on ne voit pas grand-chose avec toutes ces couches.
  • Si ce n'est que ça qui te gêne, Cygne, il suffit de la dépiauter.

Joignant le geste à la parole, celui qui se fait appeler Héron s'avance brusquement et saisit mes poignets. Le contact est comme une décharge, je hurle !

Les trois se jettent sur moi. Des doigts explorent ma peau sous le tissu, mon bonnet est arraché et une main se glisse sous ma cuisse pour m'obliger à lever la jambe. Pire que d'être touchée, je me sens analysée. Ils jugent mes formes, estiment si je suis une vraie blonde et parlent d'un quota à atteindre.

Je les supplie de me laisser, mais ils restent insensibles, sans même se moquer ou réagir autrement que par des commentaires sur mon physique.

Corbeau me saisit soudain le menton, coupant net mes jérémiades. Il me dévisage de son regard émeraude. Son sourire prédateur me glace le sang, tout autant que les mots qu'il chantonne en approchant un chiffon humide de mon visage.

  • Je la sentais bien. On a fait une belle prise. Le nid sera satisfait.

Soudain, le métro ralentit à l'approche de la prochaine station. Il cherche à me plaquer le tissu sur la bouche. Dans un sursaut de rébellion, je cogne durement son nez de mon front. Un crac résonne. Je profite de cet instant de stupeur et m'arrache à leur étreinte.

Sortie du wagon, je jette mon sac et avale l'escalier en quête de la surface. Des cris résonnent dans mon dos. Surpris, ils ont tout de même réagi avec rapidité et me talonnent.

Je bondis au-dessus des barrières, esquive une main visant mon épaule et manque de glisser sur le carrelage de la station. La sortie que je visais est fermée d'un grillage pour travaux, je change brutalement de direction en m'aidant d'un panneau publicitaire qui m’écorche les doigts.

Des larmes coulent lorsque je réalise qu’il n’y a personne. Contre mon dos et mes tympans cognent des insultes, des rires et des promesses à me faire pâlir de terreur.

Une lueur attire mon regard… oui ! La seconde sortie est ouverte. Je ressens déjà les effets d’un point de côté, mais arrive à accélérer, quand l’espoir se heurte brutalement à la réalité. Cygne a deviné mon intention et cours sur ma gauche pour me couper la route.

Pas si près du but ! Une brusque montée de rage me donne le peu d'énergie qu'il me manquait et nous arrivons en même temps devant l'escalier. Elle venant de côté, je profite de son déséquilibre pour la percuter et la jeter à terre ! Gravissant les dernières marches, j'arrive à la surface quand une main agrippe mon collant qui se déchire.

 Mon flanc droit me fait souffrir, ma gorge me brûle, mais je garde le rythme. Eux ne semblent même pas essoufflés.

La distance nous séparant se réduit à chaque respiration.

C’est un quartier calme. Personne n'est dehors à cette heure. Je ne crie plus, pas assez de souffle.

Ils sont presque sur moi ! Je sens une main se tendre. Mon poursuivant m’agrippe au moment où je saisis un poteau et tourne brutalement dans une ruelle. Emporté par son élan, il s’écrase sur un tas de poubelles.

L'espoir s’embrase. Je crois pouvoir leur échapper lorsque mon pied ripe sur une irrégularité des pavés. Je trébuche, incapable de garder l'équilibre et m'affale contre quelqu'un.

Relevant la tête, je croise le regard interrogateur d'un garçon de mon âge. Une jeune femme l'accompagne, un sac de sport à la main.

 Ils tentent de me parler, mais je ne suis plus en capacité de réfléchir. J'éclate en sanglots et m'accroche désespérément au manteau du garçon. Il m’enserre de ses bras protecteurs tandis que son amie tend le bras vers moi. Je veux les avertir, on doit fuir !

  • Hey !

Un cri retentit, une voix que je ne connais que trop bien maintenant. Corbeau vient d'apparaître, ses acolytes à ses côtés. Il a le visage en sang.

Le jeune gars que je viens de percuter me place dans son dos, la fille lâche son sac et se place à ses côtés. J’ose à peine regarder, ma gorge me brûle de manière atroce.

  • Pitié ! Aidez-moi !

Je suis essouflée. Mes poursuivants analysent les deux gêneurs et gagnent en assurance comme s’ils m’avaient déjà eu. Un sourire mauvais apparaît sur leur visage.

Terreur, douleur, espoir et maintenant remords se bousculent dans ma tête. Que vont-ils nous faire ? Je n'aurais pas dû demander de l'aide !

Mes agresseurs s’avancent en sortant des matraques de l’intérieur de leurs habits et nous invitent à les suivre sagement. Le couple reste immobile. Héron interprète leur inaction comme de la peur et lève le bras pour caresser la joue de la fille. Avant qu’il ne réalise son erreur, celle-ci arme son genou et le frappe violemment entre les jambes ! Son visage vire au cramoisi, il s’effondre à demi. Elle recule d'un pas et redouble d'un second coup de genou dans les gencives.

Tout s’accélère. Les deux autres se jettent sur elle. Elle bloque d’une main et essaye de reculer, mais une matraque l’atteint et la fait se plier en deux. Son compagnon entre dans la danse, légèrement en retard, mais armé d’un haltère récupéré dans leur sac. Il vise le poignet de Corbeau, son coup est lourd, dévastateur, prévisible. Sa cible se dérobe au dernier instant et le repousse du plat de la main.

Il doit alors se battre à un contre deux pendant que la fille récupère en retrait. Je vois ses doigts couverts de sang, je ne crois pas que ce soit le sien. Elle renverse la tête en arrière pour libérer son champ de vision de ses longs cheveux noirs et, sur un cri de colère, rejoint son compagnon encaissant de plus en plus difficilement les attaques. Les coups pleuvent des deux côtés, je me prends à croire qu’ils vont gagner. Hélas, sans l’effet de surprise, je réalise l’écart de niveau. Ils sont forts, mais brouillons, là où leurs adversaires savent se battre et maîtriser leurs victimes.

Un coup de matraque asséné à la verticale fait crier de douleur la fille, qui déconcentre le garçon qui reçoit un autre coup.

Ils n'arrivent pas à prendre le dessus. Tout semble perdu, lorsque des lumières s’allument aux étages des bâtiments proches. Le bruit causé par le combat a finalement réveillé les habitants ! Je m’époumone pour appeler à l’aide. Corbeau comprend que tout est fini et assène un ultime coup de pied, envoyant rouler dans la poussière cet insolent ayant osé lui voler sa proie. Son recule avant que Cygne ne lui fasse subir le même sort. Victorieux, ils doivent néanmoins prendre la fuite avant que la situation ne leur échappe. Cygne aide Héron à se relever, Corbeau me jette un ultime regard où perce un regret amer, avant de nous tourner le dos et de disparaître au coin de la rue.

. C’est … fini ? Je n’ose y croire. La fille aide son compagnon à se relever. Ils sont salement amochés, mais affichent un sourire victorieux. Je chancelle, ma vision se floute, la pression s'échappe d'un coup.

Je sens à peine les bras qui me rattrapent, tandis qu'une voix calme me chuchote que c’est fini.

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