La Fuite

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 La deuxième heure avant midi venait de sonner et le Marché Noir grouillait d’individus. Il était difficile pour Helenor de se faufiler dans les étroites rues sans attirer l’attention sur elle et l’objet qu’elle dissimulait sous sa cape. En plus des ruelles surpeuplées, l’odeur y était insupportable. On y devinait un mélange de poissons, de chair moisie, de terres battues, d’alcool et de fumée de pipe qui stagnait au dessus de la foule rendant l’air irrespirable. Helenor prenait sur elle pour ravaler ses relans de vomi. Sa gorge brûlait, et ses yeux pleuraient tant la puanteur était forte. Mais l’avarice la faisait avancer rapidement. Elle bousculait les gens, sans hésitations, en évitant les soldats, les mercenaires, les voleurs, et les sorcières. L’une d’elle avait manqué de planter ses ongles dans sa gorge et de lui arracher la trachée. Le trafic d’organe et de chair était le plus florissant au Marché Noir, car il y avait beaucoup de demandes venant des enchanteresses.

  Les temps étaient durs, et les sorcières ne pouvaient plus aller et venir dans des petits villages pour y faire les emplettes, c’est à dire : éventrer des femmes enceintes ou voler des enfants, et elles fuyaient lentement vers les grandes villes pour trouver refuge et se fondre dans la masse. Malgré cette exode d’impies, les sorcières restaient facilement reconnaissables : elles étaient squelettiques, la peau pale et flétrie sur leurs membres longs et fébriles, les yeux sombres sans éclats de vie, et des dents pourries et jaunis à force de dévorer de la chair crue et autres mets répugnants. La puissance d’une impie variait selon ses rituels. Les plus terrifiantes étaient les « Sorcières d’Incubes » celles qui s’accouplaient aux spectres qui vivent sous terre, ce que les Chrétiens appellent « démons », elles se retrouvaient nues, lors de Sabbats et s’adonnaient à de violentes relations charnelles avec des arbres, des pierres, ou des animaux morts, tout en se brulant la peau avec des braises afin que dans l’orgasme et la douleur, des démons s’emparent de leurs corps et les possèdent.

  Bien que charmantes, aux yeux d'un fou, mais terrifiantes, Helenor n’en avait jamais croisé en ville. Celle qui avait tenté de l’étrangler avait perdu ses doigts immédiatement par la dague qu’elle gardait sous son corset et qu’elle dégainait sans hésiter. Les sorcières devenaient pitoyables, et tristes à voir. Elles ne possédaient plus aucune puissance, et se prostituaient en échange de quelques ongles ou mèches de cheveux afin de continuer leurs rituels de jouvence ou de satiété. Il suffisait de se trimballer dans les ruelles du Marché Noir avec une canne à pêche à laquelle pendait un foie de veau, et tout un troupeau d'impies déboulait sur vous comme des moutons affamés pour avoir leur friandise.

Ce n’est pas avec les enchanteresses qu’Helenor allait faire affaire aujourd’hui. Elle se rendait dans le quartier des joaillers ambulants, dirigés par les Nains… L’idée ne la réjouissait guère mais c’était là une nécessité. Les Nains étaient de fins artisans méticuleux et obsédés par les matières nobles. Elle se dirigeait chez Baldur, un vieux Maitre Forgeron qui était plus honnête que ses autres compères. S’il y avait bien un nain juste et fiable, c’était lui. Il fallait bien le meilleur expert en arme pour faire examiner cette épée qu’elle avait volée la veille. Un sentiment de culpabilité s’empara d’elle, quand elle repensa à cet homme qu’elle avait dupé. Ce Darion, qui lui avait semblé bien trop discret et solitaire pour n’être qu’un simple vagabond de passage. Et si elle avait fait une erreur en le dérobant ? Helenor pensa peut-être avoir été trop gourmande, car sa précédente virée nocturne lui avait apporté assez d’argent pour plusieurs jours, il n’était pas nécessaire de s’en prendre à un inconnu, possiblement Noble, aussi mystérieux et séduisant soit-il. Mais c’était plus fort qu’elle, le vol lui procurait du plaisir, un sentiment de pouvoir et de malice. Pourtant Helenor connaissait la règle pour vivre dans ce monde : tout ce que tu fais te seras rendu un jour ou l’autre.

  • Je viens marchander avec Baldur, laisse moi passer, ordanna-t-elle avec mépris au nain qui lui ouvrit la porte de la joallerie.

 Le batiment était modeste sur deux étages, fait d'argile et de quelques lucarnes de vitraux aux couleurs chatoyantes, sous lesquelles pendaient des fanions déchirés à la gloire des Rois Nains aujourd'hui morts et enterrés sous les Montagnes du Nord. Helenor entra et scruta le nain avec dédain, son visage bouffi et rougi par l'alcool était à moitié étouffé sous une épaise barbe rousse et crasseuse. En retour, il soutenait son regard avec méfiance et tout le mépris de la culture naine, un peuple orgueilleux et hautain. Helenor monta à l'étage et y trouva Baldur à son établie, en plein inspection de rouage d'une machine intriguante, son atelier ressemblait à une bibliothèque poussiéreuse et à une poubelle géante, des parchemins gisaient au sol ainsi que des outils usés et encombrants. Baldur était concentré à son travail. Il portait sur le bout de son nez une paire de lunette aux verres épais lui donnant un air d'intellectuel.

  • Il ne m'aime toujours pas, Torpad. Il veut me trancher la gorge chaque fois que je franchis le seuil.
  • Cela t'étonne Helenor ? Tu ne fais pas d'efforts de courtoisie... De vous deux, c'est toi qui garde un couteau dans ta poche, je te signale...

Elle le regarda, interloquée, et il ricana dans sa barbe blanche. La jeune femme sortie de sa cape l'épais fourreau taillé dans laquelle reposait l'épée qu'elle avait volé la veille. Elle s'approcha de l'établie avec son paquet et le donna và examiner au vieux nain.

  • Hé bien ! Que m'apportes-tu cette fois ?
  • Une belle trouvaille... Tu ne vas pas en revenir.

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