Mars

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Je me réveillai à l’hôpital, avec un malaise affreux. Apparemment, j’avais la gueule de bois. Et c’était à peu près aussi atroce que ce que j’en avais entendu dire. Trop faible pour sortir de mon lit médicalisé, une perfusion dans le bras, je décidai d’allumer le panneau multimédia. Je zappai de conneries en conneries, avant de m’arrêter finalement sur EuroNews, scotché par le titre que je voyais défiler :

DE LA VIE SUR MARS

Assommé par le choc de la révélation, je montai le son. Je mis quelques instants à comprendre que, étrangement, ce n’était pas la NASA qui était à l’origine de la découverte, mais la FKA (agence spatiale fédérale russe) : apparemment, les Russes avaient attendu la veille de l’arrivée des Américains sur Mars pour annoncer la nouvelle, juste pour faire chier la NASA. Le coup était bien joué. En effet, en cette année 2139, aussi étrange que cela puisse paraître, l’homme n’avait toujours pas foulé le sol martien. L’Objectivation ayant profondément calmé les ardeurs patriotiques et les grandes émotions humaines, l’aventure martienne avait été entreprise, mais avec l’unique recours des robots. Scientifiquement, c’était tout aussi efficace. Et puis ça coûtait infiniment moins cher. Il avait donc fallu attendre l’an 2139 – l’année du cent-soixante-dixième anniversaire de l’alunissage de Neil Armstrong – pour que l’homme daigne enfin poser ses miches sur la planète Mars. Et, évidemment, c’était les Américains qui s’étaient lancés dans la bataille. De leur côté, les Russes avaient préféré continuer les missions automatisées. Ainsi, pendant qu’un équipage américain s’approchait de Mars, une flotte de petits robots russes venait apparemment de découvrir une nouvelle forme de vie. Non pas sur Mars directement, mais c’était tout comme : sur son satellite Phobos. Trop contents de couper l’herbe sous le pied des Américains et de ruiner leur triomphe médiatique, les Russes avaient attendu un peu, histoire de faire leur annonce juste avant que Steeve Bloomkamp – successeur désigné de Neil Armstrong – ne pose son pied dans Valles Marineris. Le hold-up médiatique fut un succès total. Les scientifiques russes étaient sur tous les plateaux télé, tandis que Steeve Bloomkamp et son équipage, dévastés, avaient reçu l’ordre de différer leur descente vers la planète rouge. Les Américains espéraient probablement que les Russes avaient raconté des cracks (ça n’aurait pas été la première fois). Personnellement, je trouvais très amusant le comportement des Russes. Il était impressionnant de voir que même l’Objectivation n’avait pas pu faire disparaître les rivalités historiques entre la Russie et le reste du monde. Aujourd’hui encore, la Fédération de Russie refuse d’intégrer la Grande Union européenne, malgré le nombre incalculable de mains tendues. En tous les cas, vue la folie médiatique de l’instant, il était nécessaire pour l’agence spatiale américaine de repousser l’arrivée sur Mars si la NASA voulait faire une audience honorable. En effet, les sondages humains et les simulations I.A. indiquaient que si l’arrivée de Steeve Bloomkamp avait été maintenue à la date prévue, sa petite phrase « Un petit pas pour l’homme, mais un pas de plus vers les étoiles » aurait touché moitié moins de gens que la mythique phrase d’Armstrong, un soir d’été 1969.

En attendant les premières analyses russes effectuées sur cette nouvelle forme de vie, la folie retomba bien vite. Là encore, l’Objectivation contribua grandement à tempérer la ferveur mondiale (je ne sais même pas si l’on peut vraiment parler de ferveur, je pencherais plutôt vers une curiosité un poil exacerbée).

Steeve Bloomkamp laissa son empreinte dix jours plus tard dans une plaine froide, rouge et aride, non loin du plus grand canyon du système solaire. Filmé en 3D ultra haute définition dans un contre-jour prétentieux, Steeve Bloomkamp descendit théâtralement de son échelle en aluminium, puis fit quelques pas songeurs avant de lâcher sa petite phrase, sans même un trémolo dans la voix. L’accomplissement technique était majeur, la prouesse technologique était totale, mais le résultat était tellement propre qu’il en était ennuyeux. La NASA s’en rendit bien vite compte et, quelques jours plus tard, les combinaisons blanches rutilantes s’étaient empoussiérées, d’un rouge crayeux qui faisait son petit effet. Tout le monde était content, l’humanité entière saluait l’exploit de Bloomkamp (même les Russes), mais rien n’y faisait : la passion des années 1960 n’y était clairement pas.

La découverte des Russes, d’abord assourdissante, se révéla finalement aussi décevante que frustrante. Décevante parce que la nouvelle forme de vie (baptisée « organisme H0-12B ») était tout sauf sexy. Être unicellulaire vivant sur un caillou froid et bombardé d’UV, à la dérive dans l’espace, H0-12B était certes un survivant, mais il n’avait rien d’impressionnant. Et puis, lorsque les premières analyses biologiques livrèrent leurs résultats, H0-12B se révéla rien moins que banal. En effet, à défaut d’être sexy, H0-12B aurait au moins pu avoir la décence d’être une forme de vie basée sur une chimie différente de la nôtre. Eh bien, même pas. Les exobiologistes rêvaient d’une vie à base de silicium, mais H0-12B était, comme toutes les autres formes de vie terrestres, basé sur le carbone. Et lorsque l’équipe russe réalisa une analyse plus poussée de leur petite bête, celle-ci s’avéra porteuse d’un brin d’ARN.

Tout ça pour ça.

Découvrir une vie extra-terrestre pour se retrouver en face d’un unicellulaire à ARN. C’était pathétique. Il n’en fallut pas moins pour que les sceptiques parlent de contamination, insinuant que H0-12B n’était qu’une bactérie terrestre qui avait voyagé sur le dos des robots russes. Cependant, l’analyse comparative du génome prouva qu’il s’agissait bien d’un extra-terrestre : l’enchaînement des bases G, A, U et C de H0-12B ne ressemblait à rien de connu, même de très loin. Il s’agissait donc bien d’un génome fondamentalement autre. Mais ça restait un génome, un simple génome d’à peine quelques milliers de paires de base, encapsulé dans des protéines carbonées. Conclusion : la Vie était au minimum banale dans l’univers, peut-être même carrément foisonnante, et elle ne laissait apparemment pas beaucoup de place à l’innovation. Cela faisait longtemps que l’on savait que l’homme n’avait aucune importance cosmique particulière, mais c’était maintenant la Vie toute entière qui mordait la poussière. La Vie rejoignait à son tour l’interminable liste de ces choses qui n’étaient que des produits banals et pratiquement inévitables de l’univers. Pour les très rares « singularistes » qui restaient encore parmi nous, ce fut un coup mortel.

Quelques mois plus tard, comme pour enfoncer le clou, les Américains découvrirent à leur tour un foisonnement de multicellulaires à ADN dans l’océan glacé de Titan (l’une des lunes de Saturne).

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