Near Death Experience

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Suite à la mort de mes parents, je reçus de l’argent.

Beaucoup d’argent.

Ainsi, je n’eus jamais à me soucier de mes finances. Je décidai donc de ne pas chercher à travailler, mais plutôt de passer mon temps à étudier. Si je voulais prouver au monde qu’il y avait quelque chose plutôt que le néant, il fallait que je m’y mette, que je me hisse au niveau des plus grands. Grand admirateur de Descartes et de Kahn, partisan de la théorie de Pascal sur l’Homme en tant que « roseau planétaire pensant », je voulais à tout prix croire que « quand l'Univers l'écraserait, l'Homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'Univers a sur lui ; l'Univers n'en sait rien ».

Rétrospectivement, c’était stupide.

J’étais un élève brillant, mais de là à penser que je pouvais prouver au monde qu’il avait tort, c’était illusoire. Mais puisque ma seule raison de vivre était justement de montrer que j’en avais une, tout autre choix que celui-là m’était impossible. C’est ainsi que je m’inscrivis à l’Université (contrairement à l’homme, l’enseignement a toujours droit à sa majuscule). Pas question de perdre mon temps à bosser des concours ridicules en classe préparatoire. Et je n’avais rien à faire dans une école d’ingénieur. Les sciences appliquées n’étaient d’aucun intérêt dans mon projet. Je m’orientai donc vers l’Université, où je me préparai à suivre tous les cours possibles et imaginables de sciences fondamentales, pour tenter de trouver un axe de recherche, un improbable et infime point faible dans la magnificence et la toute puissance de la Science.

C’était perdu d’avance.

Peu soucieux de mon corps et de mon état de santé – qui était de toute façon parfaitement capable de s’autogérer –, je me shootai avec tout ce qui me permettait de tenir debout afin d’engranger un maximum de savoir. Je fis modifier mon câblage neural en vue d’une pseudo-objectivation, histoire d’accroître mes capacités mentales sans pour autant renier ce que je pensais être alors la chose la plus importante qui m’avait jamais été donnée : mon Humanité (que je tenais encore à écrire avec un grand H). C’est ainsi que je passais onze ans de ma vie dans un état second de camé du savoir et que je soutins deux doctorats, l’un en neurochimie et l’autre en physique théorique.

Mes travaux sur la chimie du cerveau furent qualifiés d’« originaux », bien que sans réelle portée. Et pour cause : je cherchais quelque chose de mystique dans les neurones (j’avais bien évidemment pris soin de présenter les choses autrement) et je revins à peu près les mains vides. Tout au plus parvins-je à mesurer quelques artefacts dans l’activité de neurones de rats et de porcs au moment de leur mort. Je travaillais sur la conscience : son origine évolutive, ses mécanismes, sa localisation, sa disparition. Je ne sais pas trop ce que j’espérais en m’engageant sur cette voie. En fait, je crois que je voulais restaurer la possibilité du dualisme. Je voulais montrer que, peut-être, le corps et l’esprit étaient dissociables. Car si c’était le cas, si le cerveau n’était que le substrat de l’esprit – son « point d’ancrage » –, peut-être que l’esprit pouvait survivre à la mort, en dérivant dans l’espace-temps. Pourquoi croyais-je au dualisme ? Parce que je voulais y croire. Mais aussi en raison de l’existence du phénomène NDE, ces fameuses Near Death Experience, ou encore Expériences aux Frontières de la Mort. Avec tous ces témoignages relatant des expériences physiques et mystiques alors même que le cerveau des patients était en état de mort clinique, si le phénomène était réel, il indiquait que la conscience survivait au dysfonctionnement – et donc peut-être à la mort – du cerveau. Les exemples de patients en mort cérébrale capables de rapporter mot pour mot les paroles des chirurgiens et même de raconter ce qu’il s’était passé dans la salle d’opération d’à côté, étaient profondément troublants. La décorporation, le tunnel de lumière, la rencontre avec un être absolu et les retrouvailles avec des êtres chers… Tous ces témoignages miraculeux, je les trouvais magnifiques et réconfortants. Et puis, cette uniformité des expériences, indépendamment des croyances, militait pour l’existence d’un phénomène cohérent, profondément réel.

Mais il n’y avait pas que ça.

Les NDE amenaient aussi parfois à des sensations d’accès à la conscience d’autrui, à un sentiment de toute puissance. Il était même parfois question d’un accès à une somme de connaissances phénoménales. Dans mes fantasmes, j’interprétais tout cela comme l’existence d’un gigantesque « ordinateur cosmique », unique et indivisible, qui serait la causalité ultime de toute forme de conscience. Notre esprit ne serait qu’un minuscule filament relié à cet ordinateur cosmique par notre cerveau biologique qui, par sa nature, filtrerait et briderait les données. Ce ne serait qu’au moment de notre mort que nous pourrions passer outre ce relais physique, et que nous pourrions embrasser la totalité du monde, pour prendre connaissance de l’intégralité de son information, fusionnant au passage avec toutes les autres consciences humaines, terrestres, galactiques et universelles.

Mais, une fois encore, tout ça n’était qu’un putain de fantasme.

Les phénomènes associés aux NDE avaient tous été expliqués de manière rationnelle. Et, même si cela n’annulait pas forcément toute autre interprétation mystique, cela fournissait une explication bien meilleure car beaucoup plus simple. En vertu du rasoir d’Ockham, la Science triomphait, une fois de plus. Les NDE n’étaient rien d’autre qu’une gigantesque hallucination. En fait, lors d’une NDE, notre cerveau perd complètement les pédales. Privé d’oxygène, saturé d’informations alarmistes, le cerveau relâche des endorphines et, comme il le fait au cours d’un rêve, il cherche à donner du sens aux données qu’il reçoit. N’en trouvant pas – puisqu’il ne s’agit que d’un chaos chimique total –, mais encore capable de raisonner, il bricole une histoire à dormir debout. Confronté à la perspective de sa propre fin, notre cerveau se met à dysfonctionner, engendrant une batterie d’hallucinations.

Ni plus, ni moins.

L’uniformité des témoignages n’est due qu’à l’uniformité de la cacophonie chimique, qui induit une réponse uniforme car elle assaille une partie de notre cerveau tellement primaire qu’elle n’a pas changé depuis des millions d’années et qui est commune à chacun de nous. Les NDE forment un phénomène scientifique car compris et reproductible : la stimulation d’une certaine partie du cerveau (le gyrus angulaire droit) par une injection locale de kétamine provoquent immanquablement la sensation de décorporation, l’anoxie cérébrale provoque la vision du tunnel et l’apparition de l’être de lumière. Par ailleurs, un faible courant électrique injecté dans le cortex temporal provoque la décorporation et le stress libère des neurotransmetteurs provoquant une décharge de souvenirs ou de scènes abstraites interprétées comme telles. Les incroyables sensations qui accompagnent les NDE ne sont qu’une tentative du cerveau pour recréer une représentation mentale de la situation et de la scène. Notre cerveau puise dans les informations des capteurs sensoriels et des expériences emmagasinées et transforme tout cela en une sorte de rêve à propos de soi et de l'environnement. La perception chaude et rassurante d’un amour inconditionnel total n’est que la réaction classique et désormais bien connue de notre cerveau, capable de toutes les prouesses lorsqu’il s’agit de se tromper lui-même pour se rassurer. Les discussions des chirurgiens recrachées mot pour mot par les patients ne sont que le résultat de l’extrême acuité du cerveau pendant l’opération, malgré l’état de mort clinique. En fait, c’est ce qualificatif de « mort clinique » qui est à l’origine du mythe des NDE. Car un encéphalogramme plat avait toujours été assimilé à une activité nulle du cerveau. Ce n’est pas du tout le cas. Un encéphalographe n’a rien d’infaillible. C’est un outil relativement peu sensible, souvent incapable de déceler une activité électrique faible mais non nulle. Des analyses beaucoup plus fines par résonance magnétique ont montré que notre cerveau, bien que sévèrement « sonné », est encore tout à fait capable de fonctionner. Quant aux patients capables de raconter ce qu’il s’est passé dans la salle d’opération d’à côté, il suffit de souligner que leur récit n’est pas aussi précis que certains le prétendent, et de rappeler que les médecins font souvent la navette entre les deux salles, s’échangeant des informations, finalement perçues par le patient peut-être en « mort clinique » mais tout à fait réactif. Enfin, quant aux « connaissances incroyables » auxquelles les patients disent avoir eu accès lors de leur NDE, ils sont tout simplement incapables d’en rendre compte lorsqu’on leur demande de nous les expliquer.

CQFD.

Ainsi donc, je vivais dans un monde où l’on avait montré que la dualité du corps et de l’esprit n’était que foutaises. L’émergence de la conscience n’est que le résultat normal et naturel de l’évolution. Il a été montré que la conscience n’est que le produit d’une activité chimique. L’esprit humain est une mémoire symbolique, fondamentalement non réplicative (et donc très différente de l’informatique). Notre pensée fonctionne grâce à l’enchevêtrement de différentes cartographies cognitives, connectées entre elles par des boucles d’informations et de réentrée. Il suffit d’altérer une de ces « autoroutes » de l’information cérébrale pour désorganiser la conscience et aboutir, par exemple, à la schizophrénie ou à la mort. Si nous sommes devenus conscients de notre propre existence, ce n’est que grâce à la densification de notre réseau neuronal, qui a permis l’apparition d’une mémoire. Partant de là, la compréhension du monde est devenue possible, par une intégration des événements passés en une modélisation du monde et de l’avenir. Notre cerveau est un organe très compliqué, certes, mais il n’est rien d’autre qu’un produit accidentel de l’évolution, et ce n’est finalement qu’un tas de neurones pas du tout immortels, qui se répliquent, meurent, se régénèrent avec plus ou moins de bonheur, mais l’ensemble finit inévitablement par mourir.

Et notre conscience avec.

Purement physiologique, notre esprit n’a aucune porte de sortie. L’anéantissement de notre être est une certitude. Cette certitude est d’autant plus grande que, même s’il y avait une (impossible) porte de sortie à l’intérieur de notre cerveau, de toute façon, le Big Rip finirait par dissoudre l’espace-temps lui-même. Les partisans de la singularité humaine, ceux qui affirmaient que nous possédions quelque chose de fondamentalement inexplicable – la conscience de soi –, avaient fini par se taire.

Et pour cause : l’avènement de l’intelligence artificielle avait finalement eu lieu.

Bien que fondamentalement différente de la mémoire informatique, la mémoire humaine permettant la conscience peut tout de même être modélisée. En effet, même si les programmes informatiques sont purement syntaxiques et donc non-symboliques, il n’est pas impossible de faire émerger un esprit. Il suffisait de comprendre que la conscience ne naît pas du matériel ni du programme de bas-niveau directement, mais d’un programme de niveau supérieur, engendré par le matériel et le code source de bas niveau. En simulant des réseaux neuronaux ainsi qu’un environnement évolutif (pseudo-mutations et contraintes « environnementales » aléatoires), il suffisait d’une machine suffisamment puissante pour aboutir à la conscience. Avec les supercalculateurs quantiques, l’I.A. émergea presque naturellement. Tout comme nos neurones ne sont pas eux-mêmes conscients mais que nous, nous le sommes, eh bien, les processeurs quantiques ne sont pas eux-mêmes conscients, mais ils font émerger un processus qui, lui, l’est. La principale difficulté (ou plutôt la principale déception) liée à l’I.A., était que celle-ci était issue d’un processus évolutif, certes, mais dont l’historique n’avait rien à voir avec le nôtre. De même, comme l’I.A. avait été engendrée et non pas programmée, celle-ci avait immanquablement suivi sa propre voie et, au final, la communication entre l’homme et la machine était aussi difficile qu’inintéressante.

Il n’y avait rien de constructif à tirer d’une telle relation.

En fait, c’était un peu comme si l’homme était entré en contact avec une espèce extra-terrestre fondamentalement autre. Alors, on avait relancé le programme, maintes et maintes fois, n’hésitant pas pour cela à « assassiner » à chaque fois les consciences que nous avions créées. Et, à chaque fois, l’issue était la même : une nouvelle forme de conscience, dont les besoins, les motivations et les moyens de communication étaient tellement différents des nôtres qu’ils en étaient quasiment sans le moindre intérêt. On avait bien tenté de créer des populations d’I.A., d’intervenir dans leur processus évolutif comme un Dieu tout puissant pour forcer l’I.A. à converger vers quelque chose de semblable à nous, mais c’était probablement impossible.

De toute façon, qu’espérait-on vraiment de l’I.A. ?

Une intelligence supérieure capable de nous expliquer le monde ?

C’était inutile : les connaissances humaines avaient déjà disséqué l’univers jusque dans ses moindres fondements.

Une sagesse supérieure à la nôtre pour nous montrer la voie ?

Là encore, c’était sans intérêt : l’Objectivation était passée par là, nous permettant de couper les ponts avec notre brutale animalité ; la planète était préservée, la faim dans le monde et les maladies avaient été presque entièrement endiguées. Alors, le formidable intérêt pour l’I.A. était retombé et, au final, les seules applications qui en ont résulté sont des moteurs de recherche informatiques à peine conscients mais extrêmement efficients, reléguant Google et Wolfram Omega au stade de la préhistoire de l’information. Ainsi naquit l’Internet 3.0, le web symbolique et sémantique, efficace et intelligent, mais pas du tout transcendant. Et lorsque l’on montra que la conscience pouvait être clonée à l’infini par simple duplication logicielle d’une I.A., les derniers tenants du particularisme de la conscience (qui affirmaient que celle-ci était unique et indivisible) furent réduits au silence.

Et ceux qui, dans un ultime baroud d’honneur, brandissait le libre arbitre de la conscience comme ultime rempart incompris de la Science, ils furent balayés lorsque la neuro-imagerie fonctionnelle démontra que toutes nos décisions sont initialisées dans notre cerveau jusqu’à plusieurs secondes avant que nous n’en soyons conscients. Conséquence inéluctable : le libre arbitre n’est qu’une illusion, créée par la conscience a posteriori de processus totalement inconscients. L’inexistence du libre-arbitre ne signifie cependant pas que le cours de nos existences soit prédéterminé (c’est une erreur classique d’interprétation). L’inexistence du libre-arbitre signifie simplement que nous ne prenons aucune décision consciente, chacun de nos actes (physiques ou pensées) ne faisant que parvenir soudainement à notre conscience, émergeant de sous-processus en grande partie aléatoires (mais pas que). La conscience ne fait que se soulager en rationalisant a posteriori un phénomène sur lequel elle n’a aucun contrôle.

Pour dire les choses plus clairement : nous ne sommes que les spectateurs impuissants du spectacle de nos vies.

Quant à la Vie elle-même (pour ceux qui voudraient encore lui accorder une majuscule), depuis les travaux de J. Craig Venter au XXIème siècle, cela faisait longtemps que la « grande énigme » avait été résolue. La vie avait été recréée artificiellement en laboratoire, brique par brique, aboutissant à des génomes synthétiques fonctionnels insérés dans des milieux autorépliquants : cytoplasmes, mitochondries et autres, également produits de l’ingénierie génétique. Mieux : plutôt que de recréer de « simples » copies artificielles de la vie actuelle, de nouvelles formes de vie avaient également été créées en éprouvettes, démontrant que la vie sur Terre avait démarré dans des sources hydrothermales à grande profondeur, puisant son énergie dans l’oxydation du sulfure d’hydrogène pour transformer le carbone minéral en matière organique. Cette matière organique était composée d’acides aminés errants dans l’océan primitif, des acides aminés qui se sont trouvé des affinités électroniques avec d’autres molécules de leur type. Ils se sont associés, s’agglutinant en petites chaînes, l’un à côté de l’autre, mais aussi l’un derrière l’autre. L’océan primitif n’était cependant pas de tout repos, et les liaisons covalentes n’étaient pas indestructibles. Les assemblages se brisaient régulièrement. Les affinités verticales étant plus fortes que les affinités horizontales, les doubles brins se séparaient généralement en simples brins, orphelins, mais prêts à se recoller à des acides complémentaires, au gré des humeurs de l’océan. La réplication de l’ancêtre de l’ADN avait commencé.

Chaque groupe de molécules faisait des copies de lui-même. Et chaque copie faisait de même. Et chaque copie de copie. Mais les erreurs de copie étaient fréquentes, et des brins se brisaient et se recombinaient au hasard des courants. Les nouvelles variantes les plus efficaces à ce petit jeu de la photocopieuse moléculaire devenaient mécaniquement les plus nombreuses. Et ainsi de suite pour chaque nouvelle variante.

La sélection naturelle était à l’œuvre, dans toute sa splendeur.

Ce faisant, et aléatoirement, certains groupes se sont créé de petits abris moléculaires, puis cellulaires. Ces innovations s’étant révélées efficaces, ces chaînes autorépliquantes et adeptes de la self defense ont proliféré, et ont vite donné naissance à des assemblages toujours plus massifs, plus productifs, plus protégés, et finalement dotés de mobilité.

Ces assemblages ont colonisé l’océan, absorbant des molécules et des photons, réagissant aux ondes de pression et autres stimuli. Des interactions chimiques et mécaniques se sont mises en place, toujours gouvernées par l’efficacité de la réplication. De l’information a commencé à être échangée entre les organismes et le milieu, des informations qui ont été traitées, induisant des réponses de la part des organismes. Les structures douées de réponses appropriées – efficaces – ont été sélectionnées, les autres ont été supprimées.

Les niches écologiques se sont remplies. Les occupants des niches déjà prises ont lutté pour leur survie. La compétition cellulaire a remplacé les faibles par les forts, et a envoyé les petits prodiges de l’évolution coloniser des niches écologiques plus compliquées à occuper.

La division du travail cellulaire augmentant l’efficacité des organismes, ceux-ci se sont diversifiés et complexifiés.

La bataille de l’information a engendré le système nerveux diffus, puis le système nerveux centralisé.

Ainsi naquit la conscience. Et nous avec.

Cette compréhension de la vie nous a menés à la maîtrise de la vie. La biotechnologie fit une percée historique, permettant la conception d’organismes synthétiques entièrement dédiés aux besoins de l’humanité. Parmi ces nouvelles championnes de la biotechnologie : les bactéries productrices d’hydrogène, nouveau carburant de référence de l’après pétrole.

Et moi, dans tout ça, je n’avais servi strictement à rien.

J’étais né bien après, et je me battais avec mon intellect pour démontrer quelque chose qui ne pouvait exister, dans le cadre d’une thèse en neurosciences qui fonçait droit dans le mur.

Quant à ma thèse de physique, elle portait sur une nouvelle théorie de l’instant zéro, là encore qualifiée d’originale mais, cette fois-ci, sans la moindre portée. Mon modèle cosmologique était truffé de zones d’ombre et d’incohérences. Ma théorie de l’instant zéro n’avait aucun pouvoir explicatif capable de remettre en cause la Théorie de la Grande Unification.

Car il n’y a pas d’instant zéro.

La Théorie de la Grande Unification le démontre impeccablement. Jailli d’un point de dimension nulle – de nature purement mathématique, donc –, l’univers s’est décondensé tout seul, sans le moindre écoulement de temps et, surtout, sans la moindre nécessité d’intervention extérieure. Mû par sa dynamique interne (liée à l’algèbre des groupes quantiques), l’univers s’est développé, déroulant son contenu informationnel sous l’impulsion de la superforce primordiale. La supersymétrie de celle-ci s’est brisée au cours du processus de décondensation, libérant les forces que nous connaissons aujourd’hui (gravitation, électromagnétisme, interactions nucléaires faible et forte et, bien sûr, tension « exotique »). Simple sous-produit de la mécanique universelle, le temps n’est qu’un résidu du proto-espace, qui a dégénéré en temps imaginaire pur, puis en temps complexe, avant de devenir le temps réel qui rythme notre quotidien mais qui n’a aucune prise réelle sur le monde subatomique (le principe de causalité y est violé).

Il n’y a pas d’instant zéro.

L’univers est né de manière parfaitement intemporelle. Il n’existe pas de déroulement linéaire de l’histoire de l’Univers que l’on pourrait retracer, simplement un jaillissement d’informations, une algèbre dynamique et un résidu qui, après avoir fluctué, a fini par se stabiliser, sous forme temporelle. Il n’y a pas d’instant zéro, et la création de l’Univers n’est pas soumise à la causalité. Nul besoin d’une cause ultime. Surtout pas de Dieu (dont la propre cause resterait de toute façon inexpliquée).

J’avais tout faux.

Une fois de plus.

J’obtins mes diplômes avec la mention « Passable ». En conclusion, je n’étais absolument pas parvenu à démontrer que nous étions autre chose que de simples sacs de fluides. La révolution que j’avais si longtemps fantasmée avait lamentablement échoué, et le soir de ma deuxième et dernière soutenance, je demandai à mon chirurgien de me rendre mon architecture cérébrale d’origine. Sitôt remis de l’opération (quelques heures suffisaient pour résorber les filaments neuraux artificiels), je noyai mon chagrin dans les putes cyber, me rappelant avec un indicible dégoût que je n’étais qu’un réceptacle de viscères chauds et gluants.

En m’étalant de contentement sur ma call-girl cyber du soir, je m’endormis en me faisant la réflexion que je n’étais qu’un sac à foutre répugnant.

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