La Prophétie des Celtes

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 C'est dans la pénombre du crépuscule que la magie s'éveillait silencieusement au sein de l'imposante forêt d'Elliand, bordant le pays du même nom. Cette effrayante étendue verdoyante cachait les derniers druides et sorcières répartis dans les différentes tribus celtes encore vivantes. Cette civilisation ancestrale essuyait péniblement les tueries en masse d'un ennemi venu de terres lointaines, aux yeux duquel elle n'était qu'une secte d'impies indignes de vivre.

Atiloë était l'un d'eux. Le vieux druide revenait d'une longue cueillette de plantes curatives au moment où le soleil baignait de ses dernières lueurs l'épaisse frondaison. Les modestes huttes de feuillage se dessinèrent devant lui, et les rires joyeux d'enfants ne se firent pas tarder à entendre.

  • Atiloë est revenu ! Il est rentré !

Une troupe d'une demi-douzaine de marmot s'agglutinèrent autour du doyen. Il s'était absenté deux jours entiers pour trouver les herbes nécessaires aux soins qu'il prodiguait aux membres de ce nouveau clan. Le village rassemblait des rescarpés de tribus massacrées qui n'avaient plus d'autre option que de se tapir dans la sombre forêt d'Elliand suffisament grande pour leur offrir un semblant de repos. Il n'était qu'une trentaine. Parmi eux, Metig et Rowenna, deux sorcières, l'une domptant les flammes et l'autre pouvant parler aux bêtes, assuraient la protection de la petite tribus en son absence. Les autres membres, hommes et femmes vaquaient à leurs occupations à l'arrivée du druide.

  • Ravie de te revoir Atiloë ! Les enfants me réclamaient des histoires tous les soirs avant de dormir. Je crains de ne pas avoir ton talent de conteur ! confia Metig tout en charmant une boule de feu qu'elle vint déposer au creux du foyer de pierre.

Les flammes s'élevèrent dans les airs et éclairèrent les visages venus saluer le vieux druide rentré de son périple. Ce dernier s'installa près du feu autour duquel étaient disposés de petits tronçons de bois en arc de cercle.

  • Hé bien ! Il est temps de rattraper mon retard alors ! s'exclama-t-il. Laissez-moi me débarasser de mes besaces et je vais vous raconter une histoire incroyable...

Les enfants se posèrent autour de lui et le devisagèrent avec impatience. Atiloë, amusé de son audience, pris son temps pour se réchauffer d'une écuelle de potage servie par Rowenna. Il pris un air sérieux et commença d'une voix grave et lugubre :

  • Voyez... C'est lors d'une nuit semblable à celle-ci qu'une mystérieuse prophétie naquît...

Le druide avait l'entière attention de sa petite assemblée. Les paires d'yeux ne le quittaient pas d'une seconde. Rowenna et Metig s'assirent à leur tour pour écouter le récit du vieux sage.

  • Il y a très longtemps, bien avant que je ne vienne au monde, et bien avant qu'aucune magie ne prenne racines sur nos terres, la nuit régnait dans le monde. Notre Déesse Dana éclairait la nuit de son astre rond et pâle, tandis que Cernunnos le Dieu Cerf s'occupait de perpétrer le cycle de la vie en toute chose. Une nuit, Cernunnos fît surgir un pommier beaucoup plus grand que tous les autres arbres. Si grand que les ramures pouvaient atteindre le ciel noir, où Dana veillait sans fin. Il eût alors une idée merveilleuse...

Atiloë s'interrompit dans son récit. Les enfants restèrent alerte pour ne pas manquer la suite de l'histoire. Le vieil homme tendit une main au sol pour en récolter une poignée de poussière et de mauvaises herbes. Sa paume s'ouvrit face aux visages interrogateurs. Le druide sourit malicieusement et porta sa paume remplie de terre au bord de ses lèvres pour en murmurer une prière :

  • Bho thìr Cernnunos tha toradh Dana..

Sous les regards ébahis des enfants et des sorcières, la poussière terreuse au creux de la paume d'Atiloë se façonna en une pomme verte bien mûre et appétissante. Il la montra fièrement à la petite audience avant de venir la croquer à pleine dent. Le jus du fruit enchanté perla sur la barbe grise tressée du vieux sage.

  • J'avais encore faim, haha ! plaisanta-t-il entre deux bouchées.
  • Et la suite de l'histoire ! C'est quoi ?! s'indigna le jeune public empressé de savoir où le druide voulait en venir.
  • Oui, oui, j'y arrive... reprit-il. Donc Cernunnos eût une idée face à ce grand pommier qui effleurait presque Dana. Vous ai-je déjà conté l'amour passionel entre le Dieu Cerf et la Déesse Mère ? Ils s'aimaient très fort, mais malheureusement ils ne se sont jamais touché, pas une embrassade, ni un baiser, rien ! Enfin, jusqu'à cette fameuse nuit...

Atiloë jeta son trognon de pomme dans le feu qui crépitait sereinement. La nuit était entièrement tombée sur le petit village païen, en même temps que la fraîcheur estivale. Metig, voyant les enfants frissonnés, raviva un peu plus les grandes flammes pour les réchauffer. Un simple mouvement des mains lui suffisait pour que le brasier obéisse. Les enchanteresses comme Metig ne craignaient pas le bûcher des chrétiens. Ainsi, les sorcières de feu mourraient atrocement écartelées ou dévorées par de féroces limiers si elles avaient le malheur d'être capturées vivantes. Le vieux druide vint essuyer sa barbe du revers de sa manche. Il poursuivi :

  • Cette fameuse nuit, le Dieu Cerf cueilla la plus grosse pomme de l'arbre fruitier dans le but de l'offrir à sa bien-aimée. Il escalada les immenses branches du pommier et atteingnit le ciel étoilé où Dana l'attendait dans sa belle lune blanche. La Déesse mangea la pomme, et pour remercier son amour, elle mis au monde quatre enfants lumineux, sous la forme d'éclats blancs qui illuminaient le monde comme le soleil. Les enfants de lumière vinrent enlacer leur père, Cernnunos. Ce dernier était fou de joie, il appela Dana à le rejoindre sur terre pour l'éternité. Malheureusement... La belle Déesse ne pouvait pas quitter les cieux car elle devait veiller sur le monde de la nuit et des morts à tout jamais.
  • C'est si triste... dit Rowenna qui venait d'accueillir un hérisson errant dans ses mains. La petite bête se roula en boule et s'assoupit dans les paumes de la jeune sorcière.
  • Cernunnos redescendit sur terre avec ses quatre enfants. Dana était si triste qu'elle pleura trois larmes magiques. Une larme pour la force, une larme pour la vie, et une larme pour la mort. Au moment où les larmes touchèrent notre monde, il est dit que trois reliques apparurent quelque part.

A ce moment du récit, les enfants proposèrent toutes les armes possibles et inimaginables pour deviner la suite de la prophétie, ce qui divertit fortement Atiloë et les sorcières. L'excitation de la troupe se calma, et le conteur confia alors :

  • Il paraît que la larme de Force tomba sur les montagnes noires du peuple des Nains, les Monts d'Aïr et donna naissance à une hache d'or magnifiquement sculptée qu'on nommerait "Faolan"... dit-il d'un ton mystérieux. La goutte de Vie s'écrasa sur les grandes plaines arrides des Flandres, chez les Hommes, pour faire germer une belle épée incrustée d'émeraudes. L'endroit qui receva la larme de Vie devint verdoyant et riche en faune. Cette épée porte le nom de "Donegal". Quant à la dernière larme, celle de la Mort, et bien elle tomba dans l'océan du peuple des Elfes, très loin d'Elliand. Certains disent qu'un sceptre fait d'os en jailli des abysses, et qui porterait comme nom "Mehdël". La prophétie veut que les quatres enfants de lumière trouvent ces armes quand le moment sera venu de les utiliser pour sauver le monde d'une tragique destinée.

Un petit garçon aux boucles rousses assis aux cotés de Metig s'empressa de demander :

  • Mais... Les armes, où sont-elles maintenant ?
  • Hé bien Audran... soupira Atiloë, je crois que la hache d'or, Faolan, doit être perdue sous les montagnes de trésors des Nains. En revanche, je sais que Donegal, l'épée d'émeraudes, est gardée depuis des centaines d'années par des hommes instruits, dans le pays d'Huel. Mais pour le sceptre Mehdël fait d'os, personne ne sait où il se trouve... Certains druides pensent que les Elfes usent de la magie de l'eau pour le cacher. Moi je crois que Mehdël repose depuis tout ce temps dans les profondeurs de l'océan, et n'a jamais été trouvé.
  • Et les enfants de lumière, ils arrivent quand ? demanda le petit garçon de plus bel. Le druide lâcha un petit rire à sa question.
  • J'espère qu'ils ne vont plus tarder à venir, haha ! Ils sont peut-être déjà sur terre, parmi nous, qui sait... M'enfin, qu'ils soient là est une chose, mais trouver les trois armes de Dana en est une autre ! maugréa-t-il.

Les baillements commencèrent à se manifester dans l'assemblée. Il était tard, Rowenna emmena les enfants dans leur hutte pour y passer la nuit. Chacun embrassa le vieux druide avant de s'en aller dormir. Seul resta Audran et ses boucles rousses hirsutes, perché dans le bras de Metig qui ne semblait pas vouloir dormir. Le druide l'invita sur ses genoux.

  • Toi, je sens que tu veux me demander quelque chose ?
  • Oui... avoua Audran. Si Faolan donne la Force, et Donegal donne la Vie... Que se passe-t-il si on touche Mehdël, le sceptre de la Mort ?
  • Question intéressante et pertinente, mon garçon, mais j'imagine que tu as une idée de la réponse, non ? demanda le vieil homme.

Les yeux innocents d'Audran s'écarquillèrent d'effroi. Il répondit d'une voix presque inaudible :

  • On meurt si on le touche... ?
  • Oh non, non... Pas tout à fait ! Rassure-toi. Le sceptre est une clef pour entrer dans le Monde des Esprits, là où nos ancêtres déambulent et veillent sur nous. Un Monde qui détient toutes les réponses aux problèmes des vivants. Tu comprends ? En soit, l'arme ne te fera pas de tort, si tu sais t'en servir, de même que Faolan et Donegal. Si demain tu trouverai le sceptre Mehdël, aurais-tu le courage de découvrir tout ce que tu n'es pas, de nager dans ton inconscient ? Je ne pense pas, et moi non plus d'ailleurs... On deviendrait fous tout les deux, haha !

Le petit garçon s'était endormi contre l'épaule du druide. Metig le porta d'une douceur maternelle jusqu'à sa hutte, parmi les autres enfants. Elle revint quelques instant plus tard autour du feu qui crépitait de ses derniers éclats orangés dans un silence morose d'Atiloë. Il regarda la jeune femme d'un air abattu.

  • J'interroge les augures, le petit peuple de nos forêts, mes confrères druides et le résultat demeure inchangé... Nous courons tous à l'extinction. Nos clans se font décimés, notre magie s'amenuise, nos terres se putréfient sous les cadavres de nos enfants. Tes soeurs sorcières se donnent la mort quand elles ne se font pas ronger par la folie ou le pouvoir. Les Nains du Nord s'enferment dans leur royaume lâchement quand les chrétiens sont à leur porte, et les Elfes du Sud ne donnent aucun signe de vie... Peut-être sont-ils déjà tous morts. Oh Metig, l'espoir m'abandonne, les Esprits restent coi depuis bien trop longtemps. L'au-delà est débordé par toutes ces âmes meurtries qui affluent sans cesse depuis des années...
  • Ne nous abattons pas maintenant Atiloë... Tant que nous vivons, rien n'est perdu. Continue d'enseigner aux enfants ta magie et ta science. Donne leur le moyen de se défendre. Tant que je serai vivante, je ne cesserai de charmer le feu pour vous protéger, quitte à m'embraser moi-même. La prophétie se réalisera, j'en suis sûre. Les enfants de lumière viendront nous sauver de ce génocide.
  • Puissent les Dieux t'entendrent Metig, et te donner raison... Allons dormir maintenant.
  • Lasair agus teas, tuiteam na chadal... Furent les dernières paroles de Metig pour éteindre le feu avant de rejoindre sa hutte. Elle retrouva Rowenna étendue sur son lit de feuillage et de peau d'ours, profondément endormie, serrant contre elle le petit hérisson recueilli plus tôt dans la soirée. Metig s'allongea silencieusement à ses cotés. Alors que le sommeil l'emportait, la vision de quatres silhouettes blanches se dessinèrent derrière ses paupières closes...

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